MIOU ... MIOU ... MIOU ...
Rassurez-vous, amis lecteurs, après ces quelques premières interventions en guise d'introduction à notre découverte de la vitrine 3 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, les derniers mardis de septembre, ni le canard du bandeau ci-dessus qui vous salue à chacune de vos visites ni votre serviteur ne se sont transformés en chat pour vous accueillir avec quelques miaulements ...
Comme à tout ce qui constituait leur environnement, les Egyptiens ont donné un nom générique pour désigner ces petits félins qui, au fil des siècles, après avoir été des prédateurs appréciés - notamment pour éliminer rats et souris qui goulûment s'invitaient dans les réserves et les greniers -, allaient devenir un de leurs compagnons privilégiés.
Ce n'est qu'à la XIème dynastie qu'apparaissent timidement dans l'art égyptien les premières représentations de chats dans un environnement humain, notamment sur un fragment de relief mural mis au jour dans un tombeau de Coptos, actuellement exposé au Petrie Museum de Londres où l'animal est tapi sous un siège, préfigurant ce qui, un demi-millénaire plus tard, plus précisément à partir du règne de Thoutmosis III (milieu du XVème siècle avant notre ère) deviendra un topos de l'art funéraire : un chat assis sous le fauteuil d'une dame, le chien étant quant à lui représenté sous celui de l'homme.
Toutefois, dès la fin de l'Ancien Empire, le dessin du chat existait déjà dans le corpus hiéroglyphique : en effet, il figure sur un autre bloc brisé, qui selon toute vraisemblance, proviendrait du temple funéraire de Pepy II, à Saqqarah, conservé au Metropolitan Museum of Art de New York, sous le numéro d'inventaire 15.3.1708. Répétée trois fois, la gravure de l'animal assis sur ses pattes postérieures, précédée du hiéroglyphe de la corbeille et suivie de celui du croisement de routes, se lit : Seigneur de la ville aux chats.
Quoi qu'il en soit, dès qu'il est évoqué, le petit félidé se présente sous un seul et unique vocable, manifestement en rapport phonétique avec son miaulement caractéristique : miou (miit, au féminin).
A l'instar du groupe de chats assis (N 3910) en bois d'acacia que nous pouvons déjà admirer dans cette vitrine ici devant nous, le terme égyptien désignant l'animal s'écrivait avec quatre signes hiéroglyphiques ; trois représentaient les sons, ci-dessous, de gauche à droite :
* mi, la cruche à lait portée dans un filet, correspondant à W 19 dans la liste de Gardiner ;
* i, le roseau fleuri (M 17) ;
* ou, la pelote de corde (V 1)
auxquels on ajoutait le signe du chat (E 13 de la même liste), en guise de déterminatif :
L'ensemble se lisait donc, comme vous l'avez évidemment compris d'emblée : miou.
Cette charmante onomatopée traversa les siècles pour se familiariser à nos oreilles sous la forme d'un agréable miaou que, parfois, balbutient les bambins en bas âge, désignant ainsi leur compagnon de jeu ; sans oublier l'emprunt plaisant que s'autorisèrent des compositeurs comme Gioacchino R ossini dans son célèbre duo des chats (interprétation à ne pas bouder, ici, sur un plateau de la télévision espagnole par Monserrat Caballé et Concha Velasco) et Maurice Ravel dans L'Enfant et les sortilèges, dont le livret, s'en souvient-on ?, fut composé par Colette en personne.
Aussi bizarre que cela puisse paraître si l'on compare avec nos habitudes contemporaines mais surtout avec ce que les Egyptiens prirent coutume d'instaurer vis-à-vis des chiens pour lesquels quatre-vingt cinq noms différents ont été recensés, il n'existe qu'une seule occurrence qui nous donne à connaître le nom propre personnel d'un chat : inscrite au-dessus de la tête de l'animal représenté aux côtés d'un couple recevant une offrande de lotus, elle se trouve dans la nécropole d'El-Khokha, au sud-est du site de Deir el-Bahari, dans la tombe d'un certain Puyemrê, (TT 39), second Prophète d'Amon sous les règnes d'Hatchepsout et de Thoutmosis III réunis ; Nedjem, le nom sous lequel le matou est désormais passé à la postérité, signifiant "doux," "agréable"...
Ceci posé, la désignation pa miou, c'est-à-dire "le chat" en langue égyptienne, deviendra, à l'instar des noms de famille actuels parmi lesquels on peut rencontrer des Lechien ou Lechat ou Lelièvre, etc., un fréquent anthroponyme à partir du 8ème siècle avant notre ère. De sorte que des "Pamiou" de divers rangs sociaux, d'ailleurs souvent abréviés en "Pami" , "Pamy" ou "Pimay" sont fréquents à Thèbes comme à Memphis dès la fin de la Troisième Période intermédiaire et jusqu'au terme de l'époque gréco-romaine.
Aussi, dans ce même Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, peut-être aurez-vous, amis lecteurs, plus de chance que moi de débusquer, au fil de vos déambulations, le cercueil E 3863 ayant appartenu à un certain Pami, prophète d'Amon de Karnak, petit-fils d'un vizir s'appelant également Pami et provenant de la sépulture communément appelée des "prêtres de Montou", mise au jour par Auguste Mariette dans le temple de Deir el Bahari, en 1858 ; et, dans le lot des stèles retrouvées par ce même Mariette dans le Sérapéum de Memphis, la C 275 faisant allusion à un roi Pamy ; tous ces personnages ayant vécu à la XXIIème dynastie.
Plus de chance que moi, car, bien que cités par feu l'égyptologue français Jean Yoyotte, les deux monuments ne figurent ni dans les notes qu'au cours de ces vingt dernières années j'ai prises de salle en salle, ni dans la base de données du Musée sur son site internet, en principe bien plus fiable que moi !
Mais peut-être dans quelque réserve, sous nos pieds ?
Et seuls, alors, conservateurs, égyptologues patentés et quelques privilégiés ont l'heur de les approcher ...
Dommage ...
Mais quand on conserve à l'esprit que seules quelque 5500 pièces égyptiennes sont exposées sur les 50000 dont dispose le Louvre ...
Sait-on jamais, un jour, à Lens ? Ou à
Abou Dabi ?
(Bouvier-Close : 2003, 16-18 et 33-34 ;
Malek : 2006 ; Mekhitarian : 1989, 11-12 ; Yoyotte : 1988,
155-77)