Concilier engagement politique et foi catholique n’est pas toujours une chose aisée. Edmond Michelet en est un modèle du genre. Première partie.
Il y a exactement quarante ans, le 9 octobre 1970, Edmond Michelet disparaissait après avoir suivi un chemin de vie exceptionnel. Résistant avant l’heure, déporté des camps au point d’avoir failli y rester, fidèle parmi les fidèles du Général De Gaulle, Edmond Michelet a cultivé cette double appartenance politique, la démocratie chrétienne dont il était proche sur le plan des idées et le gaullisme "historique" dont il était proche sur un plan un peu plus personnel. Edmond Michelet est mort "les bottes au pied", en ministre épuisé.Un homme simple catholique social
Né le 8 octobre 1899 à Paris 19e, Edmond Michelet fut le pur produit d’un mélange entre une mère monarchiste et un père très autoritaire se revendiquant du catholicisme social (grand admirateur du "Sillon", mouvement de Marc Sangnier qui a tenté de concilier christianisme et république et qui était bien implanté dans les milieux ouvriers). Deuxième garçon d’une famille de cinq enfants mais dont l’aîné est mort très jeune, il est devenu très tôt l’aîné de la fratrie. Lui-même a eu sept enfants dont le célèbre romancier Claude Michelet.
Sans diplôme autre que le certificat d’études qu’il obtint en 1912, Edmond Michelet devint courtier assermenté en produits alimentaires, comme son père négociant à Pau. Il s’est porté volontaire en 1918 pour combattre durant toute la guerre. Après la Première guerre mondiale, il s’investit dans la Jeunesse catholique, d’abord à Pau, puis à Brive à partir de 1925. Il lança en 1931 les "équipes sociales" et anima également les "nouvelles équipes françaises" dans le sillage de Marc Sangnier.
Le premier résistant de France
Père de famille nombreuse, Edmond Michelet ne fut pas mobilisé en 1939 mais il réussit malgré tout à aider les réfugiés et à organiser le secours national. Le 14 juin 1949, il éclata en sanglots quand les Allemands occupèrent Paris.
Edmond Michelet refusa la capitulation de la France et à 40 ans, il fut considéré comme le premier des résistants pour avoir distribué des tracts dans les boîtes aux lettres de Brive le… 17 juin 1940 au soir, soit un jour avant le fameux appel de De Gaulle.
Dans ce tract, il citait un auteur chéri également par De Gaulle, Charles Péguy (mort pendant la Première guerre mondiale) en ces termes : « Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend. En temps de guerre, celui qui ne se rend pas est mon homme quel qu’il soit, d’où qu’il vienne et quel que soit son parti. Celui qui rend une place ne sera jamais qu’un sal**d, quand même il serait marguillier de sa paroisse... ». Il l’avait imprimé grâce à un marchand de machines à écrire de Brive, Frédéric Malaure, et distribué durant la nuit avec quelques autres amis, enseignants ou ouvriers.
Cet engagement très tôt n’était pas très étonnant. En effet, Edmond Michelet avait dans les années 1930 organisé une série de conférences sur thème : "Les dangers qui menacent notre civilisation" et il y avait entre autres sujets : "L’antisémitisme", "Le racisme", "L’État totalitaire" et également "Comment défendre la personne humaine en danger ?".
Selon son petit-fils, Mgr Benoît Rivière, évêque d’Autun depuis 2006 (et abbé de Cluny), Edmond Michelet « a éprouvé la honte d’une capitulation indigne de la France. L’acte du 17 juin est un acte moral fondé sur une défense de la liberté. »
Déporté exemplaire à Dachau
Il prit la tête du mouvement "Combat" dans le Limousin (sous le pseudonyme de Duval) mais fut arrêté par la Gestapo à Brive le 25 février 1943. D’abord interné à Fresnes, il fut déporté à Dachau le 15 septembre 1943 où il se lia d’amitié avec Louis Terrenoire. Pendant vingt mois terribles, Edmond Michelet eut un comportement exemplaire de générosité et de courage dans le camp. Un ancien déporté a écrit par la suite : « Je suis athée, mais pour nous tous, Michelet, c’est l’image que nous pouvons nous faire d’un saint. ». Il avait réussi à réunir toutes les tendances politiques au sein du camp afin d’aider leurs camarades. Le camp fut libéré le 29 avril 1945. Le 6 mai 1945, Maurice Schumann, porte-parole de De Gaulle à la BBC, le rencontra pour la première fois.
