L'ÉGYPTOLOGIE TCHÈQUE : III. LES FOUILLES D' ABOUSIR DURANT LA DERNIÈRE DÉCENNIE DU XXème SIÈCLE - 13. LE DEUXIÈME CERCUEIL GIGOGNE D' IUFAA

Publié le 09 octobre 2010 par Rl1948

   Un assourdissant silence s'était emparé du caveau funéraire.  

   Tous étaient frappés.

   On surprit même Zahi Hawass en personne se taisant ... Le chapeau rivé, les mains dans les poches de son jeans bleu foncé, il pensait. Probablement à ce que, dans quelques instants, tonitruant, il révélerait à la presse.

   Seuls bientôt rompraient notre silence le cliquetis des chaînes et le grincement des poulies qui, une fois encore, seraient sollicitées pour soulever un pesant couvercle.

     A la surface, là-haut, à quelques vingt-deux mètres au-dessus de nous, dans le cimetière saïte aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir, s'entendait l'excitation manifeste chez chacun des journalistes de la presse internationale invités à couvrir l'événement par le tout (trop ?) puissant patron du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes.

     Mais à notre niveau, le temps semblait s'être figé : nous venions d'assister, souvenez-vous, à la fin du dégagement de tout ce qui, dans l'impressionnant sarcophage de calcaire blanc, recouvrait une nouvelle merveille : un deuxième cercueil - gigogne - , anthropomorphe et en  basalte vert foncé, destiné à protéger la momie d'Iufaa.Car contrairement à ce que nous croyions de prime abord, ce n'était pas elle qui nous était apparue dès le déblaiement des gravats, mais bien une merveille de l'art funéraire de Basse Epoque.

 

   Invités que nous sommes une fois encore ce samedi à poursuivre notre découverte du tombeau retrouvé intact de ce haut fonctionnaire palatial du temps des derniers souverains de la XXVIème dynastie - nous sommes ici au milieu du VIème siècle avant notre ère -, nous ne savons ce qu'il faut admirer le plus : sont-ce les colonnes de magnifiques hiéroglyphes colorés qui courent de haut en bas sur les parois  internes de la cavité anthropoïde du premier sarcophage rectangulaire de calcaire blanc, textes dont on n'aperçoit pas la fin ? Ou, dans ce même décor, les figures de quelques divinités du panthéon égyptien : Rê-Horakhty, Sekhmet, Bastet, Ouadjet et le peu connu Tutu, le Tithoès des Grecs, représenté en tant que dieu sphinx et qui n'apparut précisément qu'en ces temps-là ?

     Ou encore, merveille des merveilles, le deuxième sarcophage d'Iufaa, en basalte vert-foncé, de 2, 20  mètres de long et 90 centimètres de large ? Le visage encadré par une perruque tripartite et le menton orné de la barbe recourbée caractéristique des défunts devenus un nouvel Osiris, il paraît opposer au monde des morts et des lamentations un sourire d'une sérénité confondante, si certain qu'il semble être d'accéder au Bel horizon, si apaisé d'avoir été reconnu Juste de voix par le Tribunal osirien.

   Ou enfin, - et c'est peut-être ce qu'en premier nous sauta aux yeux -, l'abondance, mais aussi l'excellence des hiéroglyphes de l'imposant couvercle recouvrant la cuve dans laquelle nous verrons sous peu la momie : en effet, autour de la représentation d'un grand scarabée magnifiquement gravé en creux - figuration du verbe Kheper, qui signifiait tout à la fois,  "être", "devenir", "venir à l'existence" et évoquait de la sorte le principe de l'éternel retour, celui de la régénération dans l'Au-delà qu'espérait tout défunt -, répondaient à celles du pourtour des dizaines et des dizaines de colonnes de signes finement incisés dans la pierre sombre ; formules manifestement à nouveau religieuses que l'on pourrait définir de prophylactiques dans la mesure où, là aussi, les prières étaient prévues pour assurer au jeune défunt un confortable avenir dans l'Au-delà

     Caractéristique d'une conception funéraire de l'époque saïto-perse, cette profusion hiéroglyphique - cette surcharge regretteront assurément certains - avait ici pour conséquence de ne laisser vierge d'inscriptions que le visage, les deux pans de la perruque et une partie du poitrail modelés sur le couvercle : tout ce qui avait pu être décemment utilisé pour recevoir les formules protectrices l'avait été.

