«N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas ?»
"Voltaire"
La «police islamique du salut» a encore frappé ! Après avoir pourchassé les chrétiens, coupables de «pratiquer un culte non musulman sans autorisation», voilà les «chevaliers de la foi» en uniforme de la République lancés aux trousses des «dé-jeûneurs» du Ramadhan, traquant bouteilles d’eau et morceaux de pain comme de redoutables armes de destruction massive. Au mépris de la loi fondamentale qui protège les libertés du citoyen, ils n’ont pas hésité à violer des propriétés privées pour exécuter une manipulation politique au nom d’une idéologie religieuse.
A Aïn El Hammam, la police a sorti le grand jeu pour arrêter deux dangereux ouvriers, «coupables» – et ils le revendiquent ! – d’avoir entrecoupé leur dure journée de labeur par un morceau de galette et quelques gorgées d’eau. Ils seront donc jugés, et peut-être condamnés, pour «atteinte et offense aux préceptes de l’Islam».
Briguant la palme du grotesque, deux policiers sont affectés, dès le lendemain de cette opération, à la surveillance d’une fontaine publique pour empêcher les délinquants cultuels d’y étancher leur soif ! A un tir de grenade lacrymogène du commissariat, des dealers de drogues pas toujours douces opèrent à ciel ouvert, dans une totale impunité.
Dans un Etat de droit, les auteurs de cette forfaiture auraient été passibles des tribunaux. Dans les mœurs dissolues des régimes autoritaires sans légitimité, l’appareil judiciaire est réduit au rôle d’appendice consentant et servile de la logique policière. Et c’est en toute bonne conscience que des magistrats visqueux, dopés aux «thawabits (constantes)» fascisantes, viendront donner à l’arbitraire un semblant de légalité.
Gages de «bonne foi»
Au-delà des fantasmes talibanesques de fonctionnaires de province habitués à dicter leur loi, au lieu de faire respecter celles de la République, le scénario élaboré au plus haut niveau de l’Etat vise à soumettre à la bigoterie ambiante les franges encore réticentes de la société. Face à l’impasse structurelle du système, le pouvoir, cerné par les scandales de corruption que l’esbroufe habituelle ne peut plus occulter, s’apprête à donner aux intégristes de nouveaux gages de «bonne foi» pour rétablir son équilibre sous la bannière national-islamiste.
Dans la recomposition en cours, l’on n’hésite même plus à torturer l’histoire pour la convoquer au service d’intérêts claniques et privés. Au milieu des années 1930, Cheikh Ben Badis revendiquait le respect de la laïcité et de la liberté de culte, au nom de la démocratie et des valeurs de la République. Dans l’Algérie indépendante, ceux qui tentent, par conviction ou par opportunisme, de capter son héritage ont déclaré la guerre aux libertés, après avoir décrété «la démocratie kofr (impie)» et la laïcité «contraire à nos valeurs civilisationnelles» !
Dans ce climat d’inquisition, où le religieux s’est imposé comme unique référence qui légitime les actes de la vie sociale, même les milieux à prétention «moderniste» les plus bruyants ont renoncé à leur devoir de résistance. Face à des agressions idéologiques qu’il faut combattre, l’on préfère voir des «manifestations spirituelles» à respecter ! Comme si le respect à sens unique, imposé au nom d’une majorité «écrasante», n’était pas une version consentante de la soumission. N’a-t-on pas vu des exégètes de bistrot chercher dans le texte religieux une autorisation à l’exercice d’une liberté pourtant garantie par la loi fondamentale ? En se plaçant ainsi sur le terrain choisi par l’adversaire, en acceptant les règles du jeu qu’il a édictées pour consacrer la primauté des devoirs du croyant sur les droits du citoyen, l’on ne peut que perdre la bataille avant même de l’avoir engagée.
A Alger, et il faut s’en féliciter, les restaurants des grands hôtels sont restés ouverts pour servir les dé-jeûneurs, sans distinction de religion ou de nationalité. Au lieu de revendiquer, au nom de l’égalité de tous devant la loi, la démocratisation de ces lieux de convivialité imposés par l’argent, aux restaurants de moindre standing, et laisser ainsi au citoyen le soin de gérer librement sa spiritualité, les âmes bien pensantes prônent le nivellement par le bas, en exigeant leur fermeture.
Disqualifier l’Islam traditionnel
Faut-il s’étonner alors de voir des agents de l’ordre républicain jouer à la police religieuse et détourner le regard de pratiques obscènes qui défient le Code pénal ? C’est désormais une tradition, chaque année durant le Ramadhan, «mois de piété, de miséricorde et de solidarité», nous dit-on, les commerçants saignent le consommateur par une brutale augmentation des prix qui défient les lois élémentaires du marché. Comme chaque année, les autorités promettent de réguler les mercuriales et de sévir contre les spéculateurs par une application stricte de la réglementation. Mais, comme chaque année, le droit cède devant la loi du milieu bénie par le slogan hypocrite, mais imparable, qui sert de tenue de camouflage à toutes les escroqueries : «Ettidjara hallal (le commerce est licite)» !
