Lorsqu'on parle des secteurs touchés par la crise, on oublie toujours que dans certains pays le football est devenu une véritable industrie lourde en termes de capitaux. En témoigne le classement des 20 clubs les plus riches du monde, réalisé chaque année par le cabinet Deloitte. En 2009, pour la cinquième année consécutive, le Real Madrid était le club le plus riche du monde avec plus de 400 millions d'euros de revenus ! Viennent ensuite le FC Barcelone avec 365,9 millions d'euros, Manchester United avec 327 millions d'euros, Bayern Munich, puis Arsenal, Chelsea et Liverpool, l'Olympique lyonnais n'étant que treizième avec 139,6 millions d'euros... Le TOP20 des clubs de football les plus riches est résumé sur ce graphique issu de l'étude faite par Deloitte :
[ Source : Le Figaro.fr, graphique réalisé à partir de l'étude du cabinet Deloitte ]
En examinant plus en détail la ventilation des revenus, on s'aperçoit que les droits télévisuels sont devenus la principale source d'argent frais pour les clubs : 160 millions d'euros pour le seul real Madrid, 68 millions pour l'Olympique lyonnais (à comparer aux 22,4 millions de la billetterie pour l'OL...), plus de 600 millions d'euros par an pour les championnats français (soit 58 % des recettes des clubs). Mais tous ces revenus cachent mal l'endettement excessif de la plupart des clubs. Ainsi, on découvrait par la bouche même du président de la Fédération anglaise, que la dette cumulée de Manchester United, Arsenal, Chelsea et Liverpool atteignait 1,3 milliard d'euros, c'est-à-dire un tiers de la dette totale des clubs anglais ! Ceci n'étant que le résultat d'un "marché" du joueur où les transactions atteignent des sommes stratosphériques (94 millions d'euros pour le transfert de Ronaldo), à l'image des salaires ! D'ailleurs, pour les rémunérations, toute la palette des possibles a déjà été exploitée : contrats négociés par des agents, petits arrangements en tout genre, rémunération liée au contrat de transfert (on pense à Laurent Blanc, l'actuel sélectionneur de l'Équipe de France, qui lors de son transfert du FC Barcelone à l'Olympique de Marseille s'était vu attribué un complément de rémunération prélevé sur les 2,5 millions de dollars du transfert), etc.
Où trouver alors de l'argent pour continuer dans cette spirale du sport-spectacle hors de prix ? Sur les marchés financiers bien sûr ! L'Angleterre reste à ce titre le modèle le plus abouti de football financiarisé, la majorité de ses clubs étant cotés en Bourse. En France, seul l'Olympique lyonnais s'est pour l'instant frotté à la Bourse depuis 2007. On se souvient encore de Jean-Michel Aulas, président du club, qui expliquait aux plus réticents que c'était "une entreprise de divertissement sportif" que l'on introduisait en Bourse. Subtile nuance pour justifier qu'OL Groupe (structure qui chapeaute le club) désirait de la sorte trouver le financement pour un nouveau stade (OL Land) de 60 000 places... qui n'a toujours pas encore vu le jour ! Mais il est vrai qu'au niveau financier, OL Groupe joue plutôt en défense en annonçant une perte nette de plus de 35 millions d'euros sur l'exercice 2009-2010. Et comme pour la plupart des titres cotés en Bourse, une telle annonce s'est répercutée sur le cours de l'action qui chuta de 3,19 % entre le 4 et le 8 octobre.
L'absurdité avec ces introductions en Bourse, c'est évidemment - au-delà du côté immoral de financiariser un sport - qu'il est quasiment impossible d'estimer les flux futurs comme pour une entreprise productive. Car au fond, le bilan d'un club tient surtout à son palmarès sportif qui, même avec les meilleurs joueurs de la planète, peut être mauvais : une élimination en coupe d'Europe, et c'est tout le bilan sportif et financier qui est impacté ! A défaut de pouvoir renégocier les droits de retransmission à la hausse (on peut lire ici un article de la DGCCRF qui rappelle la délicate procédure d'appel d'offre, et là un autre rappelant que Canal + ne veut pas jouer aux pourvoyeur exclusif de fonds), il ne reste alors plus qu'à se rabattre sur les transferts de joueurs dont les clubs espèrent tirer profit. Certains parlent déjà de plus-value sur vente de joueurs, Yoann Gourcuff étant présenté comme une "opportunité sportive et marketing" ! Même le sponsoring des entreprises ne fait plus recette, puisque la crise tend à rompre de plus en plus de partenariat. L'Eldorado du football se situe alors très certainement en Angleterre pour les moyens financiers (les milliardaires propriétaires de clubs n'hésitent pas à renflouer par dizaines de millions) et en Espagne pour l'absence de régulation (les clubs peuvent acheter à crédit, vendre des pelouses qui deviennent constructibles, et même faire appel à l'État pour effacer l'ardoise sociale et fiscale des clubs).
Pour lutter contre ses dérives, Michel Platini a fait adopter par l'UEFA le principe du "fair-play financier", qui vise à freiner l'inflation des dépenses engagées par les clubs. L'objectif est de contraindre les clubs à ne plus vivre au-dessus de leurs moyens, car selon une étude de l'UEFA, près de la moitié des clubs européens sont déficitaires, et un club sur cinq est dans une situation financière préoccupante. Mais cela permettra aussi de relancer un embryon de compétition sportive, en empêchant par exemple des clubs comme Manchester City (propriété d'un Cheikh milliardaire) de dépenser plus qu'il ne génèrent pas eux-mêmes. Si cette initiative ne peut qu'être saluée, il n'en demeure pas moins que son application sera progressive, les premières sanctions n'étant prévues qu'à partir de 2014-2015...
Mais à force de parler d'argent dans le football et dans le sport en général, n'a-t-on pas dévoyé la finalité du sport pour n'en conserver plus qu'une logique marchande (vente de produits dérivés, paris en ligne,...) ?
N.B : ce billet étant déjà fort long, je me suis abstenu de parler du droit à l'image collective, qui permettait aux clubs professionnels (avant sa suppression en 2010) d'être exonérés de 30% de charges sociales sur la rémunération versée aux joueurs. Cela faisait tout de même, en 2009, près de 20 millions d'euros de perdu pour la Sécurité Sociale qui n'en a pas besoin comme tout le monde le sait.