Certains l’insultent, d’autres souhaitent sa mort, beaucoup le traitent de fasciste… Nicolas sarkozy n’est pas seulement le président de la République le plus impopulaire, il est aussi celui qui déchaîne les réactions les plus négatives. Explications.
« Nicolas Sarkozy n’est pas Adolf Hitler. » C’est une précision sans doute utile qu’apporte, le 5 septembre, le député PS de l’Essonne Julien Dray, sur Radio J. La veille se sont déroulées des manifestations organisées par la gauche contre la politique sécuritaire du pouvoir. C’est un autre propos, sûrement nécessaire, lui aussi, par les temps qui courent. Le 21 septembre, tout en assumant la polémique qu’il a déclenchée après avoir décrit un climat « très pourri, très Vichy », le député PS du Doubs, Pierre Moscovici, écrit sur son blog : « Nicolas Sarkozy n’est pas fasciste. » Le 23, le président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, précise à son tour, sur Europe 1: « Sarkozy n’est pas un nazi. »
Alerte à l’Elysée
« T’es mort ! » Ce message laconique est tombé à la mi-septembre sur la page Internet de l’Elysée. Avec une fréquence très aléatoire (à deux reprises dans la semaine du 13 au 19 septembre), la justice est alertée de menaces visant le chef de l’Etat. La procédure est désormais rodée: la section antiterroriste du parquet de Paris saisit la brigade criminelle afin d’identifier l’auteur. Les services du procureur ont refusé de préciser le nombre d’enquêtes à L’Express, mais une dizaine seraient en cours. Avec, parfois, quelques surprises. Le « corbeau » le plus âgé interpellé cette année avait près de 80 ans. « Jacques Chirac ne suscitait pas un tel déferlement de haine verbale », souligne un vieux routier de la police judiciaire.
Le phénomène ne date pas de ces dernières semaines. En septembre 2009, un homme, qui s’était lui-même baptisé « Cellule 34″, a été arrêté après avoir adressé des balles par courrier à plusieurs personnalités, dont le chef de l’Etat. En octobre de la même année, les policiers ont intercepté un cercueil juste avant sa livraison à l’Elysée. Fausse alerte: des paysans l’avaient truffé de victuailles pour protester contre la « mort » de l’agriculture.
Eric Pelletier
Cela va sans dire, mais cela irait-il mieux en le disant ? La classe politique n’est pas la seule à participer de l’atmosphère actuelle. En juin, au cours d’un concert donné dans une petite commune du Loir-et-Cher, la chanteuse Lio souhaite au président de « crever » rapidement.
En juillet, un journal satirique est condamné par le tribunal de grande instance de Paris à retirer des photomontages « utilisant sans autorisation l’image [du] visage [de Nicolas Sarkozy], le représentant nu en train de subir un acte sexuel derrière les barreaux d’une cellule de prison, agenouillé en slip dans un cachot (…) et le présentant nu en train d’imposer un acte sexuel à une chèvre ».
Sarkozy Scarface?
En août, un prêtre lillois de 71 ans, connu pour son franc-parler plus que pour son extrémisme idéologique (il a voté François Bayrou en 2007), laisse exploser sa colère face aux expulsions de Roms et déclare prier « pour que Nicolas Sarkozy ait une crise cardiaque ».
En septembre, les photos new-yorkaises du président en chemise noire et chaîne en or alimentent immédiatement les blogs hostiles: leurs auteurs lui trouvent des airs de Tony Montana, le héros mafieux de Scarface.
Enfin, le 21, sur France 3, dans l’émission Ce soir ou jamais, Emmanuel Todd s’insurge: « Il y a quelque chose de très grave, c’est le genre de président qu’on a. Je suis désolé qu’un système comme le système français arrive à avoir ce machin à la tête de l’Etat… » Sur le plateau, le démographe accuse Nicolas Sarkozy de « travailler contre la Constitution ». Il va jusqu’à invoquer sa destitution.