Dans cette agression concertée entre divers segments du pouvoir et de ses annexes qui tentent d’imposer de «nouvelles habitudes alimentaires et vestimentaires», même la pratique ancestrale d’un Islam tranquille, prônant une spiritualité apaisée, commence à sentir le soufre. Pour les nouveaux «prophètes», nos cérémonies de mariage et les rites de nos funérailles en cours depuis des siècles seraient illicites, nos imams pacifiques des ignares à rééduquer, et les mausolées de nos saints, des survivances païennes à détruire. Cette offensive sournoise a été partiellement révélée par l’épisode d’Aghribs, où une «association religieuse» en service commandé tente, avec la complicité de l’administration, de prendre la communauté villageoise en otage.
Dans la plupart des localités de montagne, des sections de «missionnaires», relais d’officines occultes qui ont planifié la «mise à niveau cultuelle de la Kabylie», tentent de casser l’harmonie des villages, de disqualifier l’Islam traditionnel et d’imposer, avec l’appui de lourds moyens financiers, un dogme étranger, radical et intolérant. La traçabilité de ce budget d’islamisation mène vers un seul et même pays : l’Arabie Saoudite. Alors que la loi impose la transparence dans le fonctionnement des associations et punit sévèrement les financements en provenance de l’étranger, cette «5e colonne» continue de jouir d’une coupable impunité, trahissant le parrainage et la complicité de puissants lobbies au sein du pouvoir.
«L’ennemi intérieur, relais des croisés coloniaux»
Le résultat est tragique. Pour avoir résisté, dans les années 1990, aux assauts – électoraux et militaires – des intégristes qui avaient déjà gangrené le pays, la Kabylie était surnommée la «Petite Suisse». A l’heure de la «paix retrouvée» et de la «réconciliation nationale», elle est devenue une zone tribale de non-droit, un «Kabylistan», fief ultime du «terrorisme résiduel», bastion de l’intolérance et de la régression.
Alors que les familles des disparus qui revendiquent «vérité et justice» sont matraquées, insultées et interdites de crier leur douleur, alors que les victimes du «printemps noir» sont reléguées, comme celles du terrorisme d’ailleurs, dans le chapitre des dégâts collatéraux de la «tragédie nationale», alors que le patriote Mohamed Gharbi est condamné à la peine capitale pour avoir défendu sa dignité face à un «repenti» qui le menaçait de mort, les éructations de Hassan Hattab et d’un quarteron de complices du GIA ,qui bombent le torse en criant victoire, sont érigées en nouvelle stratégie de lutte antiterroriste.
Cette situation ubuesque aura révélé une fois de plus les dessous d’un système schizophrène, qui, pour restaurer sa stabilité, ne recule devant aucune ignominie. Alors que la Justice, qui l’a déclaré officiellement «en fuite», l’a condamné par contumace à la prison à perpétuité, l’émir-fondateur du GSPC est protégé, tout aussi officiellement, par d’autres institutions de l’Etat, logé dans les palais de la République et nourri aux frais du contribuable. Une presse immonde, branche médiatique de la conspiration, est chargée du service après-vente. Comme ce torchon d’Echourouq, concentré du Code pénal assuré de l’impunité, support de la haine raciste et de la vulgarité qui caresse les instincts les plus basiques dans le sens de la barbe. Il y a quelques jours, c’est la Radio nationale qui a été sommée de relayer ces fatwas surréalistes, appelant les Ulémas du monde musulman à jouer les casques bleus dans un conflit «résiduel» pour, enfin, consacrer la victoire islamiste sur «l’ennemi intérieur, relais des croisés coloniaux».
Reconquérir les libertés bafouées
Face à l’alliance national-islamiste qui se renforce au détriment des aspirations démocratiques de la société, le devoir de lucidité impose une extrême vigilance. Pour résister aux agressions récurrentes contre le citoyen et ses libertés, il est impératif de ne pas céder à l’infantilisme de la surenchère et aux pièges des fausses fraternités et des postures sentimentales, vecteurs de tragiques manipulations. Aux spécialistes des coups tordus qui préparent une guerre de religions pour occulter les dérives morales des politiques, aux forces de l’obscurantisme officiel qui tentent de violer nos consciences pour imposer une conception carcérale de la spiritualité, aux «clandestins» du Club des Pins et de Palm Beach chargés d’organiser les dérapages contrôlés, opposons la mobilisation citoyenne dans le respect de nos différences pour empêcher le tribunal de Aïn El Hammam de devenir le tombeau de nos rêves et de nos espérances.
D’Asqif N Tmana où reposent les cendres de Si M’hand, le barde insurgé contre la «trahison des chefs», de ce bastion de la résistance qui fut le fief de Fadhma n’Soumeur, cauchemar du général Randon, de la capitale d’Amar Ul Qadi, le souverain de Koukou qui avait chassé Kheireddine Barberousse et ses janissaires d’Alger, sur la tombe de Kamel Amzal, l’étudiant qui avait courageusement défié la matraque policière et le sabre intégriste, nous formerons les bataillons de la dignité, armés de la force de nos convictions, pour partir à la reconquête de nos libertés bafouées.
Arezki Aït-Larbi Via El Watan