Alfie et Helena (Anthony Hopkins et Gemma Jones), deux septuagénaires, sont mariés depuis plus de quarante ans et rien ne semble pouvoir déranger leur petite vie rangée, leur retraite bien méritée… Mais – vlan!- voilà qu’Alfie est submergé par des angoisses existentielles : peur de vieillir, peur d’être passé à côté de sa vie, peur de ne plus connaître la passion charnelle avant de passer l’arme à gauche…
Il n’hésite pas une seconde et demande le divorce pour pouvoir se reconstruire une vie de célibataire et tenter de séduire une femme plus jeune…
Sa femme est dévastée, complètement déprimée par cette rupture inattendue et pour le moins abrupte. Son comportement suicidaire inquiète sérieusement ses proches – sauf l’ex-mari, trop occupé à courir la gueuse – qui n’arrivent pas à la réconforter, pas plus que le psychanalyste chargé de son cas…
C’est finalement une fausse voyante extralucide qui va réussir à lui redonner un peu de joie de vivre et d’espoir, en lui prédisant une histoire d’amour avec – tout est dans le titre – un bel et sombre inconnu…
La fille d’Alfie et Helena, Sally (Naomi Watts) a ses propres problèmes à résoudre. Elle se sent frustrée à la fois au niveau de sa vie de couple – son mari, Roy (Josh Brolin) est un écrivain raté qui, après un premier roman prometteur, n’a plus rien écrit de valable, plombant la situation financière du ménage – et au niveau de sa vie professionnelle – elle s’ennuie dans un travail médiocre, avec des gens médiocres, alors qu’elle rêvait d’ouvrir sa propre galerie d’art…
L’opportunité va lui être donnée de combler à la fois ces deux manques quand elle est engagée dans une galerie d’art plus prestigieuse, détenue par un latino plein de charme (Antonio Banderas) et parfait gentleman…
Roy, dans le même temps, fantasme sur la voisine d’en face (Freida Pinto) et est tenté de relancer sa carrière par un stratagème assez honteux et totalement immoral…
Tous ces personnages et leurs petites histoires dramatiques ou futiles, sont des éléments d’une toile plus vaste, décrivant un monde où les relations humaines reposent sur duperies, mensonges et tricheries, où l’amour n’est que douce illusion et cruelles désillusions…
Des personnages intellos bavards éprouvant les affres de l’amour et/ou de la création artistique, le stress et la banalité du quotidien, la peur de vieillir et de mourir… Une ville magnifiquement filmée, sous différents angles, mais présentant à chaque fois des lieux assez uniques en leur genre, absolument charmants…
Des dialogues ciselés qui font souvent mouche, servis par une belle brochette de comédiens… Une mise en scène fluide, élégante, classieuse rythmant une intrigue dont la durée n’excède pas la centaine de minutes…
Pas de doute, on reconnaît entre mille la patte de Woody Allen, même si, comme pour la plupart de ses derniers films, il a délaissé sa bonne vieille ville de New-York pour poser sa caméra en Europe. A Londres, pour être plus précis, qu’il filme encore de façon absolument magistrale, après l’excellentissime Match point et les deux autres opus anglais de sa carrière, Scoop et Le Rêve de Cassandre…
Ceux qui ont suivi toute la filmographie du génial cinéaste new-yorkais ne seront pas dépaysés par les thèmes abordés dans ce quarantième long-métrage, on ne peut plus classiques dans son oeuvre : l’amour, le hasard et la destinée, la vie et la mort.
De quoi donner une fois de plus du grain à moudre à ses détracteurs, qui lui reprochent de décliner toujours et encore les mêmes histoires et les mêmes sujets…
Pour une fois, ceux-ci n’ont pas tout à fait tort. On souffre un peu du sentiment de déjà-vu, car malgré les qualités artistiques indéniables de ce nouvel opus, on peine à retrouver totalement le charme, la pétulance, la finesse psychologique qui caractérise les plus grandes oeuvres de Woody Allen.
