“Donner la priorité à la lutte contre les écarts de salaire, voilà l’un des principaux défis pour améliorer la retraite des femmes. Ce défi est réel, il est colossal, il concerne absolument toutes les femmes” E. Woerth – N.Berra – N. Kosciuzko-Morizet – G. Tron – N. Morano – le Monde 4 octobre 2010
Comme une habitude, s’appuyer sur un progrès pour instituer un recul. La contre-réforme des retraites hoquette. Une opinion revêche, des manifestations solides, pourtant tout est mis en oeuvre pour clore le processus au Sénat. Les arguments d’autorités sur le problème de l’espérance de vie n’ont pas porté leurs fruits. La mort est devenue un problème. Il faut donc en passer par le sexe. L’inégalité salariale hommes-femmes s’invite donc dans le débat. L’entrée de la question de genre, accompagnée de quelques avancées sur le sujet pour faire passer le tout. La dernière phase, semble-t-il, d’une mécanique de persuasion bien pensée.
Méthodologie du dressage
Le gouvernement veut porter l’estocade avec la question féminine. Les syndicats, l’opposition ont pointé les lacunes d’un allongement de l’âge légal de départ à la retraite (de 60 à 62 ans), ainsi que celui du taux plein (de 65 à 67 ans) pour les femmes. Elles font des carrières moins régulières, et perçoivent en moyenne des salaires moins élevés. Ce qui devait être un argument déterminant face à la contre-réforme des retraites a judicieusement été retourné par le gouvernement. D’une situation d’inégalité générale sur la question de la répartition, la communication de l’Élysée a trouvé un point d’appui sur un aspect spécifique du projet. Un processus habituel d’individualisation dans le cheminement des politiques néo-conservatrices. Une stratégie qui permet d’éparpiller les forces. Et dont l’objectif consiste à raboter les résistances en consentant aux moins mécontents de menues concessions.
L’UMP découvre la lune
E. Woerth le 21 septembre déclarait au parisien que “La plus grosse injustice (…), c’est l’écart de salaire entre les hommes et les femmes”. Il découvre enfin, au crépuscule de son mandat l’ampleur du travail qui l’attend dans son ministère. Il a surtout pris conscience de l’immense potentiel que représentait l’argument progressiste “féministe” dans la bataille sur les retraites. Le 4 octobre, juste avant l’arrivée au Sénat, N. Kosciusko-Morizet, N. Berra, G. Tron, N. Morano viennent au secours d’E. Woerth dans une tribune du Monde commençant ainsi “les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes demeurent une injustice criante, c’est une évidence et c’est inacceptable. La réforme des retraites voulue par le président de la République est l’occasion de progresser ensemble sur cet enjeu de société”. S’en suit une série de “désintoxications” sur l’argumentaire des “anti-réformes” concernant le travail des femmes. Une désintoxication partisane, mais plutôt bien sentie, qui ne brille pas par la limpidité ou la fulgurance de l’argumentation, mais par sa focalisation sur une partie du problème. Une focalisation qui permet de faire passer le reste. Le gouvernement possède encore quelques francs-tireurs capables de dégainer de minimes avancées pour emporter la totalité de la mise. Comme G. Larcher, qui lui aussi, très préoccupé par la condition féminine propose de conserver l’âge du taux plein (65 ans) pour celles qui auront eu trois enfants. Une certaine conception du féminisme.
Mauvais interlocuteurs
Tombés des nues, les promoteurs du projet de l’UMP s’appuient sur une situation qui perdure. Rien n’a été fait sur les disparités de salaires, mais cette tare sert de levier pour emporter l’assentiment. On découvre le “féminisme” presque 40 ans après le premier texte de loi instituant l’égalité salariale, en l’occurrence la loi du 22 décembre 1973 et le décret du 15 novembre 1973 qui posent le principe de l’égalité des rémunérations auquel est assortie une sanction : celle de la nullité de plein droit de toute disposition contraire. On découvre aussi l’alinéa 3 du préambule de la constitution de 1946 qui reconnaît que la “loi garantissait à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme”. Cette situation demeure, elle n’est pas imputable à l’UMP spécifiquement. Mais en utiliser le motif pour asseoir un recul social relève de la mauvaise foi crasse. Les syndicats ne sont pas les bons interlocuteurs dans ce cas de figure. Les décisions de management et de politique salariale ne se prennent pas au siège de la CFDT. Elles sont l’apanage exclusif des directions d’entreprises. Une fois les dispositions de grilles respectées et le salaire minimum atteint, les sociétés font ce qu’elles souhaitent. Dans l’éditorial des mousquetaires de l’UMP, il n’est à aucun moment fait mention du MEDEF, de la CGPME ou d’une autre organisation patronale. Organisation potentiellement capable de remédier au problème si crucial des écarts de salaires. À moins que ce soit l’État, le ministère, ou bien celui qui peut tout en France : N. Sarkozy. Parler de disparités de salaires dans ce contexte c’est prendre le problème par la fin. Mélanger causes et conséquences.
L’équité au secours de l’inégalité s’inscrit dans la communication habituelle qui accompagne le recul de droits acquis. Les questions de progrès sociétaux se retrouvent souvent dans la panoplie argumentaire des néo-conservateurs. Ces questions sont souvent avancées pour les opposer aux droits sociaux. L’UMP par exemple n’a aucun tabou à évoquer l’égalité des sexes, la non-discrimination dans les entreprises. Cette communication de crise, bien que touchant des thèmes cruciaux, sert principalement à distraire le public de l’enjeu principal. Faire miroiter des avancées marginales dans une problématique générale. En l’espèce, le recul pour tous (hommes, femmes, maris, épouses, concubins, amies, frères, enfants, etc.) et avec pertes et fracas d’un droit primordial, celui de finir décemment ses jours.
Vogelsong – 5 octobre 2010 – Paris