La lecture des 309 pages du projet de loi de finances pour 2011 a quelque chose d'évidemment fastidieux. Des députés s'en
sont saisis. Des amendements vont surgir. Des lobbies vont s'activer. Depuis quelques jours, le budget de l'Etat est le sujet examiné à l'Assemblée nationale. Sarkozy s'en fiche un peu. Mardi, il
inauguré un ciné-club dans un lycée.
Les grands déséquilibres...
On connaît les grands (dés)équilibres présentés par le gouvernement voici maintenant une semaine. L'an prochain, le gouvernement espère récolter 336 milliards
d'euros de recettes fiscales et 17 milliards d'autres produits. S'en déduiront ensuite 82 milliards d'euros de remboursements et dégrèvements, 55 milliards d'euros de reversements aux
collectivités locales, et 18 milliards d'euros à l'Union Européenne. Resteront à peine 201 milliards pour financer les différentes missions publiques. Comme les dépenses sont prévues à 290
milliards, le déficit budgétaire ressortira à 92 milliards.
Côté recettes, le gouvernement a revu à la baisse le rendement de l'impôt sur le revenu (IR) en 2010 par rapport au budget
initial (1,1 milliard d'euros), à cause d'une « moindre croissance qu’attendue des revenus 2009 ». Cela ne l'empêche pas, pour l'année suivante, de tabler sur une augmentation de 4,4% de
son rendement, « conséquence directe de la reprise économique » : 58,4 milliards d'euros d'IR, moins 7,4 milliards de niches. Restent 51 milliards d'euros. Même
optimisme affiché pour l'impôt sur les sociétés : +9 milliards, pour atteindre 44 milliards d'euros. La TVA rapporterait 176 milliards d'euros, desquels il faut
ensuite déduire 44 milliards d'allègements (25%). La TIPP rapporterait 14 milliards d'euros (+1,1%), en évolution favorable grâce à l'augmentation du gazole (+2,9%) qui compense
une baisse de consommation des super-carburants (-5%). D'autres recettes fiscales diverses complètent le total pour 13 milliards d'euros.
Sur la réduction des niches
fiscales, le gouvernement embrouille bien volontiers le lecteur : il évoque d'abord 10 milliards d'euros de réduction, le fameux coup de rabot (« les niches fiscales et sociales seraient
réduites par le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 de près de 10 milliards d’euros en moyenne sur les deux années 2011 et 2012
», page 19) ; Mais dans le détail du document, des tableaux et des explications, ces 10 milliards ont disparu : on retrouve, certes, des mesures de « réduction de
dispositifs fiscaux dérogatoires » (page 22), mais elles ne génèrent qu'une amélioration totale de … 1,7 milliards d'euros. Pire, ce total mélange deux réduction de niches
(le relèvement de la TVA sur les offres triple plaie des FAI pour 1,1 milliard, et la réduction des crédits d'impôt sur le photovoltaïque pour 150 millions), et une nouvelle taxe sur les banques
(pour 500 millions). Osons une hypothèse : ces « 10 milliards » sont à « multi-usages » pour un story-telling sophistiqué, tantôt réduction de niches, tantôt «
amélioration des recettes fiscales grâce à la reprise de l'activité. » Au final, les recettes nettes s'affichent à 254 milliards d'euros, soit un niveau quasi-identique
à l'an dernier.
Concernant les retraites, le gouvernement veut aussi faire bonne figure. Il prend bien soin de préciser que les économies et
prélèvements nouveaux imposés aux hauts revenus et au capital destinés à financer les retraites ne sont pas inclus dans le projet de budget de l'Etat : ils seront reversés aux régimes de
retraite. Le chiffrage est modeste, à 1,3 milliards d'euros :
« - suppression du crédit d’impôt attaché aux revenus distribués de source française ou étrangère (+0,6 milliard d’euros) ;
- réforme du régime fiscal des sociétés-mère, avec le déplafonnement de la quote-part de frais et charges prélevée sur les dividendes perçus de ses filiales par une société mère (0,2 milliard d’euros) ;
- mise en place d’une contribution de 1% sur les hauts revenus et sur les revenus du capital (0,5 milliard d’euros). »
Au final, le besoin de financement reste énorme : 92 milliards d'euros de déficit généré dans l'année,
49 milliards de remboursement de dette à long terme, et 48 milliards de remboursements de dette court terme. L'Etat a prévu de financer l'essentiel de ces besoins (186 sur 189 milliards) par un
recours aux marchés financiers.
... et les petites surprises
Dans le détail, certaines mesures ont été peu commentées. En voici quelques-unes.
1. Le relèvement d'un point de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu (de 40 à 41%) s'appliquera sur les revenus 2010
(payés en 2011). En revanche, le relèvement d'un point (de 18 à 19%) des plus-values de cessions de valeurs mobilières ne concernera que les cessions réalisées après le 1er janvier 2011. En
d'autres termes, cette modeste taxation concernera d'abord les revenus des ménages (dès 2010), et plus tard certains revenus du capital (les
plus-values).
2. Jusqu'à maintenant, les contrats responsables de complémentaire santé étaient exonérés de la taxe sur les
conventions d'assurance (TCA). Le projet de loi de finances prévoit d'instaurer une nouvelle taxe de 3,5%, qui devrait rapporter un milliard d'euros, un prélèvement sur le dos des mutuelles qui
se chargeront de le répercuter sur les ... ménages.
3. Les élections approchent, et cela se voit : après avoir tenté de la supprimer en 2009, le gouvernement
prend cette fois-ci bien soin de prolonger l'exonération de redevance audiovisuelle instaurée en 2005 pour les personnes âgées de plus de 65 ans aux revenus modestes (article 36).