Il fut parmi les déportés à rentrer le plus tard en France, le 30 mai 1945, maigre et malade du typhus exanthématique (transmis par les poux). Son sens moral le désigna pour présider le Comité patriotique français de Dachau qui s’occupait du rapatriement des déportés français et espagnols (ce qui explique qu’il rentra tardivement en France).
Plus tard, lors d’expositions sur Dachau, Edmond Michelet soufflait à ses jeunes invités : « Tu vas voir, tu vas pleurer, mais tu ne comprendras pas. Pour comprendre, il faut avoir été ici avec la mort. »
Une carrière politique sous le signe de De Gaulle
Il fut élu député de la Corrèze le 21 octobre 1945. Par effraction, il entra au gouvernement de De Gaulle le 21 novembre 1945 pour une raison bien précise. De Gaulle cherchait un homme capable de coopérer avec un communiste mais aux valeurs suffisamment fortes pour résister aux pressions communistes. Mgr Benoît Rivière l’évoque ainsi : « De Gaulle a demandé qu’on lui indique des résistants qui avaient été au coude à coude avec les communistes pendant l’Occupation sans rien céder sur le plan de la pensée politique. Le père Maydieu lui a suggéré Michelet. L’homme d’État l’a rencontré et nommé Ministre des Armées. Mon grand-père a cru que c’était une erreur de casting car il n’était pas militaire. ». Edmond Michelet était hiérarchiquement juste après De Gaulle (qui s’était attribué la Défense nationale). Dans le même gouvernement, parallèlement, le communiste Charles Tillon était nommé Ministre de l’Armement.
Un (petit) acteur de la IVe République
Edmond Michelet resta à son ministère même après démission de De Gaulle le 26 janvier 1946 à la demande de ce dernier dans les deux gouvernements provisoires suivants, dirigés par Félix Gouin puis par Georges Bidault, jusqu’au 16 décembre 1946. De Gaulle voulait en effet maîtriser les armées susceptibles d’être épurées juste après la guerre. Michelet fut réélu deux fois député MRP le 2 juin 1946 et le 10 novembre 1946 mais fut battu le 17 juin 1951.
Fidèle au catholicisme social (comme Maurice Schumann), Edmond Michelet appartenait au MRP (Mouvement des républicains populaires, issu de l’ancien PDP entre guerres et préfigurant le CDS, Centre des démocrates sociaux de Jean Lecanuet, Pierre Méhaignerie et François Bayrou). Mais il fut exclu du MRP en 1947 pour avoir souhaité (et prédit) le retour de De Gaulle. Il rejoignit naturellement le RPF (Rassemblement du peuple français) de De Gaulle (comme d’autres démocrates-chrétiens gaullistes) puis (après l’échec du RPF) le groupe des républicains sociaux (à l’instar de Jacques Chaban-Delmas).
Durant son mandat de député, Edmond Michelet se préoccupa intensément de la condition des militaires et de leur famille, mais également de l’OTAN, de l’Indochine et des anciens déportés. Le 9 novembre 1950, avec Louis Terrenoire, il déposa un amendement demandant la libération de Philippe Pétain (94 ans), en signe de pardon et d’apaisement. Cet amendement fut rejeté par 496 voix contre 98.
Le 18 mai 1952, il se fit élire conseiller de la république, autrement dit sénateur, de Paris au groupe RPF. Il exerça une activité parlementaire très boulimique. Président de la commission sur les affaires d’Indochine le 11 octobre 1955 puis vice-président du Conseil de la République le 3 octobre 1957, en six ans, il a déposé vingt-neuf rapports ou propositions de loi sur divers sujets (notamment sur l’amnistie, sur le Cambodge et le Sud-Vietnam, etc.). Il fut par ailleurs délégué de la France auprès de l’ONU entre 1954 et 1957.
Il est réélu le 8 juin 1958 après avoir voté les pleins pouvoirs à De Gaulle. Puis encore réélu au Sénat le 26 avril 1959 pour un mandat qu’il abandonna dès le 28 mai 1959 en raison de sa présence au gouvernement.
Un des grands hussards de la Ve République
De Gaulle le rappela lorsqu’il revint aux affaires après la crise de mai 1958 : Edmond Michelet fut alors nommé Ministre des Anciens combattants et victimes de guerre le 9 juin 1958, puis Ministre de la Justice le 8 janvier 1959 après l’élection de De Gaulle à l’Élysée.