Depuis quelques mois règne en France une ambiance particulière : un jour, le chef de l’Etat provoque volontairement l’hystérie; le lendemain, la haine se déchaîne contre lui. « Nicolas Sarkozy est devenu l’homme le plus détesté de France, le président le plus honni de la Ve République », constate Alain Duhamel, le 16 septembre, dans Libération.
« Pourquoi rend-il tant de gens aussi fous dans leurs têtes? s’interroge Alain Minc. Il ne mérite, comme dans Racine, ni excès d’honneur, ni indignité. »
La personnalisation du pouvoir facilite toutes les outrances
François Hollande n’a pas tardé à percevoir les dangers du phénomène : « La bêtise de l’antisarkozysme conduit à l’attaquer en oubliant les faits, confie l’ancien premier secrétaire du PS. Si excès il y a – et c’est le cas – Nicolas Sarkozy va chercher la victimisation. » Aussi a-t-il demandé à ses camarades, au détour d’un entretien au Monde, de « ne plus seulement (…) ajouter ad nauseam des arguments à l’antisarkozyme », mais d’ »ouvrir un autre chemin ».
Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi celui qui fut élu avec une si large majorité (53%) et une si forte participation (85 %) suscite-t-il désormais de telles réactions? A qui la faute? A Internet, à la presse, à ce siècle ? A lui-même? Dans une ère propice aux dérives, dans un débat public pauvre en repères historiques solides, la personnalisation du pouvoir facilite toutes les outrances.
Aux Etats-Unis, Barack Obama est régulièrement grimé en Hitler par des manifestants en colère. Sa réforme de l’assurance-maladie « mène au retour du nazisme, via le renforcement du pouvoir de l’Etat » – c’est le populaire animateur de Fox News et héraut de la droite ultraconservatrice Glenn Beck qui le prétend.
« J’ai compris que, chaque fois que je me mets en avant, c’est un problème », reconnaissait Nicolas Sarkozy, en petit comité, après les régionales de mars (1). L’a-t-il compris, vraiment ? Est-il justifié qu’il emmène son plus jeune fils lors de sa visite surprise en Seine-Saint-Denis, et notamment à la cité des 4 000, dans la soirée du 23 juin dernier (un déplacement à l’occasion duquel un homme de 21 ans fut d’ailleurs interpellé pour avoir insulté le chef de l’Etat)?
La plupart des sarkozystes récusent toute part de responsabilité dans la brutalité du moment et qualifient d’ »excuse » l’argument selon lequel le président a tellement changé la fonction qu’il l’a désacralisée. Pourtant, à l’Elysée, loin des micros, certains s’inquiètent d’attitudes présidentielles qui contribuent peu à la pacification des esprits.
Le « Casse-toi, pauvre con » lancé au Salon de l’agriculture en 2008, multiplié à l’infini par Internet (la scène a été visionnée plus de 12 millions de fois sur YouTube), restera l’une des phrases du quinquennat ; des adolescents la citent même, à l’école, pour justifier leurs propres agressions verbales à l’encontre d’enseignants. Les chiraquiens rappellent volontiers que « leur » président, victime d’une grossièreté peu habituelle lors d’une visite à Mantes-la-Jolie en 2002 (des crachats à la tête), avait feint l’indifférence.
A l’origine de la haine, il y a donc la rencontre d’une époque et d’un personnage. Le choc entre une hypermédiatisation où plus rien n’est contrôlé, ni contrôlable, et un hyperprésident qui a choisi de ne pas endosser l’habit consensuel de père de la Nation. Nicolas Sarkozy cultive une logique de défi permanent, c’est même le fil rouge de sa vie politique: la violence est l’une des marques de fabrique de sa carrière. Dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 1995, celui qui a préféré Edouard Balladur à Jacques Chirac essuie crachats et injures lorsqu’il rallie le futur vainqueur lors d’un meeting.
