Il m’a fallu du temps pour rentrer dans Le goût des pépins de pomme, premier roman de Katharina Hagena. Parce que j’ai envie de chaleur, de gaieté, de comédie, j’ai failli le mettre de côté pour le reprendre plus tard. Ce n’est pas que ce n’était pas bien, au contraire. Ce n’était juste pas ce dont j’avais envie.
Et puis, un jour, je me suis rendue compte que j’avais envie de lire quelques pages avant de me coucher. Et peu à peu, je suis complètement rentrée dedans. Mélancolique, lent, mais d’une justesse infinie, Le goût des pépins de pomme retraçe l’histoire de trois générations face aux joies et aux épreuves de la vie.
L’histoire commence quand la narratrice, Iris, hérite de sa grand-mère la maison familiale. Cette maison, tous ceux qui en ont un jour eu une dans leur famille la reconnaîtront. Les escaliers qui grincent, la porte qui claque et l’odeur si particulière de bois et de fruit parlent à (presque) tous les lecteurs. C’est ma maison, sa maison, notre maison qu’elle décrit si justement.
Peu à peu, les personnages se dévoilent, prennent corps. Ils sont principalement féminins : Bertha, la grand-mère qu’on enterre au début du livre, a souffert d’Alzheimer pendant de nombreuses années et dérive dans l’oubli au fil des pages. Il y a aussi ses trois filles : Inga la sublime, née un soir d’orage ; Harriet, dont la fille, Rosemarie, meurt accidentellement à 15 ans et qui entre dans une secte par la suite ; Christa, la patineuse, mère de la narratrice et préférée du père, détestée par ses sœurs pour cela et parce qu’elle habite loin et s’occupe peu de sa mère oublieuse.
En redécouvrant la maison, Iris redécouvre son passé et les événement qui ont conduit à la mort de Rosemarie, point culminant d’une tragédie familiale latente. Sa souffrance suite à la mort de sa cousine et plus tard, à celle de sa grand-mère est suggérée tout en subtilité et en sous-entendu, de même que son besoin de se protéger. Mais Iris est aussi impulsive, un peu fo-folle, assez drôle et dans sa quête, elle redécouvre un garçon du village, Max, devenu avoué et dont elle tombe amoureuse.
Comme le signale très justement Aifelle, les hommes ne sont toutefois pas en reste. Le père de la famille et mari de Bertha, Hinnerk Lünschen, et un homme autoritaire, taciturne et macho, mais Bertha n’a jamais aimé que lui. Loin de tomber dans la caricture, la complexité d’Hinnerk se découvre au fur et à mesure des chapitres :
« La clé était encore sur la porte du bureau. Hinnerk ne s’était jamais donné la peine de mettre quelque chose sous clé. D’ailleurs, personne ne se serait risqué à fouiller dans ses affaires. Ses violentes colères ne faisaient pas la différence entre confrères et subalternes, petites-filles et camarades des petites-filles, épouse et femme de ménage, amis ou ennemis. Et lorsqu’elles se déversaient sur l’une ou l’autre de ses filles, c’était avec la même violence, que le mari ou les petits-enfants fussent présents ou pas. Hinnerk se posait comme le défenseur de la loi, et la loi, c’était lui en personne. [...]
J’ouvris la porte du bureau et sentis monter à mes narines le parfum familier de vernis à bois, de documents archivés et de menthe poivrée. Je m’assis par terre, respirai le parfum et regardai dans le casier du bas. Il contenait effectivement une boîte de Macintosh, vide, et aussi un étroit carnet gris. Je le tirai du casier, l’ouvris et vis qu’Hinnerk avait écrit son nom à l’encre sur la première page. Un journal ? Non, ce n’était pas un journal, c’étaient des poèmes. »
Quant au personnage de Max, il est touchant dans son affection pour Iris et apporte une dose d’humour subtil au roman, qui ne tombe jamais dans le pathos ou le ridicule. Un vrai beau roman sur le souvenir et sur la vie.
Vous pouvez aussi lire l’avis d’Antigone sur le sujet, qui cite dans son billet d’autres avis, parfois plus négatifs sur le livre.