« (…) La meilleure façon de comprendre les conflits culturels qui ont bouleversé l’Amérique depuis les années 60 est d’y voir une forme de guerre des classes, dans laquelle une élite éclairée (telle est l’idée qu’elle se fait d’elle-même) entreprend moins d’imposer ses valeurs à la majorité (majorité qu’elle perçoit comme incorrigiblement raciste, sexiste, provinciale et xénophobe), encore moins de persuader la majorité au moyen d’un débat public rationnel, que de créer des institutions parallèles ou « alternatives »dans lesquelles elle ne sera plus du tout obligée d’affronter face à face les masses ignorantes. »
« (…) De nos jours, la croyance est largement répandue, du moins chez les membres de la classe charitable [éprise de l’idéologie de la compassion] que les normes sont, par essence, oppressive, que, bien loin d’être impersonnelles, elles exercent une discrimination contre les femmes, les Noirs et les minorités en général. On nous dit que les normes reflètent l’hégémonie culturelle des DWEM (dead white european males/ hommes européens blancs et morts). La compassion nous oblige à reconnaître l’injustice qu’il y a à les imposer à tous les autres.
Quand l’idéologie de la compassion mène à ce type d’absurdité, il est temps de la remettre en cause. La compassion est devenue le visage humain du mépris. Autrefois la démocratie sous-entendait l’opposition à toutes formes de normes inégales. Aujourd’hui nous acceptons les normes inégales –comme toujours elles anticipent la citoyenneté à deux vitesses- au nom du souci humanitaire. Comme nous avons renoncé à l’effort d’élever le niveau général de compétence, -ce qui était la signification ancienne de la démocratie- nous nous satisfaisons de l’institutionnalisation de la compétence dans la classe charitable, qui s’arroge la tâche de s’occuper de tous les autres.
Dans l’idée que je m’en fais, le populisme souscrit sans équivoque au principe du respect. C’est entre autres pour cette raison que l’on doit préférer le populisme au communautarisme, trop prompt au compromis avec l’Etat providence et à adhérer à son idéologie de la compassion. Le populisme a toujours rejeté une politique fondée sur la déférence aussi bien que sur la pitié. Il est attaché à des manières simples et à un discours simple et direct. Les titres et autres symboles d’un rang social éminent de l’impressionnent pas, pas plus que les revendications de supériorité morale formulées au nom des opprimés. Il rejette une « option préférentielle pour les pauvres » si cela signifie traiter les pauvres comme les victimes impuissantes des circonstances, les exempter de toute possibilité d’être tenus pour responsables, ou bien excuser leur faiblesse au motif que la pauvreté porte avec elle une présomption d’innocence. Le populisme est la voix authentique de la démocratie. Il postule que les individus ont droit au respect tant qu’ils ne s’en montrent pas indignes, mais ils doivent assumer la responsabilité d’eux-mêmes et de leurs actes. Il est réticent à faire des exceptions ou à suspendre son jugement au motif que « c’est la faute à la société ». Le populisme est enclin aux jugements moraux, ce qui, de nos jours, semble en soi péjoratif, marque suffisante de l’affaiblissement de notre capacité à juger de manière discriminante par le climat moral de « souci » humanitaire. »
Christopher Lasch, La révolte des élites, 1995.
Lire aussi ce billet de Drac, bien éclairant:
"(...) Commençons par rappeler que l’Union Européenne n’est ni unie, ni européenne. Elle n’est pas unie, et les tensions récentes entre ses membres ont bien montré que c’était plus un conglomérat d’intérêts cherchant péniblement à se coordonner qu’une union en bonne et due forme. Et elle n’est pas européenne, puisque ses instances dirigeantes sont, en pratique, conditionnées par une infernale industrie du lobbying dans laquelle excellent les principaux concurrents géostratégiques de l’Europe, c’est-à-dire les anglo-saxons.
En pratique, l’Union Européenne n’est, pour l’instant, que la courroie de transmission du mondialisme sous dominance anglo-saxonne. La mise sous tutelle des budgets nationaux signifierait concrètement que le Pouvoir, dans la sphère économique, achève d’échapper au suffrage populaire, et qu’il se concentre entièrement entre les mains des grandes multinationales, et principalement, en dernière analyse, entre les mains des acteurs les plus puissants de la haute finance occidentale. En gros, c’est la dictature des banques.
La solution réside dans la révolte des peuples. J’espère, pour notre avenir à tous, que cette révolte sera européenne, et pas simplement française. Mon analyse est que la clef de l’histoire se trouve en Allemagne : combien de temps les Allemands accepteront-ils, en gens trop disciplinés qu’ils sont, de marcher au pas vers l’anéantissement programmé de leur propre nation, et avec elle, de tout le continent européen ? Dans quelle mesure les élites allemandes sont-elles devenues incapables de penser un destin autonome face à leur conquérant anglo-saxon ? Voilà les questions que je me pose avant tout. Je l’avoue, je pense que si nous devons avoir une chance de changer le cours de l’histoire, en Europe, cela partira de France, de la révolte française… mais si cette révolte ne passe pas le Rhin, elle échouera. Voilà mon analyse.
Quant au protectionnisme, c’est évidemment nécessaire. Encore faut-il que cela soit fait autant que possible à la bonne échelle, qui est à mon avis européenne, et intelligemment, c’est-à-dire de manière coordonnée avec une Chine qui, au demeurant, est en train de développer, à présent, son marché intérieur. D’une manière générale, l’espoir aujourd’hui vient de l’Est. Le temps est passé, où l’Amérique était pour nous une solution, et l’Est une menace. Tout s’est inversé. Et tout restera inversé, à moins que le peuple américain ne parvienne à se débarrasser de la bande de dingues, de corrompus et de traîtres qui lui sert présentement de classe dirigeante."