Longtemps, histoire de se motiver, il a gardé à portée de main les affiches « Sarko salaud » qui ont fleuri lors d’une réunion du RPR, en 1997, dans la foulée de la dissolution ratée par Jacques Chirac. Ses expressions (du « croc de boucher » promis à Dominique de Villepin dans l’affaire Clearstream à la gorge tranchée mimée à l’intention d’Alain Juppé, destin promis aux « héritiers [...] faits pour être guillotinés ») ne manquent jamais de férocité. « C’est sa complexion génétique, décrit l’un de ses anciens collègues au gouvernement. Quand il entre dans une salle, il se passe quelque chose d’électrique. » Un autre ancien ministre complète : « Il a toujours eu besoin de se créer une adversité, il s’est élevé des murs en permanence. »
Nicolas Sarkozy cultive une logique du défi permanent
Les présidents de la Ve République sont rarement des enfants de choeur; tous ont connu l’impopularité, et même l’hostilité. C’est la fonction qui le veut. « Mais la haine de De Gaulle s’expliquait par des raisons politiques; le problème de Nicolas Sarkozy, c’est qu’on en veut à sa personne, d’où l’agressivité », pointe un ancien conseiller élyséen.
De fait, avec ce chef de l’Etat, les contentieux publics prennent chaque fois une tournure individuelle. « Tant que, comme candidat, il provoquait au sein de la classe politique, il visait des gens comme lui, et c’était apprécié, constate le directeur de l’institut Isama, Jérôme Sainte-Marie. Là, c’est le président qui parle, et les Français sont interpellés dans leur être intime et social, ce qui provoque une forme de douleur. »
Cliver, mettre en tension: c’est ainsi que Nicolas Sarkozy s’est imposé – son passage au ministère de l’Intérieur est un cas d’école de cette stratégie ; c’est ainsi qu’il dirige la France. « Sa vision de la société et des grands enjeux qui la traversent est assez manichéenne, il y a le bien et le mal, les gentils et les méchants, ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce que l’on valorise et ce que l’on réprime. Cela ne peut être que tout l’un ou tout l’autre. La société est divisée en deux mondes tellement hermétiques l’un à l’autre qu’ils en sont irréconciliables », note Marie-Eve Malouines dans Nicolas Sarkozy. Le pouvoir et la peur (2). « Aujourd’hui, nous avons la forme la plus caricaturale et révoltante du sarkozysme, celle de l’union nationale négative, si je puis dire. C’est la tentative de construire du consensus par les formulations les plus archaïques de la xénophobie et du rejet de l’autre », analyse Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, dans un entretien à Mediapart.
« Le président a le sentiment, justifié, d’être assiégé »
Les critiques des intellectuels ont peu de chances de modifier l’avis du président et de ses proches, convaincus que l’on assiste d’abord à « un procès en illégitimité », selon l’expression de son ami, Nicolas Bazire. « Les castes qui encadrent la société française détestent ceux qui ne sont pas issus de leurs rangs », affirmait le conseiller spécial Henri Guaino dans une récente interview au Parisien.
Au premier rang des fidèles, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, observait avant l’été: « Le président a le sentiment, justifié, d’être assiégé. La presse, par exemple, a été humiliée de le voir élu alors qu’elle ne le souhaitait pas, du coup, pour laver cette humiliation, elle cherche à l’abattre. »
Penser que la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 s’est faite contre les médias relève de la construction a posteriori, voire du mirage – mais c’est une conviction absolue chez les sarkozystes, pour qui la presse figure désormais au premier rang des responsables. « Ce que les journalistes ont apprécié chez lui quand il était dans la conquête du pouvoir, ils ne l’acceptent plus maintenant qu’il est président. Lui pense, au contraire, que le fait de ne pas avoir changé est un signe d’honnêteté », commente un proche.
