Non, l'automne n'est pas triste. Et pourquoi le serait-il ? N'est-ce pas la saison des vendanges qui assurera les ivresses de demain ? Je me suis toujours demandé pourquoi les poètes en avaient eu une vision aussi pessimiste et désespérante, alors que cette saison est pleine d'éclat, de chatoiements, aussi belle en son effeuillement que le printemps en ses éclosions. Je les mets l'une et l'autre à égalité : le printemps parce qu'il est promesse, l'automne parce qu'il est un opéra jubilatoire empli de vibrations, d'accords, d'arpèges, de tierces, d'une splendeur fulgurante.
Alors que le premier n'est autre qu'un prélude au doux murmure, une ariette cristalline, un menuet, une romance, une sonatine, un madrigal, un rondo, une fantaisie ; le second est une toccata, un choral, une symphonie, une composition ample, un largo puissant qui frappe par ce qu'il peut avoir tour à tour de pathétique, d'élégiaque et de majestueux.
Dès lors, pourquoi, chers poètes, n'avez-vous employé, pour le décrire, que les mots de l'amertume, du regret, de l'affliction, de l'accablement, et pourquoi l'évoquez-vous comme un deuil, un châtiment, un veuvage, alors même que cette saison est parée des alliages les plus précieux, de l'or pailleté et du pourpre, du vermeil et de l'incarnat, de l'amarante et du grenat, qui l'enflamment tel un crépuscule et l'enveloppent de toutes parts de lueurs empourprées et rubescentes ?
Oui, pourquoi avoir choisi de préférence des mots ternes, une suite de phrases affligées d'un ton douloureux et contrit et je vous cite : Apollinaire " automne malade ... pauvre automne... forêt qui pleure " - Baudelaire " mon esprit est pareil à la tour qui succombe..." - Anna de Noailles " pourquoi ne met-on pas de mantes aux statues ?... tout est transi, tout tremble et tout a peur..." et on pourrait en citer des centaines d'autres, dont ces vers célèbres de Verlaine : les sanglots longs des violons de l'automne / bercent mon coeur d'une langueur monotone..." ( Voir mon article " L'automne des poètes" en cliquant ICI )
N'avez-vous donc pas été inspirés, chers poètes, par les sentes modestes qui, soudain, tapissées de feuilles, se transforment en allées royales, en nefs solennelles, ou bien par ces bosquets frileux, changés d'un coup de baguette magique, en buissons ardents ? Oui, l'automne reste à écrire, plutôt à décrire, dans sa magnificence, ses savantes déclinaisons qui mêlent le carmin à la garance et à la purpurine, et en ses nuances subtiles qui le font rayonner, briller, ainsi qu'un feu solaire.
Vous me direz ... mais c'est le chant du cygne, les derniers feux, le déchant qui clôture le spectacle. Peut-être ! mais le final n'en soulève pas moins notre surprise, notre émerveillement. Alors sachons en goûter chaque seconde, nous griser des braises qui sauront allumer, d'ici quelques mois, les fraîches modulations du printemps.
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