En fait, on a surtout un peu de mal à adhérer aux personnages. Non pas que les acteurs soient mauvais. Loin de là! Allen sait s’entourer et choisir ceux qui apporteront quelque chose au film, et, en retour, les comédiens sont tellement heureux de pouvoir tourner avec lui qu’ils donnent le maximum d’eux-mêmes…
Non, là, le problème vient de ce que les protagonistes sont un peu trop stéréotypés pour convaincre pleinement. Il y a quelque chose d’un peu factice dans ces couples en crise et leurs péripéties sont trop prévisibles pour que l’on ait vraiment envie de s’attacher à eux…
Peut-être le film n’est-il pas aussi drôle que certaines oeuvres précédentes d’Allen, ou pas assez cruel ? Pourtant, il y a bien de l’humour dans le film, dans les parties de ping-pong verbal entre les protagonistes – et particulièrement entre Roy et sa belle-mère envahissante – et de la cruauté en pagaille, puisque, si le cinéaste a le bon goût de ne pas dénouer tous les fils narratifs de son intrigue, il laisse malgré tout la plupart de ses personnages en mauvaise posture ou en situation d’échec…
Pas aussi cynique que Match Point, mais presque…
Mais on a le sentiment qu’il manque un petit quelque chose, ce petit supplément d’âme qui nous enthousiasme habituellement lors de la projection d’un film de l’ami Woody…
Bien sûr, ce n’est pas la première fois que le cinéaste signe un film “mineur”, mais c’est peut-être la première fois qu’il signe un film “mineur” qui a toutes les caractéristiques d’un film “majeur” sans convaincre pour autant…
En fait, il manque sans doute une ou deux scènes qui sortent vraiment du lot et marquent les esprits. Car on prend beaucoup de plaisir à voir ce film, parfaitement rythmé, porté par des mouvements de caméra virtuoses et pourtant d’une élégance et d’une discrétion à tomber, mais on l’oublie aussi très vite, trop vite, alors que certaines images de Manhattan, La Rose Pourpre du Caire, Crimes et délits ou Match Point continuent de nous hanter…
Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (il fallait bien caser ce titre à rallonge (1)) est donc une petite déception après le très bon cru 2009, Whatever works, comédie renouant avec la verve caustique de ses premiers films, une pointe d’audace et de libéralisation des moeurs en prime.
Mais, désolé de devoir vous ressortir toujours et encore le même laïus critique, il convient de nuancer cette appréciation en rappelant qu’un film de grand cinéaste, même “mineur” est nettement plus appréciable que la plupart des oeuvres sortant chaque semaine sur nos écrans. Peu de réalisateurs atteignent aujourd’hui cette virtuosité narrative et cette maîtrise du rythme, vitale pour une comédie.
Même s’il n’est pas de nature à marquer durablement les mémoires, le nouveau Woody Allen est donc bien, malgré tout, un événement, et ceux qui choisiront d’aller voir ce film en auront assurément pour leur argent.
Maintenant, espérons que le cinéaste new-yorkais donnera un nouvel élan à son oeuvre avec son escapade française, que l’on pourra découvrir l’an prochain. La présence au générique de la première dame de France n’incite pas franchement à l’optimisme, mais sait-on jamais…
(1) : Oui, le titre n’est pas engageant de prime abord, mais il est on ne peut mieux choisi au regard des thématiques abordées dans le film : opposition entre destin tout tracé et hasard des rencontres, vieillesse et mort – le bel et sombre inconnu du titre pouvant être une évocation de la grande faucheuse, que tout le monde rencontre un jour ou l’autre…
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You will meet a tall dark stranger
Réalisateur : Woody Allen
Avec : Anthony Hopkins, Naomi Watts, Josh Brolin, Gemma Jones, Freida Pinto
Origine : Etats-Unis, Royaume-Uni
Genre : Woody en mode mineur
Durée : 1h38
Date de sortie France : 06/10/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Télérama
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