« Il faut réguler les banques »
La justice a sa logique que la raison citoyenne parfois ignore. Un ancien président de la République qui a fait traîner des années durant toutes les enquêtes relatives à ses affaires quand il était maire de Paris semble en bonne voie de sortir indemne de l'unique instruction le concernant. Un accord avec l'actuelle mairie, une recommandation de non-lieu par le parquet de Nanterre, tout va bien dans le meilleur des mondes. Jérôme Kerviel, le jeune trader accusé d'avoir plombé les comptes de la Société Générale en janvier 2008 n'a pas eu cette clémence : la sentence, contre laquelle il a fait appel, est tombée hier ; 3 ans de prisons et 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts. Rien que ça. Même la Société Générale a trouvé cette sanction financière grotesque.
Dans son livre, Hugues Le Bret, directeur de la communication de la Société Générale à l'époque des faits relate comment la réaction de Nicolas Sarkozy a aggravé une situation déjà catastrophique, en janvier 2008. Quand l'Elysée fut mise au courant de la fraude, le Monarque n'avait qu'une obsession, se venger de Daniel Bouton, président de la banque, assommé par l'affaire. Un projet de fusion avec BNP-Paribas, dirigée par l'ami proche Michel Pébereau est activé, et Sarkozy s'agite publiquement contre la banque alors que la SocGé doit lever rapidement 5 milliards d'euros sur les marchés : « Il n'a pas compris qu'on n'avait pas encore complètement réglé le problème, il fallait lever cinq milliards et que c'était extrêmement difficile » écrit Hugues Le Bret. « Donc, il nous cogne dessus comme des brutes avant de comprendre quelque temps après qu'il faudra régler ses comptes une fois que le bateau sera sorti de la tempête, et pas avant. (...) Il ne réagit pas en homme d'Etat qui chercherait à préserver l'une des grandes banques du pays en équilibre sur un fil, mais en homme humilié d'avoir été écarté de la gestion de la crise. Il en fait une affaire personnelle. » La charge est rude, mais l'accusation d'incompétence limpide.
A l'Elysée, on ne réagit pas.
Sarkozy, « protecteur des arts »
Mardi, Nicolas Sarkozy préférait sagement s'assoir dans une classe de lycée en Ile-de-France, pour présenter le ciné-club version Sarkofrance : 200 films acquis par France Télévisions (pour 650 000 euros !) sont mis à disposition sur une plate-forme VOD pour 4500 lycées français. Quatre ministres (Chatel, Kosciusko-Morizet, Mitterrand et Tron) avaient fait le déplacement. C'est dire s'ils ont du temps pour ces opérations de communication gouvernementale...
Dans son discours, improvisé, précédant une micro-table ronde avec Claude Lelouch et Gérard Jugnot, Nicolas Sarkozy s'est lâché sur l'importance de la transmission du savoir. La tribune était dressée, avec son immanquable fond bleu, avec ces deux drapeaux français et européen. Sarkozy parla. L'homme qui réduit effectif enseignant et heures de cours au nom de la Révision Générale des Politiques Publiques n'était plus à un paradoxe près : « C’est un sujet tellement important qu’il est du devoir du chef de l’Etat de s’en occuper. Je commence donc par un paradoxe.» (sic !) Parce qu'au cœur de tout cela, il y a la question de la transmission de la culture aux nouvelles générations. »
Puis il ajouta, immédiatement ensuite, cette phrase malheureuse : « La France a une tradition, cette tradition, j’y reviendrai, veut que le monde de la culture soit sous la protection et en rapport direct avec le Président de la République. » Vous avez bien lu... « sous la protection et en rapport direct avec le Président de la République. » Les relents monarchiques de la Sarkofrance surprennent encore, trois ans et demi après l'élection de 2007. « Le monde de la culture a besoin d’être protégé car il ne peut pas exister seul face aux règles exclusives du marché. » Le Monarque voulait glisser dans son intervention du jour quelques mots sur Hadopi, dont les premiers mails d'avertissements sont partis la veille à quelques pirates numériques. Nicolas Sarkozy s'est dressé une statue tout seul, comme un grand.
Sarkozy a pu aussi insister sur sa cinéphilie récente : « Il y a un certain nombre d’entre nous qui n’avons pas eu la chance d’être ouvert au cinéma si tôt. On a rattrapé le retard après. » Toujours se besoin de la jouer « peuple », malgré son enfance dorée, son adolescence protégée, sa vie d'adulte épanouie dans les rues de Neuilly-sur-Seine. Exit Christian Clavier, le voici adorateur du cinéma italien : « Je rêve d'un cycle sur le cinéma italien des années 1950-1960-1970 : Mariage à l'italienne, Une journée particulière…» Son épouse Carla lui avait sans doute préparé quelques fiches. Sur le Web, on s'amuse de voir le monarque reconverti en chantre des belles oeuvres. Chacun sait que cela fait partie d'un plan de com'. Paraître cultivé participe de cette « présidentialisation » d'un bonhomme pourtant élu depuis 3 ans et demi. A quelques lycéens trop heureux de pouvoir regarder quelques films sans avoir à les pirater, Sarkozy dériva sur le théâtre (« nous voulons aussi le faire pour le théâtre »), l'Opéra et les livres. Insistons : pourquoi donc le même homme réduit-il les moyens éducatifs du pays ?
