Lettre à Arnaud Montebourg concernant TF1 et la situation dramatique des médias télévisuels et radiophoniques en France

Publié le 09 octobre 2010 par Jcgrellety

Monsieur le Parlementaire,

L'ire du P.D.G de TF1 à votre endroit aurait-elle révélé un talon d'Achille dans l'apparente toute-puissante de la chaîne numérotée 1 ? Puisque cette direction qui peut obtenir des salariés de l'entreprise audiovisuelle et de sa rédaction qu'ils écrasent de leur silence comme elle écrase de son mépris tant de sujets fondamentaux du monde dans lequel nous vivons, d'aspects de la vie, de l'économie, a préféré s'adresser à vous pour vous demander des excuses, c'est qu'une part de ce sentiment d'une telle puissance les a conduit à oublier sur quelle planète ils vivent, travaillent et pensent, en ignorant votre caractère et vos principes. C'est heureux. Car vous avez pu saisir l'occasion d'ajouter à vos propos enregistrés et diffusés par Pierre Carles une réponse argumentée, et quelle réponse ! Pour les citoyens français qui depuis 2007 vivent autant dans les souffrances morales que dans le rejet, et plus encore, à l'égard et à cause de ce qu'est devenue la représentation "officielle" de notre pays qui nous oblige ici et ailleurs dans le monde, parce qu'ils disent "la France veut... pense...", pour celles et ceux qui ne peuvent se reconnaître d'une certaine prétendue "opposition" qui ne l'est jamais (comme avec Messieurs Valls et Hollande au PS), il est rare d'éprouver une joie, parce que la résistance active aux représentations, valeurs, orientations qui fondent cette "politique" permanente de la confusion et de l'agression contre les modestes citoyens, est à la fois très réelle et très inaudible, puisque les médias dominants servent et obéissent. C'est, concernant TF1, ce que vous avez clairement dit. "Les rapports de proximité politique entre les orientations éditoriales de TF1 et le pouvoir actuel posent le problème dans une démocratie comme la nôtre, du respect du pluralisme et de la séparation des intérêts publics et privés, et les échanges de services et de bons procédés entre eux." (...) "Dernièrement, vous avez cru devoir donner la parole pendant plus de 2 heures au Président de la République, chef du parti majoritaire, à une heure de grande écoute, tout en ne permettant à la principale dirigeante de l’opposition de ne répliquer que pendant 4 minutes. Dernièrement encore, selon le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, au premier trimestre 2010, en cumulant TF1 et LCI, votre chaîne d’information, vous avez offert 32 heures de temps de parole au Président de la République, au Gouvernement et à l’UMP, contre 8 heures à des membres de l’opposition." Concernant ce que fait la rédaction de TF1, avec ses icônes ostensiblement liées à la majorité politique (Pernaud en étant la caricature), et ce que propose ses programmes, vous avez établi des faits indiscutables : "Dans la semaine du 29 septembre au 5 octobre 2010, vous avez choisi de consacrer 41 heures 30 à des émissions liées à l’argent, soit des émissions de vente (télé shopping) ou à des jeux dont l’appât du gain est le moteur (“Une famille en or”, “Les douze coups de minuit”, “Koh Lanta”, “Secret Story”). Les relations entre les hommes ne relèvent pas que de l’argent et une société ne pourra jamais se résumer à celui-ci. Pourtant, sur TF1, l’argent est malheureusement partout. Les émissions où vous mettez en scène de façon artificielle la compétition acharnée et destructrice de la dignité, entre des êtres humains -jusqu’à leur faire manger des vers de terre-, occupent cette semaine plus de 23 heures d’antenne (“Master Chief”, “Koh Lanta”). Pourtant, les relations entre les humains peuvent être coopératives et non pas forcément conflictuelles, comme vous en conviendrez. Enfin, je suis surpris par la contribution malheureusement décisive que TF1 a apportée à l’élévation du niveau de violence dans les oeuvres de fiction diffusées. Le nombre de meurtres, de viols, et de violences physiques a acquis en 15 ans une importance démesurée dans les programmes de votre chaîne. En somme, les valeurs dominantes que vous diffusez et transmettez dans la société française ne seraient-elles pas celles de l’argent et de la cupidité, de la compétition acharnée et du conflit, de la violence et du règlement de comptes ?" Certains voudraient nous faire entendre et croire que "la télévision", c'est seulement superficiel et fait pour du divertissement, et qu'il ne faut pas y voir du mal. Il s'agit, bien évidemment, de nous prendre pour des imbéciles afin que nous continuions à être des moutons dont on peut faire ce que l'on veut ou presque. Car "la" "télévision", c'est un ensemble de techniques qui permettent de reproduire la synthèse de notre conscience : images, sons, phénomènes interprétés avec sens, jugements. Ni plus, ni moins. En outre, selon le schéma de la communication, cet ensemble de techniques fonctionne dans une projection unilatérale qui n'autorise ni modifications du message ni réponses, de la part des destinataires. C'est dire à quel point la "télévision" a à voir avec "la religion", qui assène ses vérités et ses dogmes, avec une vraie violence psychologique. Et bien entendu, de ce que font et disent les "professionnels de la profession", il est hors de question que le peuple puisse en parler, librement et sur les antennes ! Alors, il y a bien sur depuis quelques années des espaces ouverts pour de telles discussions, sur Internet principalement, avec de nouveaux médias, "Arrêt sur Images", "Rue89", mais pour l'heure ces nouveaux médias ne peuvent atteindre tous les citoyens, à la différence d'une TF qui a réussi à obtenir la pole position dans la liste des chaînes, un 1 tellement royal et pratique, et ces nouveaux médias le pourraient-ils que les problèmes posés par un journalisme-qui-n'en-est-pas-un, posés par une communication de propagande continuerait de se poser tant que ces espaces ne permettront pas d'accueillir des débats libres et non censurés. C'est pourquoi il y a quelques mois nous avons lancé un "appel pour des espaces civiques et médiatiques libres". Votre ami Vincent Peillon avait fort justement mis en cause une manipulation médiatique préparée par une responsable d'une chaîne publique (membre du fameux "Siècle" !), mais il s'est arrêté en chemin. Des milliers, peut-être des millions de citoyens, vous demandent de ne pas l'imiter, mais de prolonger votre lettre et vos propos par quelques actions :

