Imbroglio juridique
Le comptable de Madame Ella Pasdechance a été on ne peut plus clair avec elle : pour assurer la pérennité de son entreprise il lui faut licencier au plus vite 11 de ses salariés.
L’entreprise Poisse étant passée, depuis près d’un an, sous le seuil fatidique des 50 salariés, il applique l’article L. 1233-29 du Code du travail : « dans les entreprises … employant habituellement moins de 50 salariés, l’employeur réunit et consulte les délégués du personnel ». Certains membres du comité d’entreprise – qu’elle a décidé de conserver – en prennent ombrage et demandent au juge la reconnaissance de leur droit à être consultés et à désigner un expert-comptable. Très logiquement, notre chef d’entreprise est confiant. Il n’est d’ailleurs que de lire l’article précité pour abonder en son sens.
C’était sans compter sur la complexité de la réglementation de la représentation élue du personnel que la Cour de cassation a admirablement bien illustrée en donnant raison aux demandeurs (Cass. Soc. 12 juillet 2010, pourvoi n° 09-14192).
Epée de Damoclès
Notre protagoniste malchanceux recommence la procédure en consultant, cette fois-ci, le comité d’entreprise. Bien qu’elle se soit conformée à l’arrêt précité, elle ne parvient pas à s’empêcher de penser que les juges risquent, le cas échéant, de s’appuyer sur le même article L. 1233-29 pour justifier la solution inverse.
Peut-t-on réellement lui en vouloir ?
Schkoumoune sur la famille Pasdechance
L’époux de Madame Ella Pasdechance, Jay de son prénom, est, lui aussi, chef d’une entreprise située en région parisienne. Victime de la crise économique à l’instar de sa moitié, il a logiquement reçu les mêmes conseils de la part de leur comptable, Monsieur Chat noir.
Ouvrant son Code du travail, il s’aperçoit que l’article L. 2325-15 dispose que « lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires […], elles sont inscrites [à l’ordre du jour] de plein droit par l’employeur ou le secrétaire ». Pressé par les impératifs économiques dont vous vous doutez, cette exception au principe de la fixation conjointe de l’ordre du jour du comité d’entreprise lui sied parfaitement.
Il en est certain, son raisonnement est imparable (Monsieur Chat noir le lui a d’ailleurs confirmé en « off ») : s’agissant d’un licenciement collectif pour motif économique, la procédure est rendue obligatoire par la loi, ce qui justifie évidemment qu’il l’inscrive unilatéralement à l’ordre du jour. CQFD ?
De l’esprit des lois contraire à la lettre des textes
Faisant à nouveau fi de la limpidité de l’énoncé d’un article législatif, la Cour de cassation lui inflige un camouflet digne de celui que vient de recevoir sa conjointe. Pour les juges, l’inscription de plein droit à l’ordre du jour n’est possible qu’en cas de désaccord sur celui-ci entre le secrétaire et l’employeur (Cass. Soc. 12 juillet 2010, pourvoi n° 08-40821).
Il ne fallait pas appliquer la lettre du texte mais la position – à l’époque non encore émise – des Hauts magistrats, laquelle la contredit ouvertement… Clair comme de l’eau de roche !
Morale de l’histoire : il est urgent de simplifier !
Au total, ces tribulations chronophages leur ont couté tant d’argent et ont tellement retardé la mise en place de décisions pourtant nécessaires à la survie de leurs entreprises respectives que, quelques mois après ces contentieux, ils doivent réaliser tous deux de nouvelles économies draconiennes. Je vous laisse imaginer la suite …
L’impact de la complexité de la représentation élue du personnel sur le potentiel de croissance des entreprises françaises, brillamment mise en exergue à deux reprises par la Cour de cassation, rend indispensable la simplification de la réglementation y afférente.
C’est ce défi que la CCIP a souhaité relever en adoptant, le 23 septembre 2010, le rapport « 10 propositions pour simplifier la représentation élue du personnel » (http://www.etudes.ccip.fr/rapport/258-simplifier-la-representation-elue-du-personnel