DU NUMERIQUE AU SONORE
CONSTATS
Le lundi 4 octobre se tenait à Lyon, impulsée par la Région-Rhône-Alpes, une première concertation autour du thème "Le
numérique : Nouvelle donne, nouvelle politique culturelle ?
Deux cent personnes, opérateurs culturels, techniciens de la région, artistes étaient donc réunies à l'Hôtel de Région pour
débattre de ce sujet, faire un point sur les politiques régionales lors d'une séance plénière le matin, et faire connaître des expériences et questionnements de chacun lors d'ateliers tables
rondes l'après-midi.
Le sonore et la musique furent donc naturellement abordés dans les ateliers, donnant lieu à des affirmations pour le moins
incongrues engendrant des débats parfois houleux, et révélant en tout cas une méconnaissance assez frappante de la création sonore contemporaine dans son ensemble.
Des prises de positions péremptoires mélangèrent allègrement les donnes du secteur musical commercial, et de ses circuits de
distribution qui font en effet de plus en plus appel aux réseaux et média numériques pour se diffuser, et l'ensemble des pratiques de ce que l'on nomme l'art sonore. Ces dernières se trouvant sur
des marchés et des modèles de fonctionnement très différents des premières.
Ces amalgames contribuèrent donc à creuser des fossés d'incompréhension entre différents interlocuteurs qui campèrent sur des
positions en abordant la création sonore par le petit bout de la lorgnette, via le filtre du numérique, ou de grands projets parisiens, ce qui n'arrangea pas les choses.
Certaines questions récurrentes, poncifs propres à geler les débats dans de stériles polémiques telles, "l'art
numérique est-il un art ?", ou bien encore "l'art numérique modifie t-il profondément le statut de l'artiste" furent évidemment posées, sans toutefois, heureusement, trouver beaucoup
d'écho.
En tout cas, les questions et revendications soulevées par les pratiques numériques en général, s'appliquent en toute logique
à la création sonore, même si celle-ci n'est pas, il convient de la rappeler à cent pour cent "binarisée", ni dans les outils de création, ni dans ceux de la diffusion.
En terme de questions récurrentes on trouve bien-sûr en premier lieu une grande méconnaissance des arts numériques, et
sonores en ce qui nous concerne, dans leur globalité, dans leur histoire, dans leurs ramifications, chacun ayant tendance à considérer cette discipline au regard de SA spécialité.
Ce constat fait évidemment ressortir les lacunes en terme d'enseignement, de formations. Ni les conservatoires ni les écoles
d'art, les arts sonores ne disposant d'ailleurs pas de "vrais" lieux spécifiques, n'enseignent, même a minima l'histoire et la genèse de ces pratiques. Et plus encore, hormis quelques centres
dédiés au multimédia, et des centres de création musicale contemporaine, les techniques et outils reliant arts, sciences et technologies, entre autre numériques, sont très peu enseignés. S'ils le
sont dans certains lieux, c'est depuis très peu de temps, beaucoup d'établissements d'enseignement rechignant encore à s'y aventurer, par méconnaissance, par peur ou tout simplement
par manque de moyens.
Il en est de même pour les lieux de production ou de diffusion, où l'on constate là encore un certain manque d'espaces qui
programment des œuvres "hors-normes", mêlant régulièrement spectacles vivants, installations, dispositifs interactifs, hormis sans doute quelques festivals de cultures électroniques ou
numériques…
Il n'est peut-être pas pour autant souhaitable de mailler à nouveau un territoire de centres de créations numériques, comme
on l'a fait, et comme on le fait encore de façon souvent irréfléchie pour les Scènes de Musiques actuelles. Ces dernières mises en place dans une certaine précipitation (les lignes
budgétaires étant là), et faute de véritables projets de terrain, ressemblent parfois à de grands bateaux vides aux programmations de bric et de broc tant les moyens de fonctionnements sont
réduits. Il conviendrait certainement, de façon plus raisonnable, de profiter justement du réseaux des SMACS pour mettre en place des programmations pertinentes, touchant par exemple à la
création sonore, intégrées dans celles des musiques actuelles, et touchant ainsi des publics variés. Certains le font déjà, avec les moyens du bord, en s'appuyant sur des artistes locaux.
Mais je pense que beaucoup de directeurs de salles dédaigneraient royalement ces choix de programmations croisées, arguant qu'il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, le savant et
le "non savant", l'actuel et le contemporain…
Pourtant, sans vouloir brouiller les pistes, ou forcer des hybridations de genres contre-nature, je pense que différentes
programmations, musiques actuelles et art des son, pourraient tout à fait investir les mêmes espaces, se complétant naturellement sur une histoire du sonore et du musical partagée. et trouvant
des publics qui pourraient ainsi s'y croiser.
Pour en revenir au débat des rencontres, parlons pas des choses qui fâchent, par exemple de la précarité de nombreux artistes
qui sont contraints par des directeurs de salles ou de festivals, à se produire ou à exposer parfois gratuitement, ou à des coûts dérisoires, sous prétexte qu'on leur "donne de la visibilité",
alors que certaines tête d'affiches se vendent à prix d'or. Cet état de fait décrit un un marché qui hélas, fonctionne comme cela depuis bien longtemps, et ne semble pas vouloir changer
d'orientation, malgré tous les beaux discours autour de l'aide aux jeunes artistes émergeants. Et bien évidemment les artistes œuvrant dans la création sonore, numérique ou non, n'échappent pas à
ce système à plusieurs vitesses, que beaucoup déplorent publiquement tout en le cautionnant dans leur pratique.
Il y aurait en effet, au delà de la bricole, de la débrouille, des combines de misère, tout un système économique à inventer,
touchant la création, la production, la diffusion , qui fasse vivre décemment un artiste, comme son travail peut faire un artisan, ou une petite entreprise.
Voila un article qui peut paraître bien pessimiste, mais qui au regard de la création artistique contemporaine, sonore ou
non, me semble pourtant assez proche de la réalité, même si j'en convient, il y a autant de réalités que d'artistes, ce qui ne simplifie pas forcément les choses.