Artiste-peintre, illustratrice, graphiste de formation : pour quelle activité penche vos préférences ? Laquelle vous fait vivre pour l'instant ? Le choix est difficile, je dirais que je suis à 80% artiste-peintre, je suis attachée au fait de m'exprimer librement sans contrainte, et la peinture m'apporte cela. J'aime peindre, me plonger dans l'acrylique et je suis le plus souvent accompagnée de mes pinceaux; même si depuis quelques mois, je redécouvre les joies du dessin en noir et blanc et le plaisir du trait. Mon activité d'illustratrice est encore récente, je n'ai illustré que deux livres pour le moment (dont "la sorcière dans le congélateur" écrit par Dorothée Piatek aux éditions Petit à Petit) et quant à mon activité de graphiste, je le suis surtout de formation, je réalise de temps en temps des travaux graphique (des flyers, des pochettes d'albums...) toujours en lien avec l'illustration. Cependant ces trois activités qui sont très liées, ne me font pas encore vivre. C'est une question que l'on me pose très souvent, et je ne peux m'empêcher de répondre qu' être artiste et en vivre, est bien difficile de nos jours...Cependant la peinture m'apporte autre chose que l'argent, une certaine sérénité, de l'assurance, de la légèreté, c'est un choix de vivre de peu de choses mais une grande liberté...!!! Je reste assez réaliste sur la dureté du domaine artistique, du moins sur le plan financier, la patience est de rigueur dans ce domaine, et ce dans n'importe quelle activité artistique, mais je reste confiante et j'y crois..!! Dans mon cas, la peinture est un besoin, une soupape poétique vitale !
Vos personnages tirent à la fois du monstre et de l'enfant espiègle, je me trompe ? Je ne sais pas trop, en tout cas, ce qui est intéressant dans la vision que l'on porte sur mes personnages, c'est qu'elle est à chaque fois changeante. Certains voient tout simplement le côté espiègle, d'autres le côté monstrueux, ou les deux côtés. Pour ma part, j'aime travailler les deux côtés, je n'aime pas peindre, dessiner des choses trop lisses et réalistes, j'aime se faire confronter le clair et l'obscur, apporter de la nuance, une pincéed'humour noir, une touche de glauque et faire naître un soupcon de réflexion, du moins provoquer une émotion, une sensation qu'elle soit agréable ou non. Pour ce qui est des personnages qui peuplent ma peinture, ils sont imposés instinctivement sans réflexion préalable, mais ils se nourrissent de nombreuses influences (qu'elles soient cinématographiques, littéraires, musicales, picturales, graphiques..ect...).
Lorsque vous créez, vos muses soufflent-elles à vos oreilles des mythes et autres légendes ?
Pourquoi ces grands yeux sur le visage de vos personnages ? Je ne sais pas vraiment pourquoi je persiste à peindre ou dessiner de grand yeux, cela pourrait s'expliquer par une certaine monomanie, disons que je "pousse " jusqu'à l'extrême un style, là en quelque sorte la manie des grands yeux. Je dessine, je peins ces grand yeux depuis mes débuts, en faisant un peu de "psychologie de comptoir", je dirais que ces grands yeux la plupart du temps légèrement hagards, rappellent l'enfance, la curiosité, l'éveil aussi...J'essaye de garder une vision enfantine, tout en la confrontant avec des réflexions, des attitudes plus adultes. Ces yeux pourraient justement illustrer une part d'innocence, de sensibilité. Et pour aller plus loin dans l'analyse en Médecine traditionnelle Chinoise, l’oeil présente un atout majeur voire extraordinaire. En effet seuls les yeux peuvent répondre au triple critère de diagnostic, pronostic et thérapeutique, voire poétique. Ils présentent non seulement des connexions multiples avec d’autres viscères mais encore ils ont des relations avec le système d’expression émotionnelle et psychique; d'où l'expression bien connue "Les yeux sont le miroir de l'âme". Pour résumer mon travail et cette obsession des grands yeux, (un slameur-conteur Nantais) Jean-Michel a décrit mes personnages avec ces mots que je trouve pertinents: "la candeur de ces personnages est toujours là, au bout du compte, pour les protéger des gros vilains cauchemars qui les guettent sans jamais leur faire perdre la tendresse, même un tantinet désespérée, de leurs regards." Et c'est vrai que dans ma peinture, ce qui se voit et s'exprime le plus, ce sont les yeux (qui occupent quasiment 75% du visage de mes personnages).