C’est à ce poste qu’Edmond Michelet a eu les moyens d’agir en homme de foi. Il a cherché à humaniser à et moderniser la justice en adoucissant la condition carcérale et en réformant le régime des sociétés, les régimes matrimoniaux, le statut de la famille.
Sa proximité intellectuelle avec le Général De Gaulle fit d’Edmond Michelet un gardien singulier de l’esprit de la VeRépublique. Dans "La querelle de la fidélité ; peut-on être gaulliste aujourd’hui ?" (préfacé par André Malraux), Edmond Michelet écrivait son refus du quinquennat avec concordance des élections présidentielle et législatives : « Tout ce qui a pour objet de lier l’élection du chef de l’État à quelque chose qui ressemblerait à l’élection d’un chef de parti, à jumeler l’élection du chef de l’État avec celle d’une éventuelle majorité, est aberrant. ». Il entretenait la même méfiance que De Gaulle vis-à-vis des partis politiques, ayant connu les manœuvres dont il fut victime au sein du MRP juste après la guerre.
Son opposition au Premier Ministre (et néanmoins ami) Michel Debré sur la politique algérienne l’obligea à donner sa démission le 24 août 1961 (Jean Foyer le 14 avril 1962 et Alain Peyrefitte 30 mai 1977 furent ses successeurs gaullistes les plus célèbres). Edmond Michelet était en effet partisan de prendre en compte le fait que les prisonniers du FLN allaient devenir à terme des interlocuteurs obligés de la France lorsque l’Algérie deviendrait indépendante et demandait donc que les traitements contre eux fussent humanisés. Il ressentit assez mal son éviction du gouvernement.
Jacques Chaban-Delmas, Président de l’Assemblée Nationale, le nomma ensuite le 17 février 1962 au Conseil Constitutionnel, mission qu’il conserva jusqu’au 8 avril 1967 lors de son retour au gouvernement.
Pendant cette période (1962-1967) où il fut éloigné de De Gaulle, Edmond Michelet se prit à rêver d’être l’intermédiaire entre De Gaulle et le Comte de Paris, prétendant au trône de France, avec qui il a entrepris des relations. Il fut également régulièrement écouté au Vatican, par le pape ou des membres de la Curie.
Il chercha une nouvelle zone d’implantation électorale et le 12 mars 1967, face à un communiste au second tour, il parvint non sans difficulté à se faire élire député de Quimper dans le Finistère dans une région catholique très réticente au gaullisme. C’était un parachutage qu’il a quand même réussi grâce au soutien de De Gaulle qui a fait deux fois le déplacement pour lui. Il renonça à son mandat le 7 mai 1967 puis fut réélu le 30 juin 1968 et renonça de nouveau à son mandat le 22 juillet 1969.
Le 6 avril 1967, Edmond Michelet fit son retour dans le gouvernement de Georges Pompidou comme Ministre d’État chargé de la Fonction publique qu’il quitta le 31 mai 1968 (au profit de Robert Boulin). Pendant ces quelques mois, Edmond Michelet réforma la grille indiciaire des fonctionnaires, révisa le statut de l’ENA et s’occupa de la déconcentration administrative. Il a apporté aussi tout son soutien aux initiatives de De Gaulle sur le Québec libre et à une coopération étroite avec l’Allemagne et l’Algérie.
Il resta pendant un mois Ministre d’État sans portefeuille jusqu’au départ (forcé) de Georges Pompidou (après sa victoire aux élections législatives) le 10 juillet 1968. Edmond Michelet, trop proche de ce dernier, ne fut pas nommé au sein du gouvernement de Maurice Couve de Murville et resta député inscrit à la Commission de la défense. Le 23 juillet 1968, il soutint un amendement pour amnistier les personnes poursuivies pour fait de collaboration. Il avait toujours à l’esprit cette parole d’Évangile : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous maltraitent. ». Il s’était également beaucoup impliqué dans la réforme universitaire mise en œuvre par Edgar Faure, le Ministre de l’Éducation nationale, et sur l’exercice du droit syndical dans les entreprises.
L’échec du référendum du 27 avril 1969 secoua Edmond Michelet qui, pour s’opposer à Alain Poher (tombeur de De Gaulle), mit toutes ses forces pour soutenir Georges Pompidou.
Ce dernier, nouvellement élu Président de la République, l’appela dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas pour succéder à l’emblématique André Malraux au Ministère des Affaires culturelles le 20 juin 1969 toujours avec le titre de Ministre d’État. Sans renier la politique culturelle d’André Malraux, Edmond Michelet s’est surtout focalisé sur la défense du patrimoine avec une loi sur les monuments nationaux le 17 juin 1970 venant compléter la loi du 31 décembre 1913.