« On n'augmentera pas les impôts »
En ces temps d'examen du budget de la France, les exercices sémantiques deviennent périlleux en Sarkofrance. Un temps loué pour son bouclier fiscal, l'Allemagne est désormais célébrée car ... elle n'en a pas. Sur les prélèvements obligatoires, le discours est tout aussi aléatoire. D'un côté, le Président des Riches, rejoint en ce sens par l'avocat d'affaires et député Jean-François Copé, défend mordicus qu'il n'augmentera pas les impôts (des riches) car les prélèvements obligatoires sont déjà trop élevés en France. De l'autre, ses ministres célèbrent le plan de réduction des niches fiscales qui ... augmente de facto le niveau des prélèvements obligatoires. Et dans l'un des documents explicatifs du projet de loi de finances pour 2011, on retrouve cette schizophrénie si sarkozyenne qui consiste à prêcher tout et son contraire.
Les prélèvements obligatoires représentaient 42,9% du PIB en 2008. A cause de la crise et du plan de relance (12,7 milliards d'euros d'annulation d'impôts en 2009), le taux a légèrement baissé à 41,6% l'année suivante. Mais rabot fiscal oblige, ils se redressent à 42,9% en 2011 dans le projet de budget : la hausse serait principalement due aux réductions de niches fiscales et nouvelles taxes (+0,9 point de PIB).
Les niches fiscales coûteront encore 65 milliards d'euros, d'après les annexes au projet de loi de finances. Toujours selon le même document, leur coût était de 71 milliards d'euros. Aurait-il donc baissé ? L'enjeu de communication est important. Il y a 8 jours, nous nous étonnions du paradoxe : les niches fiscales baissent, la reprise économique dope les impôts, et pourtant les recettes fiscales prévues pour l'Etat l'an prochain ... régressent !
Fiscalité toujours : Sarkozy justifie régulièrement sa politique fiscale par la nécessité impérieuse de préserver la compétitivité des entreprises du pays. La semaine dernière au Salon de l'Automobile, il expliquait ainsi que la réforme des retraites et la lutte contre les déficits participaient aussi de l'effort de compétitivité de l'économie française.
La lecture des documents budgétaires permet justement d'éclairer. A la page 29 du rapport sur les prélèvements obligatoires, on peut ainsi lire : « les taux nominaux ne renseignent que très partiellement sur la pression fiscale ressentie in fine par les entreprises et sur son impact sur la compétitivité et l’attractivité de l’économie française. » Puis : « le taux d’imposition implicite des bénéfices est inférieur au taux nominal. » Et enfin : « l’imposition effective des bénéfices en Fran- ce, qui mesure le prélèvement opéré sur le rendement d’un investissement donné, se situe elle dans la moyenne européenne ».
Nicolas Sarkozy lit-il la communication de ses services ?
« Bernard, ce grand homme.»
Il y a quelques jours à peine, Nicolas Sarkozy louait son ministre des affaires étrangères à la tribune de l'ONU, lorsdu Sommet sur les objectifs du Millénaire. Dans les coulisses, la réalité est toute autre. Le Nouvel Obs publie cette semaine un projet de lettre de démission du ministre des Affaires Etrangères datée du 25 août, démission refusée par Sarkozy. Bernard Kouchner tente-t-il de faire bonne figure en montrant qu'il a eu le courage d'aller jusqu'au bout (ou presque), après les accusations de lâcheté lors de la polémique sur les Roms ?
Dans ce courrier, resté lettre morte en attendant le remaniement gouvernemental de novembre, Kouchner se plaint d'humiliations de la part des conseillers de Nicolas Sarkozy. En l'occurrence, il cible Claude Guéant et surtout Jean-Daniel Levitte, le sherpa du président. On murmure que l'ancien humanitaire se verrait proposer le poste de « Défenseur des Droits », prochainement créé avec l'absorption (contestée) de diverses autorités indépendantes telles la Halde, la Commission nationale de déontologie de la Sécurité, et la Défenseure des Enfants.
Placer un proche du chef de l'Etat au sommet d'un gros machin administratif censé incarné la protection des droits de l'homme en France, voilà une bonne idée !