Et j’ai lu les textes de Claro et de Lucien Suel (lui-même cité en note dans le livre), laissant comprendre qu’ils avaient peut-être rencontré la jeune femme. J’ai donc accepté l’existence de Clara Elliott. Pourtant ce n’est pas sa biographie qui m’a touché à la lecture des poèmes de Strangulation blues. C’est le portrait d’un groupe, qui n’en est pas un, c’est-à-dire qu’il n’a pas de représentant, et Sylvain Courtoux s’amuse, dans des notes très documentées, à multiplier les références, les noms, les classifications (par exemple : « poète-acteur-post-Beat-poète-performeur-expérimental »).
Le texte de Clara Elliott est non seulement un texte de souffrance et de révolte, mais il témoigne d’une époque à travers des citations nombreuses. C’est cela, son style : la citation. « Nous avons recensé des milliers de citations comparables ». Sylvain Courtoux traduit parfois, parfois pas, s’en justifie parfois, parfois pas. De citation en citation, l’évidence se fait que leur auteur vit en littérature, en poésie ; que les vers, les morceaux de phrase viennent de chansons punks, de Dylan Thomas, de Claude Royet-Journoux ou de Mallarmé, peu importe. La vraie vie est dans les mots. Le reste, la réalité, Clara Elliott n’aurait pas dû s’y prendre les pieds. « Le monde n’est que plagiat ».
J’ai éprouvé une drôle de sensation à la lecture de ces textes : j’ai lu plusieurs des auteurs qui y sont repris, samplés comme l’écrit Sylvain Courtoux. J’ai eu l’impression que c’était un peu de ma vie, et que ce n’était pas ma vie, comme si j’étais passé à côté de ça. Je le dis sans regret. Il y a plusieurs vies dans une vie ; il y a plusieurs villes dans une ville ; il y a plusieurs livres dans un livre. Parfois on s’y croise, parfois on s’ignore ; ce n’est qu’une question de trajectoire. Et Clara avait « déserté le futur pour de bon ».