De Gaulle et Michelet
De Gaulle aimait bien Edmond Michelet notamment sur leur admiration commune de Charles Péguy. Il le qualifiait ainsi : « esprit ouvert, cœur généreux, compagnon fidèle ». De Gaulle avait dépêché Edmond Michelet et Alain Peyrefitte (jeune ministre normalien) sur la tombe de Péguy lors du cinquantenaire de sa mort en 1964.
Selon Mgr Benoît Rivière, « C’était une fidélité sans faille. Mon grand-père portait sur [De Gaulle] une grande admiration. De Gaulle était une figure, un personnage hors catégorie et finalement très pudique. Mais je crois pouvoir dire que les deux hommes s’estimaient profondément. (…) Entre eux, il y avait une confiance immense, totale. Papamond [nom utilisé par les petits-enfants d’Edmond Michelet pour le désigner] était entier. En revanche, il n’y avait rien qui pouvait les rapprocher au plan humain. De Gaulle était solitaire, un homme de devoir. Mon grand-père avait plein d’amis. Seule la vision des choses les rapprochait. »
La conception qu’Edmond Michelet avait de ses responsabilités ministérielles était très morale et sans ambition personnelle, ministre dans le sens religieux de serviteur. En 1965, il écrivait ceci : « Un homme d’État ne peut dissocier sa vie privée et sa vie politique : il faut vivre comme on pense »
Disparition d’un homme d’exception
Edmond Michelet, épuisé et souffrant d’insuffisances respiratoires, prononça l’éloge funèbre de l’écrivain François Mauriac mort le 1er septembre 1970, un Mauriac qu’il considérait comme « cet artiste en moi que tout enrichit ; ce monstre qui de toute douleur s’engraisse »
Le 9 octobre 1970, Edmond Michelet est mort le lendemain de son 71e anniversaire à Marcillac à la suite d’un accident vasculaire cérébral survenu sur la route du Mans peu de temps avant. Dans la chambre où il est mort, il avait accroché ce mot : « Ma grâce te suffit… »
Edmond Michelet s’est éteint un mois exactement avant De Gaulle et quatre mois après le radical corrézien Henri Queuille.
Edmond Michelet repose dans la chapelle Notre Dame de la Paix à Marcillac (en Corrèze) dans sa tenue de bagnard à Dachau et sur sa tombe est inscrite une citation de saint Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars : « Il nous demandera si nous avons employé nos forces à rendre service au prochain. »
Depuis 1976, l’Église catholique instruit un dossier en vue de la béatification d’Edmond Michelet. Si le fait qu’il soit béatifié voire sanctifié ne change rien à sa vie, cela signifierait avant tout que l’Église reconnaîtrait l’importance de l’engagement politique dans le rôle des chrétiens.
Bien qu’ayant donné son nom à de nombreux lycées, écoles et à de nombreuses rues, places, Edmond Michelet est très peu connu du grand public alors que son comportement personnel mériterait d’en faire un modèle pour les générations futures et pour la classe politique en particulier.
Dans les deux prochains articles sur Edmond Michelet, j’évoquerai, d’une part, les notes qu’il a écrites pendant la Seconde guerre mondiale où tous les enjeux de la future IVe République étaient déjà en discussion et, d’autre part, sa face plus religieuse avec cette instruction en béatification et quelques discussions concernant son comportement de Ministre de la Justice pendant la guerre d’Algérie.
Un colloque pour approfondir
Pour les personnes intéressées par la personnalité d’Edmond Michelet, je les invite à assister au colloque qui se tiendra au grand auditorium du Collège des Bernardins (20 rue de Poissy à Paris 5e) les 10 et 11 décembre 2010 sur le thème : "Edmond Michelet, un chrétien dans la vie politique" avec des interventions entre autres de Gérard Larcher (Président du Sénat), Jacques Barrot (membre du Conseil Constitutionnel), Jean Charbonnel (ancien ministre et ancien maire de Brive), Jean-Marie Mayeur (historien), Gabriel de Broglie (écrivain)… Le programme provisoire est proposé à ce lien et l’inscription se fait sur le site officiel.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (9 octobre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bibliographie Internet sur Edmond Michelet.
Un colloque organisé en décembre 2010.
Programme de ce colloque.
Enregistrement de l’INA sur le soutien d’Edmond Michelet à Georges Pompidou (11 juin 1969).