On s'en revenait donc de notre dernier objectif, au nouveau monde ("Nový Svět"), et on se disait comme ça, que vu qu'on était dans le coin, qu'on irait bien se jeter quelques roteuses bien méritées au boeuf noir, un de mes trous préférés que je ne fréquente plus qu'occasionnellement. En effet, il y officie trop régulièrement un primitif néandertalien d'envergure cosmique, et son insupportable crétinisme préhistorique doublé de sa misanthropie congénitale envers les clients provoquent en moi des poussées allergiques de furoncles irritants, conséquences d'une pulsion meurtrière inassouvie.
Bref, j'imaginais déjà l'accueil au monastère... Mais ma chérie d'amour ne se dégonfla pas, et suivie du John, ils allèrent demander au gendarme-ressemblant si l'on pouvait joindre la visite. Ben croyez-le ou non, l'on put. En fait, le bon bougre n'était aucunement gendarme, ni gardien de la paix, mais aumônier en chef de la garde du château de Prague, le capitaine "Vladimír Hudousek". Et comme apparemment il organisait la visite de la crèche pour les gosses, il nous laissa entrer avec eux. Sympa moi j'dis. Quant au capucin, un bon p'tit vieux avec une bonne bouille de capucin et un accent morave prononcé, ben chais pas qui c'était, parce que contrairement à "Vlád'a", son nom n'était pas inscrit sur sa soutane. Quoi qu'il en soit, merci messieurs pour votre affabilité, votre gentillesse et pour les informations fournies durant la visite. Je vous en sais sincèrement gré, tout plein de reconnaissance assurée, vraiment merci de notre part d'à nous trois.
Alors l'église Ste Marie des anges ("Kostel Panny Marie Andělské") est sobre et austère, gravement. Elle se compose d'un unique vaisseau atypiquement orienté Nord-Sud, simplement couvert d'une voûte en berceau (demi-cylindre), et chichement embelli de 2 chaplettes latérales. Elle est architecturalement parlant très loin de ce que Prague recèle en termes de splendeur baroque, d'exubérance, de fantaisie. Cette petite église-là ne possède aucun clocher, sinon une flèche pour le sanctus (cf. Ste Ludmila), et correspond exactement à l'esprit d'austérité de l'ordre officiant en ses murs: "Ordo Fratrum Minorum Capuccinorum", dit "les capucins". Pour info, dedans la flèche se trouve une cloche pendue en 1714, et fondue par le fameux maître saintier "Mikuláš Löw" dont je vous avais longuement parlé à propos de l'église St Tignasse.
Sinon avant même de continuer, je rappelle aux athées qui seraient à juste titre perdus dans les méandres impénétrables des ordres religieux, que les capucins sont une branche des franciscains (ordre des frères mineurs) patenté (l'ordre) au registre du commerce par St François d'Assise en 1210. Les capucins furent eux patentés en 1525 par Matthieu de Baschi (mais enregistrement papal en 1528), et firent scission de la branche franciscaine alors trop opulente afin de retourner aux joies simples de l'austérité, de la pauvreté, et de la mendicité telles qu'elles furent prônées en ses débuts par St François d'Assise (cf. Antoine Henri de Bérault-Bercastel, Histoire de l'église, p.47 "L'ordre de saint François qui lui avoit été si utile, étant tombé dans un relâchement pitoyable, Dieu suscita un de ses religieux nommé Matthieu de Baschi, pour y rétablir, avec la ferveur primitive, la pauvreté apostolique et tout l'esprit de l'apostolat" ). Les capucins arrivèrent en Bohême le 13 novembre 1599 par le vol de Vienne de 16:43, invités par l'archevêcardinal de l'époque "Zbyněk Berka z Dubé a Lipé", qui entendait ainsi faire jouer la concurrence entre les ordres catholiques, et faire baisser le prix de la messe au grand bonheur des zouailles. Anecdote.
D'un point de vue architectural et urbanistique, le domaine se compose de plusieurs parties construites en diverses périodes. La plus ancienne tranche, aux abords de l'église, est de type renaissance tardive et s'articule autour du jardin d'Eden (cour intérieure dans les abbayes). Au nord se trouve un spacieux réfectoire perpendiculaire à la cuisine qui dispose encore aujourd'hui d'un bassin en pierre gravé de l'année 1738, et destiné à contenir des poissons vivants (aqua-vivarium, parce que le vendredi, c'est poisson frit). Au premier étage, se trouvent les cellules spartiates des moines: espace minimal, décoration absente, Internet bas débit et aisances communes dans la cour. Vers 1665 fut construit un second jardin d'Eden (vers l'Est), entouré cette fois d'édifices de type baroque moyen. Puis entre 1739 et 1748, l'on édifia encore un troisième jardin d'Eden (encore plus à l'Est), bordé cette fois de bâtiments de type baroque tardif (ah ben ça, sans réelle architecte, faut pas s'attendre à du "Kaplický" non plus). Le complexe possédait sa propre pharmacie dont il ne reste plus que le plafond à caissons peints (une partie du mobilier se trouve au musée national), comme sa propre bibliothèque toujours en fonction, et pourvue de son mobilier baroque (accessible au public après inscription auprès des moines).
