- Enfin, qu’est-ce que tu peux bien y foutre, dans ta chambre, tout seul, comme ça, des soirées entières ?
Parce que lui, Bourladou, dès qu’il ne parle pas à quelqu’un, il s’emmerde.
Ce que j’y fous, ça ne regarde pas Bourladou. Ni personne. J’y creuse mon trou. On a quand même bien le droit de creuser son trou.
- Je lis, tu sais, je travaille…
- Ah oui, fait Bourladou.
Creuser son trou dans l’épaisseur de la ville et de la nuit. Et s’y blottir, s’y gratter, s’y lécher, en attendant le sommeil et la mort.
Bourladou regarde des bouquins épars sur ma table, et se demande ce que ça peut bien être, mon travail.
- Si encore tu avais la radio, dit-il.
Pas besoin de radio. On n’a qu’à s’asseoir sur son lit. A rester là. A écouter le petit bruit obstiné que fait la vie.
J’ai tiré mes huit heures chez Busson frères, Eaux gazeuses. Maintenant je suis assis sur mon lit. Voilà. Assis entre quatre murs miteux revêtus de papier rouge. Derrière les murs, il y a d’autres vivants. Des demi-vivants. Ereintés et flasques, comme moi. Il y a la Folle et les deux Vieux. Il y a Iseult. J’épie de faibles gargouillis de voix, le choc lointain d’un pot à eau contre une cuvette…
Iseult : c’est Bourladou qui surnomme ainsi cette grande fille sèche et amère. Elle est vendeuse dans une quincaillerie. Bourladou, quand il est d’humeur égrillarde, feint de croire que nous couchons ensemble.
- Mes compliments, mon vieux lapin, tu ne dois pas t’embêter avec cette petite.
Je m’applique à rire d’un air fin.
- Une femme qui a du tempérament, dit Bourladou, ça se voit. Et de la ligne, du chic, du sex-appeal. […]»
Georges Hyvernaud, Le Wagon à vaches, 1953, Editions Le Dilettante.
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