Le monde n’est vraiment pas bisounours ! Pourtant, tout avait bien commencé : dès la maternelle, on avait mis en place les structures nécessaires à l’épanouissement de tout les enfants….
Par la suite, au cours préparatoire, puis élémentaire, puis moyen, tout avait été fait pour qu’aucune frustration, aucune contrariété ne vienne briser l’élan des créateurs et des artistes qui se réveillaient dans chacune des petites têtes blondes ou pas. Les normes poussiéreuses abolies, débarrassé des références du passées, se lançant à l’assaut de la vie muni de nouvelles approches, tout un corps enseignant découvrait les joies de méthodes alternatives où le signifié devait enfin remporter la lutte sur le signifiant : la quête du sens, de la découverte et de l’expression de soi commençaient et permettaient d’ouvrir tout un champ de possibles chamarrés et de créativité renouvelée, avec des référentiels bondissants et des apprenants impliqués dans la construction de leur apprentissage.
Le but, avoué, était d’appuyer sur les conceptions des apprenants pour construire un savoir savant. Dans ce cadre, l’enseignant devait analyser les conceptions initiales des apprenants, généralement divergentes, pour ensuite organiser une confrontation entre les élèves qui donnait lieu à un conflit sociocognitif au terme duquel il pouvait proposer un tableau détaillant ce sur quoi les apprenants étaient d’accord, pas d’accord ou encore en cours de questionnement intérieur. V’m'suivez ?
Faisant fi des remarques aigres de vieux croûtons empierrés dans un autre siècle, on désigna de nouveaux buts : non seulement, il n’était plus question de laisser personne sur le bord de la Route de l’Education, mais on devait de surcroît amener tous et chacun sur l’autoroute du Savoir Universel.
On admettait, tout de même, qu’une proportion incompressible de crétins personnes ne pourrait se retrouver dans le nouveau système éducatif, et c’est probablement pour cela qu’on ne fixa que 80% de réussite d’une classe d’âge au baccalauréat, permettant ainsi deux concessions : 20% d’élèves sans ce sésame, au maximum, et surtout, admettre qu’une épreuve, terminale, sanctionnerait le parcours flamboyant des petits artistes, scholéronautes des temps modernes.
Il fallut du temps, de la sueur, de l’abnégation pour aboutir à ce résultat qu’on disait jadis intouchable, mais bientôt on se rendit à l’évidence : tous les ans, la prouesse se renouvelait et de nouveaux bacheliers, aux savoirs précis, pointus et longuement affûtés sur les meules expertement maniées de méthodes éprouvées, sortaient des lycées pour venir s’agglutiner mollement vigoureusement sur les bancs de nos facultés.
Le pari était gagné.
Las.
Comme je le disais en intro, le monde n’est pas bisounours et ne s’est pas laissé faire. Zut et crotte.
Après 30 ans de principes débiles, de conseils foireux, de principes éducatifs mal foutus, la perpétuation forcenée de la méthode globale et la relégation de la lecture, de la grammaire et de l’orthographe au rang de monstruosités antédiluviennes honteuses, on se retrouve … avec une belle bande d’illettrés cosmiques sur les bras dont la production littéraire est si faible qu’elle en vient à inquiéter ceux-là même qui en sont, peu ou prou, la cause.
Eh oui : de nos jours, une proportion alarmante d’étudiants arrive en Faculté avec une orthographe tout simplement incompréhensible, et une culture générale qui laisserait pantois même un journaliste, au point par exemple de croire que sporadique veut dire « drogué du sport », ou qu’un homicide est un « meurtre à domicile ».
A la limite, on pourrait se dire que ce constat ne devait pourtant pas obérer la carrière des étudiants puisqu’après tout, ils compensaient leur manque de conformisme littéraire avec une créativité et une liberté de ton supérieure… Moui.