L'autel principal dans l'église représente la stigmatisation de St François d'Assise (dont je vous passe les détails), et fut peint en 1602 par "Paolo Piazza", devenu lui même capucin sous l'appellation "(Fra', poi Padre) Cosimo da Castelfranco" en 1598. Selon une autre source, ce tableau représenterait St François réclament à Jésus la fameuse indulgence de la Portioncule. Hum... c'est pas vraiment très clair, et c'est pas vraiment très important non plus. Par contre ce qui est tout à fait remarquable, c'est que ce tableau d'apparence anodine représente un exceptionnel exemple de maniérisme vénitien (à Prague), et mérite quelques lignes dans cette publie. Il était une fois le peintre vénitien "Jacopo Palma il Giovane", ("Jacopo Negretti", dit Palma le jeune), d'influence Raphaël, Titien, Caravage... A la mort du fabuleux Tintoretto (1594), Palma the young devint le peintre à la mode de Venise, et coqueluche du monde des arts en Europe, parmi lesquels (monde des arts) notre bonne bourrique de Rudolf II.
La sacristie est une des parties les plus anciennes de l'église, cependant je ne l'ai pas visitée, aussi je ne peux pas vous en dire grand chose. La chaire date de vers 1750, et dispose de l'élément caractéristique des chaires franciscaines: un bras tendu tout seul, comme momifié, tenant dans la main un crucifix afin de rappeler au prêcheur comme aux ouailles que dieu est partout, qu'il voit tout, qu'il entend tout, et que depuis le 2 mai 2008, dieu est bio afin de se conformer à la circulaire relative à l’exemplarité de l’Etat en matière d’utilisation de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective (n'oubliez pas que dieu se mange et se boit). La tribune d'orgue fut rajoutée en 1769, lorsque les moines en eurent assez de chanter "a cappella".
D'extérieur, la façade est tout autant sobre que le reste du dedans. Le tympan est un triangle rectangle presqu'isocèle, et tout est dépourvu de la moindre statue, de la moindre colonne, de la moindre stucature. Seule une fresque et moult boulets de canons ornent cet édifice (je reviendrai dessus, la fresque comme les boulets de canons). Dans la première moitié du XVIII ème siècle, le domaine fut relié à la Lorette (complexe de..., également sous administration des capucins) par un "pont des soupirs" couvert, parce que l'austérité, la pauvreté, ça va bien un moment, mais quand il pleut ou qu'il fait -10°C, faut pas déconner non plus, genre.
En cette période (première moitié du XVIII ème siècle), la province capucine de Bohême était à son apogée. Fin XVII ème siècle l'on comptait 21 monastères capucins, et en 1766 l'on recensa 566 prêtres, 40 étudiants et 203 frères laïcs (tous de sexe masculin). Pis arrivèrent les reformes d'à Joseph II. Fin XVIII ème siècle, le monastère se trouvait sur la liste noire (les lieux de culte à fermer), et bien qu'il ne fut pas désacralisé (pour je ne sais quelle raison), le nombre de moines fut drastiquement réduit.
Anecdotes et historiettes: le 25 mai 1632, lors de la guerre de 30 ans, lorsque les Saxons occupaient Prague, les moines firent péter le mur d'enceinte de la ville accolé au monastère, permettant ainsi aux armées d'Albrecht Wallenstein de pénétrer dans la cité et foutre l'occupant Saxon à la porte.
En mai 1757, lors de la guerre de 7 ans, les Prussiens bombardèrent Prague assiégée à grand renfort de boulets de tailles diverses. Les dégâts sur les monuments furent énormes, principalement du côté de "Hradčany", "Pohořelec" et "Strahov". Aussi en souvenir des souffrances, les habitants incrustèrent dans les bâtiments touchés, les boulets de canons tombés sur la ville. Et les moines capucins ne furent pas en reste, parce que sur les façades Ouest et Sud, ce sont plusieurs dizaines de boules en fonte qu'ils incrustèrent de ci et de là (cf. mes photos). Du coup, j'ai dû décevoir les, qui pensaient que ces boulets s'étaient incrustés dans les murs lors des tirs prussiens. Ben non, du tout, et ça irait à l'encontre des lois élémentaires de la physique. Ces boulets furent intentionnellement posés là par les praguois comme une déco d'en souvenir de.