4. L'aide juridictionnelle, jusqu'alors gratuite pour les bénéficiaires, sera désormais facturée 8,84 euros
pour chaque plaidoirie ou représentation aux audiences de jugement (article 41). Le gouvernement entend « sensibiliser les justiciables au coût de l’aide juridictionnelle et limiter les
recours abusifs.»
5. Sans trop le crier sur les toits, le gouvernement a prévu de resserrer le périmètre des entreprises bénéficiaires
d'investissement défiscalisé (impôt sur le revenu et ISF). A lire les motifs de ce resserrement, on se demande pourquoi personne à Bercy n'y avait pensé plus tôt : « les activités
qui, par leur nature même, ne connaissent pas de difficultés structurelles à trouver des financements en fonds propres (immobilier, activités financières, activités dont les stocks ne se
dévalorisent pas, etc.) seraient exclues du mécanisme.» (article 14). Dans la même veine, Bercy propose de « limiter les situations abusives », sans fournir d'éléments chiffrés à ce stade,
en citant, en particulier, la « constitution de sociétés pour le seul motif fiscal, ces dernières étant dissoutes au bout de cinq ans et leurs actifs vendus.»
6. La fameuse « taxe de risque systémique », nouvelle taxe bancaire pour limiter les risques de
placements, est très modeste (article 16). Son taux est de 0,25%, appliqué au niveau minimal de fonds propres requis en matière prudentiel. On a déjà critiqué le fait que le produit de cette taxe
(estimé à 500 millions d'euros en année pleine, contre plus d'un milliard en Allemagne pour la taxe équivalente) serait affecté, non pas à un fond de réserves en cas de défaillance bancaire, mais
au budget général de l'Etat. Dans son projet de loi, le gouvernement justifie : « Afin de ne pas engendrer de comportements de prise de risque, la taxe ne doit avoir aucun caractère
assurantiel. Pour cette raison, la taxe sera affectée au budget général.» On croit rêver : qui peut croire qu'une taxe aussi modeste, 0,25% d'un plancher de fonds propres qui s'est déjà
révélé incapable de compenser les risques abyssaux pris par les banques avant 2008, pourrait encourager ces établissements à prendre davantage de risque !
7. Evènement peu commenté, l'Autorité des Marchés Financiers est ... en faillite. Ou presque. En 2009, son
déficit a atteint 17 millions d'euros (soit 28% de ses revenus !). En 2010, le trou s'est creusé à 25 millions d'euros ! D'après le document budgétaire, la trésorerie prévisionnelle de l'AM à fin
2010 ne lui permettra de tenir que de « 5 à 6 » mois. Les ressources de l'AMF sont constitués de prélèvements et cotisations sur les activités d'épargnes ou des professionnels des
marchés. Elle aurait perdu près de 30% de ces recettes entre 2006 et 2009. Bercy créé donc de nouveaux droits d'enregistrements, et en augmentent d'autres, afin de remédier à la
situation.
8. Les collectivités territoriales passent, budgétairement, sous la coupe de l'Etat :
désormais, le montant de la Dotation Générale de Fonctionnement sera fixé chaque année en loi de finances (cf. article 19).
9. Les dotations d'investissements des départements seront également gelées : équipement des
départements, des collèges, et d’équipement scolaire. Mardi, 60 départements (58 gérés par la gauche, 2
par la droite), ont décidé de saisir le Conseil Constitutionnel pour « non-respect du principe de libre-administration des collectivités locales.»
10. Le gouvernement précise, dans l'article 32 du projet de loi, comment il compte tenir les engagements « en faveur de
la forêt dans le cadre de la lutte contre le changement climatique », pris à l'issue du sommet de Copenhague en décembre 2009, soit 1,26 milliard d'euros à consacrer de 2010 à 2012. Pour
2011, la France entend financer cet engagement « par la cession d’une partie des unités de quantité attribuée (UQA) à la France dans le cadre du protocole de Kyoto ». En d'autres
termes, le gouvernement va céder des droits à polluer dont elle n'a pas plus l'utilité grâce « aux efforts déjà réalisés et à ses bonnes performances en matière de
lutte contre le changement climatique.» Voilà tout le paradoxe de ce système de quotas : pour financer la « reforestation », on vend à d'autres la possibilité de polluer.
11. La France est fauchée, surtout quand il s'agit de justice. Pour économiser 6,6 millions d'euros par an, le gouvernement a
décidé de reporter au 1er janvier 2014 l'application de l'une des dispositions de la loi du 5 mars 2007 qui prévoyait, après le scandale de l'affaire Outreau, de confier toutes les
informations judiciaires à une collégialité de trois juges (article 75). En 2009, le gouvernement Sarkozy l'avait déjà reporté au 1er janvier
2011.
12. La Grèce paiera 200 millions d'intérêts à la France l'an prochain au titre du prêt « généreux et
solidaire » octroyé en début d'année.
13. Le budget de l'Elysée est « gelé » à son niveau record de 2010 : 112 millions d'euros. Cette
dépense n'intègre pas le nouvel Airbus présidentiel prochainement
livré.
14. On lira avec attention, le moment venu, les explications avancées par le gouvernement pour justifier la
progression de 89 millions d'euros des dépenses de personnel de la mission « coordination du travail gouvernemental », au sein des services du premier
ministre : 244 millions d'euros pour 2011, contre 155 millions en 2010.
Ami sarkozyste, as-tu lu ce budget ?
Sarkofrance
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