Vos dessins répondent souvent à des noms étranges " hydrométéores acéphaliques", "eucaryotes" etc...pourquoi? une fascination pour les mots ? pour le bizarre ? Je suis effectivement fascinée par les mots, les jeux de mots surtout, fascinée également par l'étrange (avec des livres comme ceux d'Edgar Alan Poe,de Kafka ou la nouvelle de Maupassant "le Horla" pour ne citer qu'eux), le bizarre, l'absurde. Ayant arrêté tôt les cours de biologie, je suis de plus passionnée par l'humain, l'anatomie, la physiologie, même si j'ai très peu de connaissances. J'aime lire des livres qui traitent de neurobiologie par exemple (entre autre Boris Cyrulnik qui mêlent la science et la psychanalyse)... Un des livres qui m'a fascinée et que j'ai dévoré (sans y comprendre réellement la moitié) est "La chair et le diable" de Jean-Didier Vincent(en plus d'être professeur en physiologie, c'est une personne qui manie beaucoup l'humour). Un livre passionnant, avec des expériences sur les rats pas toujours compréhensibles (mis à part pour des scientifiques initiés), qui analysent les comportements humains, à la frontière du bien et du mal. Et ce genre de lectures m'aident non seulement à comprendre l'humain (l'inconscient, le conscient), mais aussi nourrit ma peinture, mes dessins; d'où ces noms étranges que j'aime donner à ces derniers.
Mais aussi "habitée" par des visions enfantines...pourtant il reste toujours quelque chose de cauchemardesque dans votre trait...cultivez -vous les oppositions ? Cherchez-vous à contraster la naïveté de l'enfance avec des nuances plus sombres ? C'est juste, et je ne sais pas si c'est une recherche disons consciente dans mon travail, cela fait partie de moi. Effectivement j'aime confronter la naïveté de l'enfance avec des nuances plus sombres, plus cruelles parfois. Dans mon travail le cauchemardesque se confronte au merveilleux et inversement, comme je le disais je n'aime pas les idées figées, les choses lisses, presque manichéennes...J'aime cultiver le contraste, la vivacité à travers la couleur, le réel et le surnaturel. Personnellement je doute beaucoup, et paradoxalement je cultive certaines croyances presque enfantines et monomaniaques. Cette citation de Francis Bacon (un des nombreux peintres qui m'inspire) résume assez bien ma manière de penser et de créer "Si on commence avec des certitudes, on finit avec des doutes. Si on commence avec des doutes, on finit avec des certitudes." Ma peinture, mes dessins peuvent paraître lisses, presque gentils au premier regard, mais en s'approchant d'un peu plus près, le regard peut être dérangé par quelque chose de plus perturbant, ce genre de réaction provoquée par mon travail le plus personnel m'intéresse, me questionne, et me fascine aussi. Parrallèlement, j'ose croire que mon travail se nourrit d'un peu de poésie; cependant libre à chacun d'y voir ce qu'il veut, de l'aimer ou pas.
Si je vous dis que vous pratiquez l'art de la contrepèterie picturale, vous acquiescez ? C'est joliment dit, je fais souvent partie des gens qui ne comprennent pas les contrepétries, mais c'est un exercice très intéressant. Ce jeux de mots qui consiste à permuter certains phonèmes ou syllabes d'une phrase afin d'en obtenir une nouvelle, pour y dévoiler un autre sens plus indécent, m'amuse; mais je ne suis pas assez experte dans cet exercice...Alors qualifier mon travail de contrepétrie picturale, je suis flattée, cependant la plupart du temps, je n'ai aucune idée de ce que je veux dévoiler à travers mon travail, par contre je joue volontiers avec cet exercice de style dans mes titres. J'ai d'ailleurs commencé à m'en amuser, il y a de ça quelques années en feuilletant un magazine d'art où un artiste contemporain créait et répertoriait ces jeux de mots, je ne me rappelle plus de son nom. Mais à partir de ce moment là, pour passer le temps, je m'amuse de temps en temps avec les mots (en les mélangeant, en les retournant...) je les écris parfois sur des p'tits carnets. Je ne le fais plus trop actuellement, seulement quand il s'agit de trouver un nom à une peinture, ou un dessin.
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