Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, la nouvelle comédie de Woody Allen, commence par une citation aussi juste qu’ usée jusqu’à la corde de Shakespeare : “La vie […] une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien”. Voilà la devise du film où se croisent Naomi Watts, Gemma Jones, Anthony Hopkins, Josh Brolin, Freida Pinto ou encore Antonio Banderas. Le casting est aussi surprenant qu’hétéroclite, mais bien loin de soutenir le film.
Évitons les clichés et les poncifs sur Allen, des décennies de carrière et des films à la pelle ; évitons aussi les nouveaux clichés sur Allen, genre énoncer que c’est un l’occasion de se pencher sur sa longue filmographie. Non, prenons plutôt un malin plaisir à dire du bien et du mal de cette comédie chorale, genre de plus en plus rare chez le new-yorkais. Malheureusement pour cette année, les intrigues ne sont pas seulement plates et vues milles fois, elles arrivent à ne jamais avoir d’influence les unes sur les autres. Que Naomi Watts veuille divorcer ou pas, ça ne change rien aux affres des autres personnages. Cette distance entre les histoires provoque non pas un ennui — le film est étonnamment long pour un Allen — mais plutôt une impression de film décousu et mal construit.
Pourtant il ne l’est pas : Allen sait écrire, sait raconter et sait surtout surprendre avec ses vieilles recettes. Et c’est là que le film trouve un vrai souffle, bien plus loin que son foutraque Whatever Works : lorsque la comédie devient drame, lorsque le rire devient un sourire crispé. Il y arrive à merveille avec Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, mais pas assez souvent. Le reste du temps on navigue entre comédie de mœurs peu crédible et désillusions d’artistes et de quidams.
Bien évidemment, les acteurs sont impeccables, Naomi Watts en tête, montrant avec une certaine sincérité son talent comique et dramatique en l’espace de quelques scènes bien tournées. On pourrait analyser chaque intrigue, disséquer chaque structure et puis perdre en chemin le lecteur qui se demande s’il ira voir cette production annuelle ou pas. Oui, la réponse est oui, il faut voir Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, plus pour les réminiscences d’une époque bénie d’Allen, où il dosait à la perfection le drame dans l’humour ou l’humour dans le drame.
Malheureusement pour nous, il a perdu sa recette ou en tout cas n’arrive plus à la reproduire avec le cynisme qu’on lui a connu encore récemment (Cassandra’s Dream et Match Point). Il est d’ailleurs amusant que pour une fois la ville qui entoure les personnages, les décors, ne semblent pas l’intéresser ; son portrait de Londres manque de tout, de charme comme de mordant.
Mineur ? Majeur ? On s’en moque. Si Allen rate le coche de la comédie de mœurs annoncée, il nous touche d’une façon ou d’une autre avec un portrait triste et gris des illusions de la vie, qu’elles soient financières, professionnelles, artistiques ou romantiques. C’est une réussite. Pas immense, mais une réussite quand même.
Photo : © Warner Bros. France