En salles (bientôt) : Quelques années après Fight Club, welcome to the final club ! David Fincher déroute, étonne, surprend, et poke in fine le spectateur.
Car vraiment, j'étais impatient de voir ce film sans star, si ce n'est son sujet et son réalisateur. Quelle vision ce réalisateur fin-de-siècle, en prise directe avec le réel, allait-il nous proposer : une success story tout à fait contemporaine (dont l'action s'étale entre 2003 et 2006), donc inachevée, et qui n'est guère reluisante pour son jeune héros, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg (19 ans en 2003) ? Comment le réalisateur de L'Etrange Histoire de Benjamin Button (ici notre dossier : trailer, photos, infos...) allait-il se sortir de ce biopic nerd sans tomber dans les travers inhérents au genre (ascension, puis chute et rédemption, dénonciation du rêve américain, etc) ? Eh bien, en en faisant un mix : film de campus, film de procès, biopic, The Social Network foule toutes ces plates-bandes, pour créer un genre en soi. Tout en restant volontairement à leur surface, à l’image de son héros, totalement insaisissable dans ses motivations et ses évolutions.
Narration déroutante, toujours électrisante
Déceptif, forcément déceptif – je n'ai pas dit décevant, bien au contraire ! Comme l’était en son temps Zodiac, son meilleur film à ce jour. A savoir que le film génère une forme de déception par rapport à une attente, tout en générant une immense satisfaction là où ne l'attendait pas.... A l’instar d’une narration déroutante, mais toujours électrisante. En témoigne la scène d’ouverture - un long dialogue, champ contre-champ, entre un gars et une fille, dans un pub, sorte de match de tchatche, et qui s’achève par le largage en règle de jeune mec par la fille. D’où – je raccourcis - l'origine de la création du premier Facebook – que suivent deux heures menées tambour battant, grâce à un montage virtuose, qui hormis une course d'aviron sur la Tamise à couper le souffle, se déroulent en milieu fermé et étouffant – claustrophobes, s’abstenir ! Réminiscence de son injustement mésestimé Panic Room. Car on y retrouve tous les thèmes fétiches de Fincher : l’obsession destructrice, la paranoïa, la lutte contre le temps…
Porté par une entêtante BO (signée Trent Reznor, de Nine Inch Nails) qui souligne la déshumanisation progressive de son héros, le film ne tient pas de discours moralisateur sur la réussite et la gloire, l’argent facile ou la jeunesse dorée, à la différence d’Oliver Stone et de son Wall Street rebooté. Non, il prend acte d’un changement de moeurs et d’attitude entre les hommes et en montre les conséquences sur le plan affectif, social et individuel.
McInnerney plutôt que Coupland
Finalement, s’il fallait comparer ce bel et étrange objet filmique, The Social Network se placerait sous les auspices de la littérature US contemporaine. Bret Easton Ellis plutôt que Douglas Coupland. Là où on pourrait s'attendre à voir une version ciné de Microserfs de Douglas Coupland, on se retrouve avec un film dont le scénario pourrait être signé Jay McInnerney ou Bret Easton Ellis. Logique, me direz-vous, pour un réal qui vient d'adapter Fitzgerald !
Bref, tout à la fois conte moral sur notre époque, tragédie shakespearienne sur l'amitié, l'amour, la gloire et la solitude qui en découlent , The Social Network est surtout un formidable thriller psychologique. Où la psyché des personnages l'emporte sur les prouesses technologiques. Où l'humain domine la technique.
Travis Bickle