Ce Nobel s’est fait attendre. C’est peu dire : selon certaines sources, Mario Vargas Llosa était sur les tablettes de l’Académie suédoise depuis la fin des années ’70. Cela faisait un certain temps qu’on pouvait entendre et lire, même de la bouche du principal concerné d’ailleurs, que ses positions politiques, –trop à droite, trop libéral – le destinaient à rentrer dans la longue et prestigieuse liste des grands oubliés du prix des prix littéraires (Proust, Borges, Nabokov…). Hier, surprise. On ne saura sans doute jamais s’il s’agit d’un changement de point de vue de la part d’ l’Académie ou si, simplement, les commentateurs se sont trompés et, de toute façon, ça importe peu : il convient de célébrer le triomphe d’un grand écrivain, un classique vivant.
Né au Pérou en 1934, il publie son premier livre, un recueil de nouvelles appelé Les caïds, en 1959 alors qu’il vit à Madrid. C’est le début d’un très long parcours (dix-huit volumes de fiction, une vingtaine d’essais, une dizaine d’œuvres théâtrales et quelques poésies) qui le verra consacré très tôt « petit prince » du boom de la littérature latino-américaine aux côtés de son ami d’alors, Gabriel García Márquez. Contrairement à ce dernier, Vargas Llosa n’a jamais donné dans le réalisme magique, y préférant ce que certains n’ont pas hésité à appeler un hyper-réalisme hérité en droite ligne des auteurs 19e qu’il affectionne tant (en premier lieu, Flaubert). Mais le Péruvien ne tombe jamais dans des travers naturalistes : son style, souvent baroque, lui permet de donner à ses romans un souffle qu’une trop grande proximité avec le réel menaçait de leur ôter. De 1959 à 1981, c’est presque le sans-faute : tous ses livres sont des classiques. S’il ne fallait en signaler que trois, nous choisirions La ville et les chiens (1963), superbe roman des débuts (dans tous les sens du terme) ; Conversation à la cathédrale (1969), portrait ravageur des mécanismes corrupteurs de la dictature et des conséquences du manque de culture démocratique ainsi que La guerre de la fin du monde (1981), récit d’un conflit bien réel entre une communauté millénariste et l’État brésilien naissant au travers duquel Vargas Llosa s’attaque aux certitudes fanatiques des deux camps.

Si aucun de ses romans n’a atteint le statut iconique d’un Cent ans de solitudes, ses grands livres ont très bien vieillis et Vargas Llosa reste, encore aujourd’hui, une des voix les plus fortes de la littérature mondiale. Sa langue et la structure souvent fort complexe de son œuvre n’ont jamais été des obstacles à la lisibilité. Il développe ainsi une sorte de radicalité classique ou de classicisme radical qui a sans aucun doute contribué à sa reconnaissance par l’Académie suédoise. Le commentaire publié à l’annonce de sa nomination met en avant « sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l’individu, de sa révolte et de son échec » . Une description des plus appropriées à laquelle nous ajouterions ceci : chez Vargas Llosa, l’échec de l’individu face au pouvoir arbitraire et dictatorial est toujours un encouragement qui nous est adressé pour que nous ramassions la torche et continuions à nous éloigner de la route de la servitude. Le chemin est dur, mais il est beau. Tel est le message du prix Nobel de littérature 2010.