Mais non. Pour un informaticien, ça passe déjà limite, alors pour un juriste, c’est carrément niet. Et les facultés françaises ne peuvent pas toutes former des peintres, des clowns ou des chanteurs… En effet, comme le remarque Bruno Sire, de la faculté de Toulouse-Capitole :
« À ce niveau d’études, les lacunes que nous constatons ne sont plus acceptables. Notre but, c’est d’en faire des juristes capables de rédiger des contrats. Que diront les entreprises de nos étudiants s’ils sont illisibles ? »
On imagine le désastre dans les professions littéraires ! Des avocats s’exprimant n’importe comment, rédigeant des contrats dans un sabir dans le voisinage d’un Français de ghetto, ou des journalistes se répandant dans des articles flous, aux structures grammaticales hardies voire ambiguës ! Pour le coup, la prose morne à pleurer d’un Joffrin de Libération deviendrait une confection littéraire de haute volée.
Certaines universités, ne se résolvant pas à laisser le champ libre au n’importe quoi, se sont donc décidées à évaluer le niveau de leurs étudiants et à proposer des (re)formations aux plus embarrassants embarrassés d’entre eux.
On peut sourire devant le constat d’échec cuisant du 80% d’une classe d’âge avec le bac prôné par l’un de ces frétillants crétins jadis en charge de l’Edulcoration Nationale, ou devant la déroute lamentable des cuistres innovateurs planqués dans les IUFM ou derrière les radiateurs douillets de l’Inspection Nationale.
Malheureusement, ce sourire ne durerait pas.
Je passerai pudiquement sur le coût pharaonique de cette expérience catastrophique sur plusieurs générations d’élèves. La France commence simplement à en découvrir l’étendue mais la réalité est abominable : des dizaines de milliards d’euros furent claqués pendant des années pour former des illettrés incultes, aux raisonnements approximatifs ou faux, auxquels on aura fait croire que le bout de papier sur lequel était inscrit leur premier diplôme universitaire avait une valeur (un peu comme avec le papier monnaie, mais l’illusion aura duré moins longtemps).
Ce qui inquiète, c’est qu’à l’heure où j’écris ce billet, certains de ces semi-illettrés à l’orthographe fantaisiste et aux raisonnements fondés sur les enchaînements de slogan CGT ou FSU enseignent dans des classes pleine de nouvelles têtes blondes toutes fraîches… Et ce sont souvent ces rigolos à l’orthographe pathétique qui expliqueront doctement que la méthode globale, non non, n’est plus en vigueur, et qu’on l’a remplacée par la méthode traditionnelle (syllabique) mâtinée comme il se doit des enseignements riches tirés de l’expérience passée (i.e. le désastre en cours).
Et pour les trolls : je ne dis pas que tous les profs sont des illettrés, mais que certains d'entre eux le sont et qu'ils transmettent maintenant fiévreusement leurs non-savoirs et leurs non-méthodes, sans personne pour dire stop.
Car oui, pour l’avoir moi-même constaté (et le constater encore actuellement), cette putain de merde de méthode globale (qui, effectivement, convient bien à 2% de la population et cause la confusion chez 98% restant) continue d’être utilisée, chastement cachée derrière un peu de syllabique pour ne pas effaroucher les parents scrutateurs.
Car oui, le niveau du bac est bel et bien toujours en train de baisser : il est loin le temps où deux fautes par page de copie valait plusieurs points en moins sur le résultat. Actuellement, ce taux de fautes est considéré comme une performance. La capacité à aligner un raisonnement construit et argumenté est de moins en moins mise à l’épreuve.
Et très concrètement, il suffit de lire les journaux pour voir arriver, renouvellement des générations oblige, un niveau orthographique de plus en plus médiocre dans les articles pondus quotidiennement, avec des fautes basiques (participe passé et infinitif mélangés ou torturés) ou un style déplorable.
Enfin, ce qui inquiète par dessus tout, c’est que le cri d’alarme vienne des Universités et que ce soit elles qui se mettent à faire de la (re)formation. Oh, certes, on a pris conscience, au Ministère, du petit souci, et on sait qu’il va falloir y remédier à la base. Un jour.
En attendant, des heures de facultés sont dévolues à faire ce qu’on aurait normalement appris au CP, CE et CM.
Rassurant.