Pour un nouveau Concordat

Publié le 02 janvier 2008 par Roman Bernard
souvent indignées, au discours prononcé par Nicolas Sarkozy au Vatican le 20 décembre dernier, ont parfois semblé d’un autre âge. Tout en reconnaissant que le président de la République avait raison lorsqu’il rappelait que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes » -mais son prédécesseur avait bien trouvé le moyen d’affirmer le contraire, au mépris de la réalité historique-, certains défenseurs de la laïcité se sont émus d’un retour du religieux dans le discours politique, augurant selon eux d’une remise en cause de la laïcité telle que l’Etat français la définit depuis la loi de 1905.
Il n’y a pourtant rien d’obscurantiste à rappeler que la France, dont l’histoire s’est confondue avec celle de l’Eglise treize siècles durant, doit pour une très large part ce qu’elle est au christianisme. Les protestations de ces laïcards ont surtout paru ignorer l’évolution du paysage religieux français depuis le début du siècle dernier.
Lorsque la loi de séparation des Eglises et de l’Etat fut votée, elle avait pour but premier de lutter contre ce que Gambetta avait désigné trois décennies plus tôt comme le « cléricalisme », à savoir, dans son esprit, l’influence politique des congrégations catholiques.
La France, fille aînée de l’Eglise, qui venait de rompre ses relations diplomatiques avec le Saint-Siège, mettait ainsi un terme à la concomitance des champs politique et religieux, après un siècle de canalisation –certains catholiques considèrent que c'était une forme d'instrumentalisation- du fait religieux par le Concordat, imposé en 1801 par le Premier consul Bonaparte.
Bien qu’elle affirme aujourd’hui en avoir souffert à l’époque, l’Eglise de France semble s’être accommodée de cette loi, qui rend à Dieu ce qui est à Dieu. Loi qui ne ferait plus débat aujourd’hui si une religion exogène n’avait fait son apparition en France à partir des années 1960-70.
Quand Nicolas Sarkozy, à son arrivée au ministère de l’Intérieur en 2002, a voulu la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), il a reconnu sans le dire que la loi de 1905 ne suffisait plus à assurer dans les faits la laïcité. La construction de mosquées sur des fonds étrangers, la présence d’imams ne parlant pas le français car formés ailleurs, le prosélytisme de prédicateurs radicaux, conjugués à l’indifférence de l’Etat au fait religieux qui prévaut depuis 1905, changent la donne : l’islam présent en France est très largement un phénomène étranger à la France, en ce qu’il n’a pas connu, au contraire du catholicisme, du protestantisme et du judaïsme français, de processus de « gallicanisation », c’est-à-dire d’adaptation au contexte politique, social et culturel français.
Selon le mot de l’ancien ministre de l’Intérieur, on se trouve donc aujourd’hui en présence d’un islam « en France » et non « de France », auquel n’a pas été imposé comme condition préalable à l’exercice du culte la séparation du public et du privé, du temporel et du spirituel, en un mot la laïcité.
Défendre la loi de 1905 en usant et en abusant d’un discours quasi-religieux, comme l’a fait Jacques Chirac en la qualifiant d’ « inviolable », ne résoudra en rien l’immixtion de l’islam dans le champ politique. En refusant par principe de s’intéresser à un phénomène très actuel, au nom d’une loi vieille d’un siècle, on laissera se développer, à la marge de la société, un islam incompatible avec les valeurs de la République. Si le chef de l’Etat ne le fait pas, il est permis d’envisager une abrogation de la loi de 1905, au profit d’un nouveau Concordat, qui viserait à promouvoir, contre l’extrémisme radical, un islam « gallican », dont les mosquées seraient financées sur des fonds publics, dont les imams seraient des citoyens français, formés en France, et dont la langue liturgique serait le français. Un islam qui ferait siennes les valeurs républicaines, et qui constituerait un puissant vecteur d’intégration des musulmans de France.
La laïcité telle qu’elle fut conçue dans l’esprit du législateur de 1905 ne suffit plus à relever des défis postérieurs d’un siècle. Pour que l’essentiel de ses apports bénéfiques subsiste, peut-être est-il nécessaire d’imaginer une nouvelle association de l’Etat et des Eglises de France.
Roman B.