La Une de Marianne consacrée, le 6 août, au « voyou de la République » a déclenché un torrent de réactions à droite. Le président estime que la couverture du Nouvel Observateur, le 2 septembre, sur « Les riches, le pouvoir et la droite », avec sa photo sur un billet de 500 euros, relevait d’ »un antisémitisme, conscient ou non » : « Gringoire aussi m’aurait mis ainsi. » « Si les attaques les plus fortes de la classe politique contre Nicolas Sarkozy remontent à 2005, au moment de la crise des banlieues, c’est maintenant que l’on constate les attaques les plus fortes de la classe médiatique, assure le conseiller en communication du président, Franck Louvrier. Car il est jugé en valeur absolue et non relative, il est sur un marché non concurrentiel tant que la gauche n’a pas de candidat. Mais le récepteur est adulte : les dérives nuisent plus aux émetteurs qu’à celui qu’ils visent. »
Pour le chef de l’Etat (dont le grand-père maternel était juif), les allusions à son physique témoignent d’une forme d’antisémitisme – il se réfère volontiers aux précédents de Léon Blum et de Georges Mandel – de même que la comparaison, effectuée en mai par Martine Aubry, avec l’escroc Bernard Madoff, cet homme d’affaires arrêté par le FBI.
Franck Louvrier détaille: « Il ne faut pas se voiler la face. Quand on dit de Nicolas Sarkozy qu’il est proche des riches, proaméricain, et qu’on le compare à Madoff, cela réveille chez certains des relents d’antisémitisme. » « Je redoutais d’être autant attaqué, mais, là, le niveau de haine me met mal à l’aise », a remarqué le président devant quelques visiteurs. Et de reconnaître dans la foulée: « Voyou, nazi, nul… Cela ne me dessert pas. » Se souvient-il de ce que disait, à la fin des années 1960, François Mitterrand: « Je suis l’homme le plus haï de France, cela me donne une petite chance, n’est-ce pas, d’être un jour le plus aimé » ?
« Il ne pourra pas se déplacer en papamobile, tout de même ! »
« Nicolas Sarkozy attire tant d’hostilité sur lui que le second tour sera un référendum pour ou contre sa personne », pronostique le coprésident d’Ipsos, Jean-Marc Lech. Quand la détestation devient totale, elle peut tout emporter, qu’importe le bilan. Ce fut le cas pour Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Dominique de Villepin imagine volontiers Nicolas Sarkozy victime d’un rejet tel qu’il lui serait impossible de parcourir le pays : « Il ne pourra pas se déplacer en papamobile, tout de même ! », remarque-t-il, amusé, en privé.
Il devient donc urgent que les attaques facilitent la contre-attaque. Déjà en campagne de premier tour de la présidentielle – celle qui sert à rassembler ses propres partisans – le chef de l’Etat, dont l’impopularité bat des records, en profite pour rechercher la position, classique chez lui, de victime. Le dérapage de la commissaire Viviane Reding fut, pour lui, une occasion inespérée de répliquer, au cours du Conseil européen, le 16 septembre, alors que la grave faute que constituait, aux yeux de Bruxelles et de nos partenaires, la circulaire anti-Roms première version du gouvernement français le plaçait dans la situation de l’accusé.
Le 18 septembre, Franck Louvrier et le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, discutent, dans le train qui les conduit à une fête du parti en Loire-Atlantique, d’une expression que le second va lancer publiquement: la « sarkophobie ». François Hollande vient d’évoquer « une « ovniprésidence », extraconstitutionnelle, extralégale, extravagante »; Ségolène Royal, une France « martyrisée ». Le moment est venu de transformer l’ »antisarkozysme » en « sarkophobie » pour remettre le président dans sa situation préférentielle. Celle qu’il recherche toujours quand il entre dans la peau du candidat à l’Elysée, afin d’apparaître comme le challenger, et non comme le favori. Avant-hier, seul contre la droite. Entre 2002 et 2007, seul contre Jacques Chirac. En 2012, seul contre « l’établissement », la pensée unique, la presse. Seul contre tous – ou isolé comme jamais?
Par Eric Mandonnet, Ludovic Vigogne, publié le 29/09/2010 site de l’Express