signes

Par Balder

Nous débloquons des citrons, des grumeaux du dimanche. Assis dans le couloir de cet hôtel, tout prés de Genève, la ville cadran. L'homme d'étage amène quelques idées à faire frémir les mangoustes. Au passage d'une grue imprimée sur le mur, il rechigne à nous laisser en paix. Son agitation est déstabilisante, d'abord se sont ses jambes qui s'imaginent courir vers un néant plus propice, ensuite ses bras dévorent l'espace autour de lui à grand coup de bâton imaginé. Puis il part dans un nuage épais de crème au beurre, et enfin il revient en poussant un chariot de petit déjeuner débordant de livre. Ce qui enraye considérablement son allure. Nous continuons à presser des citrons, le jus s'écoule dans de longs tuyaux qui entrent dans le mur. L'homme au chariot ouvre la bouche, produit des sons, pose des livres sur la table. Beaucoup de livres, il parle enfin."Je le jure...votre séjour dans mon merveilleux pays sera pour vous un plaisir".                                   Je connais cette phrase Bram Stoker n'est pas loin. J'échange des citrons contre des livres, chacun retrouve sa place, dans le bus bleu. Le valet des livres colporte d'autres échantillons vers d'autres portes, à peine tourne-t-il le dos à l'une d'entre elles que le couloir derrière lui disparaît, emporté par une marée d'équinoxe, laissant la place désinfectée de la matière. Nous entrons dans une nouvelle ère. Je reconnais la bibliothèque de Genève, un couloir, un livre, un fauteuil confortable et une verre de thé brûlant. Un homme s'approche, c'est Saussure le linguiste, il me regarde, s'assied en face de moi et se met à me parler de l'immutabilité et la mutabilité du signe. Du signifiant nécessairement arbitraire, m'explique que le signe n'est pas libre mais imposé, que l'on ne donne comme choix que l'absence de choix, où encore la privation de du droit de choisir etc... Ferdinand est passionnant, il m'emporte dans ses théories. Je lui explique que j'annule souvent en écrivant tout contrat entre le signifiant et le signifié, puisque  cette notion n'est constituée que par l'héritage d'un précédent et qu'écrire c'est aller vers l'inconnu. Or je ne peux censurer  la réalité de la langue en tant que vérité validée et reconnue par tous comme accord du discours à la réalité. Seule l'écriture me le permet, sans doute pour préserver mon rôle d'animal social, tout en sachant que cette langue n'est pas libre. Sa mutabilité liée à l'altération dans le temps est cependant un devenir permanent du signe. Nous parlons encore quelques heures. Un main à deux ailes rectifie le ciel au dessus du lac, les patients de la bibliothèque de Genève consultent leurs désirs, au fond du parc un brochet s'étire sur un banc, quelqu'un frappe à la vitre de l'aquarium, c'est l'homme en queue de pie et haut de forme qui roule ses yeux vers Rotterdam.

Balder