   Remarquable découverte, précieuse manne évidemment pour ceux des égyptologues qui plus spécifiquement plébiscitent l'épigraphie. Du travail de traduction en perspective, certes, mais surtout, et c'est là inestimable, une base de réflexions, de conclusions quant aux conceptions funéraires de cette époque bien particulière, charnière même, de l'histoire du pays.

   

   Le trouble manifeste qui nous anime aujourd'hui, vous et moi, devant tant de savoir-faire, tant de finesse, tant de délicatesse d'exécution chez des artistes d'il y a quelque deux mille cinq cents ans, nous a fait oublier la plus élémentaire des politesses sociales en semblable circonstance : Ladislav Bares et son équipe souhaiteraient en effet que nous nous reculions, que nous ne stationnions par outre mesure au bord des cercueils de manière à permettre à tous ceux qui, comme nous, participent de ce privilège d'être présents dans la chambre sépulcrale, d'avoir un instant aussi visuellement accès à la beauté antique.

   Une deuxième raison, plus immédiatement pratique en réalité, motive la bien compréhensible requête de nos amphitryons tchèques : quand tous nous nous serons avidement rassasiés de tant d'élégance, ils désireraient retirer le couvercle du deuxième sarcophage pour enfin accéder à la momie d'Iufaa.

   Comme pour le premier, des moyens techniquement plus sophistiqués que ceux qu'indubitablement avait dû employer le personnel égyptien  du VIème siècle avant notre ère en vue de procéder à l'opération exactement inverse furent convoqués.

     (Document trouvé ici sur le Net) 

     La manoeuvre, aussi délicate que celle qui consista à  précédemment retirer la première dalle, se révéla toutefois moins problématique : aucune résistance ne fut opposée aux ouvriers par la présence d'une quelconque matière "soudant" ensemble couvercle et cuve proprement dite.

   Toutefois, une nouvelle surprise fut au rendez-vous : Iufaa n'ayant manifestement pas lésiné sur sa protection post mortem, dans cette deuxième enveloppe de pierre reposait, non pas con corps momifié que tous  nous attendions, mais une troisième bière : un cercueil à nouveau anthropoïde, mais en bois cette fois, de 1, 84 mètre de long et 48 centimètres de large, ou plutôt, apparemment, ce que l'humidité ambiante depuis deux millénaires et demi avait permis d'en conserver ...

  

   Un instant, un instant seulement, gênés peut-être, mais heureux d'avoir la chance de fouiller un tombeau inviolé, les archéologues avaient oublié que l'homme n'est pas toujours le seul responsable de déprédations irrémédiables : la Nature, aussi, se rappelle volontiers à leur souvenir. Et dans cette nécropole d'Abousir, plutôt deux fois qu'une ! La déception, alors, n'eut d'égale que l'espérance de tout retrouver parfaitement intact qui avait accompagné les différentes étapes de leur fouille. 

   Perceptiblement, la déconvenue, naturelle en la circonstance, se lisait sur le visage de l'équipe : dans quel état les éléments de la dernière (?) protection mortuaire d'Iufaa nous apparaîtraient-ils ?  Et sa momie, par la suite ?

   Nous n'osions approcher pour nous pencher au-dessus de la cuve, pour embrasser d'un regard ce qu'elle nous réservait.

   Et pourtant ...

(Bares : 2005 ; Verner : 2002, 192-205)