Il est des séries que l’on ne présente plus. De celles dont tout le monde a au moins entendu parler, à défaut de les avoir vues, et dont la mention ne suscite désormais plus qu’un sourire entendu. Battlestar Galactica est de celles-là, et la découvrir aujourd’hui vous fait immanquablement passer pour un loser patenté, perdu dans une quelconque faille temporelle depuis bientôt sept ans. Mais qu’importe. Car la morne rentrée des séries 2010 / 2011 est l’occasion idéale pour jeter un œil sur les piles de DVD entassées depuis des lustres au pied de la télé : ainsi fut exhumé le pilote de Battlestar Galactica, diffusé sur Sci Fi Channel – depuis rebaptisée SyFy - en 2003 sous la forme d’une télésuite de trois heures. La formule avait pour but de tester l’adhésion du public, et le succès dépassa de loin toutes les espérances : la chaîne réalisa la meilleure audience de son histoire, et le pilote fut le plus gros succès du câble américain en 2003.
Pour celles et ceux qui auraient perdu le fil des nombreuses déclinaisons de la franchise Battlestar Galactica, un petit rappel chronologique s’impose :
A l’origine de la franchise, une série : Galactica. Créée par Glen A. Larson et diffusée entre 1978 et 1979 sur ABC, Galactica raconte, en un pilote de 135 mn (parfois présenté en trois parties) et 20 épisodes, l’histoire originelle : désormais installés sur un ensemble de planètes appelées les Douze Colonies, les humains ont longtemps été en guerre contre une race cybernétique, les Cylons. Grâce à l’aide d’un humain, les Cylons sortent brutalement du silence et lancent une attaque-éclair sur les Colonies. Seuls quelques milliers d’humains en réchappent, et prennent la fuite à bord de l’unique vaisseau militaire ayant résisté à l’attaque : le Battlestar Galactica. Sous les ordres du commandant Adama, le vaisseau et son équipage entament un long voyage à destination de la Terre, un refuge inconnu des redoutables Cylons.
Galactica 1980, également créée par Glen A. Larson un an après la fin de la série originelle, fut pensée comme une suite – son action se déroule trente ans après Galactica – et une occasion de surfer sur l’enthousiasme des fans de la première heure. Pénalisée par un petit budget – l’intrigue se déroule principalement sur la Terre pour limiter les coûts financiers -, elle ne connut pas le succès de Galactica et fut annulée après seulement dix épisodes.
Vint alors le temps de la re-création (2003-2009) : Ronald D. Moore, producteur exécutif et scénariste de Star Trek : Voyager, Deep Space Nine et The Next Generation, sans oublier l’inclassable Carnivàle (La Caravane de l’Etrange, en français), décide de proposer une nouvelle version de la série de Glenn A. Larson : Battlestar Galactica conserve l’idée de départ mais introduit certains éléments nouveaux. Ainsi les Cylons, conséquence des progrès de la science, ont désormais une apparence humaine, tandis que les pilotes Starbuck et Boomer, initialement masculins, sont devenus des personnages féminins. L’approche est différente, plus réaliste, dans une mouvance que Ronald D. Moore qualifie lui-même de « science-fiction naturaliste ».
Les quatre saisons de Battlestar Galactica sont entrecoupées de trois ensembles de webisodes, épisodes de 2 à 4 mn chacun diffusés sur le net. Un premier ensemble de 10 webisodes, intitulé Battlestar Galactica : The Resistance, fait le lien entre la deuxième et la troisième saison ; un deuxième ensemble, Battlestar Galactica : Razor (plus connu sous le nom de « flashbacks de Razor ») mettant en scène les missions du jeune William Adama durant la première guerre contre les Cylons, est diffusé entre la troisième et la quatrième saison ; le dernier ensemble, The Face of the Ennemy, fit patienter les spectateurs durant la quatrième saison, interrompue en raison du mouvement de grève des scénaristes.
La quatrième saison est introduite par un téléfilm, Razor, théoriquement indépendant mais remplissant de fait le rôle des deux premiers épisodes de la saison 4 ; il se concentre sur l’histoire du Battlestar Pegasus, alors sous le commandement de l’amiral Helena Caine.
