Magazine Cinéma
Théâtre Comédia
4, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 38 22 22
Métro : Strasbourg Saint-Denis
Une pièce musicale de Gadi Inbar
Adaptée par Laurence Sendrowicz
Mise en scène par Thomas Le Douarec
Avec Grégory Benchénafi
Ma note : 8/10
Note d’intention de l’auteur : « L’histoire de Mike Brant va bien au-delà du simple récit de l’ascension vers la gloire et la chute d’une immense pop star qui ne parvient plus à faire face à son succès fulgurant et au culte dont il est devenu l’objet... C’est aussi l’histoire d’un enfant de la seconde génération, issus de parents rescapés de la Shoah mais irrémédiablement brisés par cette épreuve. Incapable de s’affranchir du poids écrasant de la tragédie vécue par ses parents, il sombrera insensiblement dans la dépression la plus profonde. C’est ce qui rend l’histoire de Mike si particulière, si intense, bouleversante et exemplaire. »
Mon avis : Je le reconnais aisément, bien qu’étant de la même génération que Mike Brant, je n’ai pas été un grand fan de l’artiste. Il avait certes une voix incomparable et il a eu la chance d’avoir à ses côtés des compositeurs qui lui ont écrit des mélodies efficaces, mais ce n’était vraiment pas ma tasse de thé… Ce justificatif était nécessaire pour comprendre que j’étais tout-à-fait neutre lorsque je me suis rendu à la générale de Mike Brant, laisse-nous t’aimer. En revanche, ayant interviewé le producteur, je savais que j’allais voir un spectacle de qualité.
Le premier tableau, métaphorique, esthétiquement très réussi avec sa floraison de parapluies noirs - sauf un, qui était rouge, et qui abritait la mère de Mike - je l’ai trouvé superbe. J’ai été également subjugué par la voix du soliste entonnant un chant en hébreu. Ça commençait donc bien, à part que cette introduction s’est avérée être un peu longuette.
En fait, ce spectacle est construit à la manière de ces films ou de ces romans qui commencent par la fin avant de reprendre le fil de la vie du héros dans sa chronologie… Donc, après ce tableau liminaire, original, beau, mais long, nous remontons le temps pour nous retrouver au début des années 60 à Tel-Aviv, dans le foyer de la famille Brand (avec un « d »). Ce point de départ est indispensable pour une bonne lecture ensuite du caractère de Mike. On découvre un jeune homme passionné de rock’n’roll et d’Elvis Presley, qui ne vit que pour chanter, mais qui se heurte au désaccord de son père, un homme austère et rigoureux. Même s’il reçoit le soutien inconditionnel mais discret de sa mère, une vraie maman juive, aimante et attachante, Mike souffre de cette incompréhension paternelle. Il a de plus beaucoup de mal à supporter le rappel permanent de la Shoah encore toute récente. Cauchemars rémanents, la déportation, les persécutions et les humiliations en toile de fond, ses parents sont marqués à vie, alors que lui ne rêve que d’oubli et d’insouciance… Tout cela est intelligemment abordé et traité.
Et Mike va arriver à ses fins. Le showbiz entre dans sa vie, et réciproquement. Après une joyeuse parodie de Jailhouse rock, nous retrouvons notre héros dans un night-club de Téhéran où il se produit avec son petit groupe. C’est là que tout va basculer avec la rencontre avec Sylvie Vartan. Carlos, que j’ai beaucoup fréquenté et qui était un conteur hors pair, m’avait narré cet épisode ici assez fidèlement reproduit… Si j’ai été enthousiasmé par cette reconstitution avec une Sylvie Vartan que j’ai trouvée vocalement supérieure à l’originale, j’ai en revanche été un peu agacé par le jeu ultra caricatural de l’animateur du club. Le fait qu’il soit ridicule est acceptable. Ça apporte même une judicieuse note de comédie. Encore eût-il fallu apporter un peu de nuance plutôt que de tomber dans une outrance qui rend le personnage insupportable alors qu’il n’aurait dû être que drôle… Mais, rassurez-vous, c’est là à mon avis l’avant-dernière (il en reste une petite) fausse note du spectacle car toute la suite n’est qu’un mélange de plaisir, de rythme, de rire, d’émotion et de drame.
Laisse-nous t’aimer est plus une pièce de théâtre avec des intermèdes chantés qu’une comédie musicale. Il y a vraiment du sens et du fond. On en apprend beaucoup sur les coulisses de la trajectoire fulgurante de cette idole au cœur d‘argile. Et on comprend comment il en est venu à l’irréparable. La fin était en effet inéluctable.
Les grands numéros de music-hall alternent habilement avec les scènes de comédie. Tous les tableaux musicaux et leurs chorégraphies sont absolument magnifiques. Celui mettant en scène des clochards semble tout droit extrait d’une émission des Carpentier. Les costumes, particulièrement kitchissimes à cette époque flamboyante, sont parfaitement restitués. Outre Sylvie Vartan, on voit défiler Danièle Gilbert, Dalida, Dave… La production a vraiment mis les moyens ! Sauf pour le lit d’hôpital qu’on croirait emprunté à une maternité tant il est petit. C’est d’autant plus regrettable que cette scène qui est véritablement émouvante est amoindrie par cette image un peu grotesque…
Mais derrière les paillettes, une tragédie se noue, elle aussi scrupuleusement restituée et étayée par des scènes éloquentes. Mike, trop pur, trop absolu, trop sensible, ne pouvait pas faire le poids face un prédateur aussi peu scrupuleux et impitoyable que Simon Kaufmann. Rongé de l’intérieur par les rappels de l’Holocauste et par l’ingestion de produits illicites, il n’était pas assez solide pour ce milieu et pour affronter la gloire.
Mike Brant, Laisse-nous t’aimer est un bien beau spectacle. Quelle que soit son âge on ne peut qu’être sensible à ce destin brisé. Grégory Benchénafi, qui joue le rôle titre, est un Mike absolument convainquant. Il est charismatique à souhait, il possède une voix magnifique et il est un excellent acteur. Les jeunes femmes qui incarnent Sylvie Vartan et Dalida sont troublantes de mimétisme. Le comédien qui incarne Simon Kaufmann est impressionnant de puissance destructrice. Il fait véritablement peur. Un grand numéro d’acteur ! Celui qui joue Manuel est pittoresque et attachant, et la maman tient sa place (essentielle) avec beaucoup de générosité et de sensibilité.
Laissez-vous y aller, vous allez l’aimer ce spectacle.