Sinon l'histoire des capucins qui sonnaient les cloches et perturbaient la concentration du mathématicien impérial Tycho, vous pouvez la lire là, dans une ancienne publie.
Et puisqu'on parle tableau. Il en est un, dans le monastère, représentant un Christ avec une couronne d'épines sur la tête. Longtemps on l'a cru être un pur "Da Vinci" véritable (comme le St Suaire de Turin :-) mort de rire, j'ai vu le reportage récemment à la téloche). Il s'avère que non, que ce n'est qu'une copie d'une croûte de Luis de Morales, sans doute arrivée à Prague par l'intermédiaire du Rudolf (élevé à la cour des Spagnes). Comment ce tableau sans "réelle" valeur eut fini chez les capucins? Mystère et boules de gnomes. Mais il est fort à parier que ce bougre d'empereur l'aurait échangé aux capucins contre une de leur croûte nettement plus précieuse, le goupil.
Et tiens, le Rudolf, encore lui. Il était une fois, dans la ville de "Rottenburg (am Neckar)" ("Baden-Württemberg"), une statuette de la vierge Marie, adorée des fidèles catholiques qui lui vouaient une adoration intense. Et tout allait bien. Sauf qu'arrivèrent les luthériens, et c'était pas cool pour la statuette. Puis arrivèrent les calvinistes (les potes de Dana d'à Genève :-) et c'était vraiment dur dur pour la statuette (comme pour les autres oeuvres d'art). Vers l'an 1550, ces foutus bougres iconoclastes firent un grand feu de joie, dans lequel ils jetèrent pleins de peintures et de sculptures saintes, parce qu'ils étaient comme ça, les calvinistes. Et parmi les oeuvres d'art foutues au feu, ben y avait notre vierge Marie. Or ce même jour, alors que la statuette se trouvait dans le feu depuis suffisamment longtemps pour être grillée carbone comme une tranche de boeuf dans un restau tchèque, ben ce même jour se promenait en ville ("Rottenburg") "Jan Barvitius", officiellement secrétaire et (mauvais) bras droit attitré du Rudolf, officieusement conseillé en couillonneries secrètes et vermine opportuniste notoire.
Sinon une petite pièce est tout spécialement consacrée à une crèche, laquelle était par ailleurs le but de la visite de l'attroupement suspect. Mais attention, quand je dis une crèche, c'est pas n'importe laquelle du tout non plus, attention. Il s'agit d'une crèche de vers 1780, composée d'une cinquantaine de figurines dont les humains sont grandeur nature (autour de 175 cm). Elles (figurines) sont faites en papier, en paille, en plâtre, colorées en habits d'époque et badigeonnées à la résine de pin pour la conservation. Vous y verrez des rois mages, des bergers, un p'tit Jésus avec sa vierge maman et son pas vierge papa, des brebis (dont les 2 principales sont en vraie peau, avec de la vraie laine dessus), un chien, et tout plein d'autres faire-valoir. Un des moines passa une dizaine d'années à fabricoter tout ce joli fourbi, et aujourd'hui, les gens font des queues inimaginables en saison de Noël afin de voir cette oeuvre insolite. Curiosité: il est devant la crèche, une petite cassette destinée à recevoir les dons des bonnes gens, histoire d'améliorer l'ordinaire des capucins. Si vous glissez une pièce dans la fente (même des Euros), les 2 brebis devant la tanière du Jésus se mettront à bêler d'une voix rauque (à cause de la fumée des Havanes d'à dieu, cf. Serge Gainsbourg), et remueront la tête de haut en bas et de gauche à droite, comme pour dire, "merci, mais c'est pas assez, glissez encore une autre pièce".
Ben voilà, donc si vous passez du côté de la Lorette ou du nouveau monde, mettez-voir un oeil dans l'église Ste Marie des anges de Prague, des fois qu'elle serait ouverte, lors d'une messe (et z'avez même pas besoin de vous costumer sur votre 31). Et avant d'en terminer, je souhaite remercier encore une fois le capitaine "Vlád'a" comme le bon capucin qui nous permirent cette visite impromptue. Ste Marie de trouve ici: 50°5'24.19"N, 14°23'26.67"E.