Battlestar Galacatica : The Plan sort en DVD en 2009, deuxième film issu de la franchise : réalisé par Edward James Olmos, il révèle le plan des Cylons à partir d’un mélange entre nouvelles séquences et séquences issues de la série. De la période qui précède l’attaque des Douze Colonies aux 300 jours qui la suivent, The Plan reprend l’histoire de Battlestar Galactica du point de vue Cylon.
Enfin, dernière déclinaison en date, le spin-off Caprica (diffusé depuis janvier 2010) s’est largement écarté de la série dont elle découle. Une volonté totalement assumée par Ronald D. Moore, qui estimait plus pertinent de ne pas « répéter la formule ». Conçue pour attirer un public féminin, Caprica est vendue comme « la première saga familiale de science-fiction à la télévision » et se déroule 58 ans après les événements racontés dans Battlestar Galactica.
Mais revenons-en à nos moutons, et en l’occurrence au long pilote de BSG, qui en trois heures pose les bases de l’intrigue et d’un univers étonnamment familier. Point de surenchère futuriste dans l’équipement technologique, dont l’aspect parfois quasi obsolète est justifié par le scénario – les technologies les plus simples étant paradoxalement les plus efficaces pour se protéger des Cylons - ; une absence d’artifice qui permet de concentrer le propos sur d’autres considérations. Les personnages, qu’ils soient principaux ou secondaires – saluons au passage le casting, absolument impeccable -, sont introduits avec minutie ; le dosage entre les révélations et les parts d’ombre est parfaitement maîtrisé, et un soin tout particulier semble avoir été apporté aux figures féminines : la Présidente Laura Roslin, ex-ministre de l’Education qui tente d’imposer son autorité au sein d’un univers profondément machiste, la dure à cuire Starbuck, que l’on pressent fragile sous une carapace en béton armé, l’intrigante Boomer, la sublime Cylon Numéro 6 ; on retrouve ainsi quelques unes des grandes figures déjà abordées sur ce blog : la femme de pouvoir, la guerrière, la femme fatale liée au camp du Mal, le tout traversé par le rapport au corps, la sexualité et la maladie.
Hanté par la question du terrorisme – le choc du 11 septembre 2001 est encore très récent au moment de sa diffusion -, le pilote de Battlestar Galactica fait également allusion à d’autres moments clés de l’histoire des Etats-Unis. Ainsi, la scène durant laquelle Laura Roslin succède au président Adar et prête serment à bord du vaisseau spatial est une référence directe à la prestation de serment de Lyndon B. Johnson, 36e président des Etats-Unis, à bord d’Air Force One après l’assassinat de Kennedy. Les photos parlent d’elles-mêmes :
Quant à la scène durant laquelle la petite Cami joue en toute innocence avec sa poupée au moment où les Cylons attaquent le Botanical Cruiser, un vaisseau de tourisme qui ne pourra être secouru, elle fait clairement allusion à un spot électoral très controversé, Daisy Girl, utilisé par le même Lyndon B. Johnson en 1964 contre son adversaire républicain Barry Goldwater, qu’il jugeait capable de déclencher une guerre nucléaire. Là encore, les images sont assez saisissantes :
Comme tout récit de science-fiction, Battlestar Galactica s’interroge au fond sur la condition humaine : qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qui définit notre humanité ? Confrontant l’infiniment grand, puisque l’action se déploie à l’échelle de l’univers, à l’infiniment petit, la majeure partie du récit se déroulant en huis clos, la série de Ronald D. Moore pose en un sens la même question que Deadwood : comment s’organise une société humaine en marge de toute loi ? Le pilote de BSG introduit quelques uns des grands thèmes qui ne cesseront de traverser la série : la religion, la politique, l’éthique, la morale, la loi, sont déjà évoqués au cours de ces trois heures, à travers ce qui s’annonce comme une passionnante relecture du mythe de l’Arche de Noé. Perpétuer l’espèce, mais à quel prix ? Et quelle est la faute originelle, quelle est réellement la nature du péché dont les hommes ne cessent de se repentir, cette faute dont ils payent désormais le prix (le Déluge hier, la colère des Cylons aujourd’hui) ?