Michel Bastarache
L’ancien ministre Joseph Facal écrit souvent que l’engagement politique, lorsque l’on est député, c’est (en plus de représenter ses concitoyens) passer certains soirs de semaine ou de fin de semaine à aller faire la tournée des allées de quilles de son comté, aller dans les soupers-bénéfices des organismes X, Y et Z et aussi, de temps à autre, participer à ces fameux « soupers spaghettis » où l’on mange des pâtes insipides et aqueuses. Aux spaghettis s’ajoutent souvent, notez bien, ces fameux quarts de poulet caoutchouteux, servis dans une boîte de carton, accompagnés de frites invariablement pâteuses et froides. Et quiconque à évolué un peu dans les organisations politiques – dans les comtés, régionales ou nationales – sait très bien que l’une des principales préoccupations des élus et militants, chaque année, c’est de boucler la fameuse « campagne de financement » avec des objectifs qui évoluent souvent au-delà du 30 000 dollars. Pour atteindre ces objectifs, les députés démultiplient les activités, les cocktails dînatoires, les « soupers spaghettis » et les fameuses activités de « club de 400 » (déductibles d’impôts) pour figurer dans le palmarès des meilleurs collecteurs nationaux. Et surtout, l’on va cogner à la porte des « gros financiers », ceux qui peuvent griffonner sur leur carnet de chèques le fameux « 3000 » qui fait le bonheur de n’importe quel politicien québécois. Ces collecteurs de fonds, chaque parti en possède des dizaines qui sont, de façon générale, bien connus dans leur région respective. Il est là, au fond, le réel problème qui est à la base des scandales qui secouent la classe politique depuis quelques mois, tant dans le processus de nomination des juges que dans le financement irrégulier des partis politiques. Il réside, avant tout, dans l’influence du financement privé sur la vie des partis au Québec.
Recentrer le rôle de député
Le leader parlementaire du Parti Québécois, Stéphane Bédard, s’était questionné publiquement au début de l’année en marge des scandales qui secouaient le petit monde des CPE. En effet, plusieurs journalistes et politiciens avaient pu débusquer des liens inquiétants entre les permis d’opération accordés et les contributions versées à la caisse du Parti libéral. En point de presse, Bédard avait déclaré : « Le revenu moyen au Québec pour un citoyen, c’est 26 000 $, là [sic]. Qui peut donner 3 000 $, à part quelqu’un qui s’attend à quelque chose en retour, en général? Ce n’est pas le cas de tout le monde, mais ça donne vraiment une mauvaise impression. » Excellente question en effet. Qui peut ainsi donner de l’argent, année après année, sinon un TRÈS bon militant, ou quelqu’un qui peut s’attendre à être pistonné en retour, dans un avenir plus ou moins proche. Tout le monde ces temps-ci, médias et politiciens confondus, s’exprime sur la place publique, suppute à savoir si oui ou non l’argent a une influence quelconque dans le processus de nomination des juges, si Bellemare ou Fava disent vrai, etc. Tout le monde pérore alors qu’il y a une évidence criante : si l’on se pose la question, c’est bien qu’il y a anguille sous roche. Et le fait est que visiblement, on ne saura jamais, faute de preuve, le fin mot de cette histoire. Une chose est sûre cependant, aucun parti, PQ et PLQ confondus, n’est à l’abri du chantage qui pourrait être exercé par certains bailleurs de fonds. Plus de trente ans après la réforme du financement des partis mise de l’avant par René Lévesque, il est plus que temps de se poser à nouveau des questions sur la façon dont on fait vivre notre démocratie. Il est plus que temps que l’on cesse de voir les députés comme des machines à collecter des fonds (on sait maintenant que les ministres libéraux devaient amasser, chacun, près de 100 000$) et qu’ils redeviennent réellement ce qu’ils doivent être : des législateurs, des représentants de leurs concitoyens, des penseurs de notre vie politique. En ce sens, l’interdiction des contributions privées doit être envisagée, interdiction allant de pair avec l’établissement d’un financement exclusivement public des partis politiques (donc une augmentation des sommes déjà attribuées aux partis par Québec) basé au prorata du nombre de votes obtenus lors des élections générales.
Une grande marche dans les feuilles
Le même Stéphane Bédard, que l’on sait pugnace et d’une grande efficacité en chambre, a eu la mauvaise bonne idée de suggérer au premier ministre Charest de prendre « une grande marche dans les feuilles » cet automne et de réfléchir sérieusement à son avenir politique. Disons que si l’on avait promis d’assainir le climat en chambre pour la prochaine session (après le cirque grotesque auquel nous avons eu droit au printemps), c’est visiblement mal parti. Or, c’est dans des moments de crise que les citoyens se retournent vers l’opposition, vers le « gouvernement en attente » en quête de solutions concrètes. Si depuis le printemps, tout ce que l’on a à offrir, de part et d’autre, ce sont des figures de style automnales et de nouvelles passes d’armes dans la joute parlementaire, il ne faudra pas se surprendre que les Québécois se désintéressent totalement de la chose politique. Les citoyens ont déjà jugé Jean Charest collectivement, mais aussi toute la classe politique en général. En ce sens, seulement 3% séparent la popularité de Pauline Marois de celle du premier ministre dans les derniers sondages et, comme le soulignait récemment Chantal Hébert, un changement de gouvernement ne signifie pas, automatiquement, un changement de perception dans l’opinion publique. Peut-être, justement, que Stéphane Bédard et ses collègues devraient prendre, en caucus, une grande marche dans les feuilles cet automne et proposer aux Québécois, très bientôt, une solution concrète pour s’assurer d’éliminer, autant que faire se peut, l’influence de l’argent sur les décisions et les nominations des dirigeants québécois. Demander une commission d’enquête sur la construction c’est bien (même si c’est demandé dans une logique éminemment partisane), mais proposer des solutions, c’est mieux. Nous connaissons déjà le problème, pourquoi ne pas agir tout de suite ? Nos institutions sortent grandement affaiblies des récents scandales causés par le gouvernement Charest et si une solution politique doit voir le jour, elle ne peut venir que du PQ. Après que les jeunes péquistes, réunis à Victoriaville cette fin de semaine, aient rejeté l’idée du financement public des partis, force est de constater que, pour le moment, nous restons toujours sur notre faim. Espérons que leurs aînés sauront faire preuve de plus d’audace…
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Bastarache, le spaghetti aqueux et le poulet caoutchouteux