Quelques bonnes blagues, des sourires bien placés, ouverts au débat, non vraiment, ils ont l’air sympa les fondamentalistes. Mehran Tamadon, né en Iran mais élevé en Europe après que sa famille ait quitté le pays lorsqu’il était enfant, a pris une caméra et est parti à la rencontre des bassidji, des représentants de l’ordre moral, militaire et religieux de la République Islamique d’Iran. Afin de nouer le dialogue et comprendre qui sont ces hommes qui, vus de l’Occident qui l’a élevé, transmettent une vision du monde bien différente de la sienne. Cette immersion débarque dans les salles le 20 octobre, Bassidji.
L’Iran est loin d’être mon domaine d’expertise, mais depuis quelque temps le cinéma iranien se fait de plus en plus présent dans les films que je vois. A une époque, j’aurais sûrement été incapable de citer des films iraniens qui ne soient pas réalisés par Abbas Kiarostami ou un membre de la famille Makhmalbaf, or ces douze derniers mois, l’émergence d’un cinéma iranien jeune et vif a trouvé sa place dans les salles françaises. Des films, comme A propos d’Elly, Les chats persans ou Téhéran, qui sous couvert d’un style plus populaire que ce à quoi nous a habitué le cinéma iranien, parlent avec audace et courage de leur pays, plus particulièrement des maux de leur société.
Le documentaire Bassidji a été tourné il y a près de trois ans, avant qu’Ahmadinejad ne soit réélu avec la controverse que l’on connaît, et il fait un intéressant contrepoids avec les fictions précédemment citées. Mehran Tamadon, le réalisateur, se penche du côté des oppresseurs plutôt que de celui des victimes du pouvoir. Non pour en faire l’apologie (heureusement ?), mais plutôt pour prendre le pouls de ces hommes qui soutiennent bec et ongle le système iranien qui place l’autorité religieuse au-dessus de tout, et sont prêts à justifier toutes les dérives sociétales d’un pouvoir à la main dure.
Tamadon commence par nous embarquer à la frontière séparant Iran et Irak dans un véritable musée à ciel ouvert de la guerre ayant déchiré les deux pays dans les années 80. Cette visite de ce qui s’avère être un véritable point de pèlerinage, donne lieu à des séquences plutôt hallucinantes pour un spectateur occidental athée. Où l’on vient pleurer à chaudes larmes devant les récits de cette guerre depuis plus de vingt ans éteinte. Des scènes de communion religieuse où l’on découvre la présence vive et idolâtrée des martyrs dans la société moderne iranienne, du moins au cœur des défenseurs du système religieux du pays.
C’est là justement tout le contrepoids fascinant, d’aucun diraient inquiétants, avec la facette de l’Iran que l’on découvre dans les films comme Les chats persans ou A propos d'Elly. Ce sont véritablement deux mondes différents coexistant dans un même pays. Celui de l’ouverture au monde, du désir de sortir du carcan religieux qui maintient un peuple non consentant dans un état social dicté par des lois morales d’autres siècles. Et le monde des bassidji décrits par Mehran Tamadon, ceux qui justement font perdurer cet état d’esprit difficile à accepter pour un esprit occidental moderne, mais également pour tout un pan de la population iranienne, cette vision des relations homme/femme, cette place de la foi et de la religion dans la vie quotidienne. Ce culte voué à l’ordre religieux qui dépasse les droits des individus et régissent la vie de chacun qu’il le veuille ou non.
Le documentaire a en outre cela d’intéressant que son réalisateur est un iranien à la culture européenne, qui arrive à se faire accepter des bassidji de par ses origines nationales et son désir sincère de découvrir de plus près cette vision du monde qui aurait pu être la sienne. Le statut de Tamadon lui confère une proximité avec son sujet qui lui ouvre des portes et lui permet de poser des questions et de voir des choses qu’un non-iranien n’aurait sûrement pas eu l’occasion d’apporter.
Bien sûr, les deux parties ne peuvent se convaincre. Tamadon et ses interlocuteurs sont voués à ne pas s’entendre, comme le prouve la séquence où le réalisateur réunit ses principaux interlocuteurs autour d’une table et leur fait écouter des questions posées anonymement par des iraniens mettant en doutes l’idéal moral, politique, religieux défendu par la République Islamique d’Iran d’Ahmadinejad. C’est lors de cette séquence plus que d'aucune autre que le discours des bassidji se fait conservateur et… refroidissant. Derrière les sourires et la bonhomie qu’ils avaient pu montrer jusqu’ici, apportant même une étonnante touche d’humour au film (même si l’on rit jaune plus qu’autre chose), la radicalité se fait jour derrière la diplomatie d’une rencontre devant une caméra. Tamadon en a sûrement eu des sueurs froides en tournant cette séquence, comme d’autres. Et en est certainement revenu plus convaincu que jamais que le fossé entre les fondamentalistes iraniens et le monde extérieur, qu'il soit musulman, chrétien ou autre, sera long, très long à combler.