  1. favoriser la coordination des citoyens critiques envers ce pouvoir médiatique antidémocratique, qu'ils soient simples citoyens, intellectuels, ...
  2. établir la liste des faits problématiques concernant TF1 et quelques autres chaînes particulièrement engagées dans le soutien à l'oligarchie décrite et dénoncée par le couple Pinçon-Charlot dans leur dernier livre, "Le Président des Riches", et les publier, sur votre site et dans un livre
  3. organiser, sans attendre 2012, des rencontres citoyennes où chacun puisse s'exprimer librement, avec une diffusion sur Internet et sur une chaîne de télévision, même étrangère
  4. élaborer et faire connaître des propositions sérieuses pour modifier les structures d'organisation et de propriété des médias publics, afin que les notions d'"indépendance" et d'"objectivité"" puissent prendre enfin tout leur sens.
  5. afin de ne pas paraître isolé et de ne pas l'être vraiment dans cette expression critique, trouver et rassembler des élus, et vous appuyer sur un réseau de blogueurs afin que régulièrement ceux-ci publient, en liaison avec votre expression et votre démarche critique, des compte-rendus de programmes et d'émissions d'information, notamment dans la période 2011-2012, sachant que ce pouvoir médiatique anti-démocratique va augmenter son niveau d'activité de propagande.
  6. d'étudier la situation dramatique des radios françaises où il n'existe, en dehors de quelques toutes petites radios, plus aucun espace d'expression libre et surtout d'expression de contenus sérieux d'intérêt général ou universel, afin de pouvoir également faire des propositions adéquates

Par votre réponse, votre lettre, vous avez touché et le coeur du problème des démocraties "dictatorales" que nous connaissons depuis quelques années, avec des contre-pouvoirs qui n'en sont pas, et de nombreux citoyens qui ont trouvé enfin un porte-parole face à ce mur médiatico-économique. Il vous appartient de décider s'il s'agit d'un coup porté sans suite dans une brève escarmouche ou s'il s'agit du début d'une lutte réelle et décisive pour les libertés civiques.