Lunes en détresse
Vous voyez, la Lune chevauche
Les nuages noirs à tous crins,
Cependant que le vent embouche
Ses trente-six mille buccins!
Adieu, petits coeurs benjamins
Choyés comme Jésus en crèche,
Qui vous vantiez d’être orphelins
Pour avoir toute la brioche!
Partez dans le vent qui se fâche,
Sous la Lune sans lendemains,
Cherchez la pâtée et la niche
Et les douceurs d’un traversin.
Et vous, nuages à tous crins,
Rentrez ces profils de reproche,
C’est les trente-six mille buccins
Du vent qui m’ont rendu tout lâche.
D’autant que je ne suis pas riche,
Et que Ses yeux dans leurs écrins
Ont déjà fait de fortes brèches
Dans mon patrimoine enfantin.
Partez, partez, jusqu’au matin!
Ou, si ma misère vous touche,
Eh bien, cachez aux traversins
Vos têtes, naïves autruches,
Éternelles, chères embûches
Où la Chimère encor trébuche!
(Jules Laforgue)