Magazine Finances
Le jugement rendu ce jour dans l'affaire KERVIEL / SOCIETE GENERALE est riche d'enseignements.
Sur le plan strict du droit, Jérôme KERVIEL a été reconnu coupable de trois chefs d'accusation : abus de confiance, faux et usage de faux, introduction de données frauduleuses dans un système informatique. Ceci n'a pas été contesté par le prévenu, qui a reconnu les faits. Je ne vois donc pas comment il aurait pu ne pas être condamné.
Sur la séverité de la peine, il a écopé de 3 ans ferme, alors que le maximum était de 5 ans, et n'a pas à payer d'amende, alors qu'il encourait 300.000 €. De plus, le Tribunal n'a pas demandé son incarcération immédiate, ce qui le laisse libre pour le moment, son appel étant suspensif. J'ai plutôt tendance à penser qu'il s'en sort bien sur ce plan. Aux Etats-Unis, il aurait certainement fini ses jours en prison.
Les dommages et intérêts, au profit de la Société Générale, sont du montant de la perte subie par la banque. La détermination du montant est à l'appréciation du Tribunal, lequel a donc été convaincu par l'argumentation de la Société Générale. Bien entendu, le montant est sans commune mesure avec les capacités financières de Jérôme KERVIEL. Il appartiendra donc à la banque de décider de quelle façon elle entend ou non poursuivre le recouvrement de cette somme de 4,9 milliards d'euros, sachant qu'elle ne pourra en récupérer qu'une part infime et symbolique. La perte est donc bien réelle pour la banque, ou plutôt pour ses actionnaires, puisque ce sont les fonds propres qui leur reviennent qui ont été diminués d'autant. Lorsque la procédure sera définitivement terminée, après appel et éventuellement cassation, on verra de quelle façon la Société Générale tentera de recouvrer ses dommages et intérêts, si ceux-ci sont confirmés dans les jugements ultérieurs. Et si la banque décide de les abandonner, peut-être que des actionnaires minoritaires contesteront cet abandon, à raison à mon avis.
Pour ma part, je fais trois réflexions sur cette affaire.
Tout d'abord, la relative séverité de la peine prononcée a valeur de signal, pour ceux qui seraient tentés de profiter des complexités des grandes structures pour tirer avantage des failles qui ne manquent pas de s'y trouver. Je n'aime pas associer les termes justice et exemple, car la justice doit être juste et non pas exemplaire. Mais il convient également de ne pas s'extasier devant le comportement du type « Robin des Bois », qui se croit permis de piller des grandes entreprises, au motif qu'elles sont grandes, riches et puissantes.
Pour les banques actives sur les marchés, et pour la Société Générale en premier lieu, la réflexion sur les défaillances possibles des systèmes de gestion des risques n'a pas attendu le prononcé du jugement. On a beaucoup parlé depuis trois ans des risques de marché, de pertes lors d'une évolution adverse des cours. Cette affaire rappelle que les risques opérationnels sont autant, sinon plus importants; ce point est d'ailleurs bien pris en compte dans les exigences de fonds propres imposées par les régulateurs. C'est bien ici la matérialisation d'un risque opérationnel qui a eu une importance systémique, relevée par le Tribunal.
On peut enfin se poser quelques questions sur la sociologie des salles de marché. La Société Générale a été emblématique de ces traders surdiplomés, très forts en maths et très rigoureux dans leur approche scientifique. Reconnue par tous, l'école française de la finance a essaimé ses meilleurs éléments dans le monde entier. Peut-être qu'à un certain point, la rigueur de gens honnêtes empêche d'imaginer que des filous peuvent se glisser dans le système pour y semer leurs méfaits. Un ami qui travaille dans une banque londonienne m'avait dit qu'un tel événement n'aurait pas pu s'y produire, car la diversité des intervenants, en terme de formation, d'origine culturelle et de parcours professionnels, aurait fait qu'au moins une personne aurait été interpellée par un élément bizarre. C'est possible. Bel encouragement alors à la diversité culturelle : think ouside the box !