Il pleut comme vache qui pisse, ce dimanche, sur cette A5. Mais pas de la gentille, non, de la vicieuse, de celle qui te fouette le pare-brise et s’accroche, tenace ... Elles se tordent, ces foutues gouttes de pluie, sous le va-et-vient des essuie-glace, balayées, c’est égal, elles refont surface, comme si à peine mourantes elles ressuscitaient, torrent liquide, de l’eau Terminator deuxième génération.
Regardant ces lombrics aquatiques, je me suis assoupi, te laissant seule happer le bitume à vitesse raisonnable ... J’ai piqué du nez, pantin désarticulé, bringuebalé ; combien de temps, je ne sais pas, pas longtemps je crois ... Tu m’as tiré de là, de ce demi-sommeil, par un sonore Tu veux un café ? .. J’ai pas dit non.
Or donc, décélération, dépressurisation, et hop, entrée molle au stand-service, celui de multi ravitaillements.
Sur un panneau, bleu-roi, il est inscrit « Troyes-Est ».
Nous pénétrons dans la boutique, moi encore dans le coltard. Les toilettes sont blindées. De monde. J’ai rarement vu ça. Ça patiente, grogne et trépigne ; toute une file qui déborde jusqu’aux premières machines à boissons. Et des deux côtés : « homme » comme « femme ». Je comprends pas. On a pourtant trouvé direct une place pour la titine, juste devant, l’idéal. Alors d’où qu’y sortent ces gens-là ? … C’est surréaliste ! Me dis que je dois être sur une autre planète, ou rien, absolument rien n’est à moins de 1€. Même la bouteille d’eau plate, la riquiqui, et pas de la marque, elle est à 1€ pile. Le café, lui, l’est pas mauvais, mais 1,5€, c’est cher payé pour de la torréfaction robotisée. Ah ! ils s’emmerdent pas, ces commerçants d’autoroutes, salopards va ! Et que ce soye Total, Shell ou Leclerc, c’est pareil. C’est juste la qualité des produits qui varient. Pas le prix. Ou à peine.
La file des chiottes se dégonflent doucement, nous sortons fumer un clope sous la pluie. Et là, je comprends pourquoi y’a tant de monde dans ce bastringue mais de la place, pourtant, pour se garer. C’est un car qu’est stationné, un peu plus haut. Immatriculé dans l’Aisne. Un car de retraités. Dont fait partie cette femme, de la vessie enfin déridée, qui dit « qu’ils sont à Troyes et qu’ils seront là dans trois heures ». Puis raccroche ... Son regard se fixe alors sur les pompes à essence. Devient mauvais ... Je le suis, et vois l’objet de sa brutale animosité : un « barbu » comme on dit, mais un de compète, un pur de vrai, sapé faut voir comme, des pieds à la tête ... Elle soupire salement la dame, avec dans ses yeux, ça j’ai bien noté tellement ça gicle et jure, comme de la haine.
Je te fais, discret, un signe de la tête, et tu découvres la scène. Le tableau. Il s’est enrichi. C’est pas un « barbu » qu’y a, là, aux pompes, c’est deux berlines entières. Cinq dans chacune. Mais qu’une qui fait le plein. Et voilà qu’il est fait. Le « barbu » se dirige vers la boutique et croise, un à un, les retraités de l’Aisne qui, eux, sortent des toilettes. Ils le reluquent, le déshabillent de leurs mirettes avec une lourde insistance. Voient les deux autos avec les autres à l’intérieur.
- J’te foutrais une grenade là-dedans, moi ! Marmonne un petit rougeaud.
Je bronche pas. Toi, non plus. On les regarde défiler, mater méchamment les « barbus ». Et déblatérer, décomplexés, leurs propos guerriers :
- Une mitrailleuse, hein ? dit un autre, bedonnant, cherchant l’approbation du troupeau. Et l’obtenant.
- Une mitrailleuse, qu’il dit encore, voilà c’qu’il faudrait !
V'là même qu’il me gratifie d’une œillade qui veut dire Pas vrai, l’ami ? .. Mais je bronche toujours pas. Même si ça me titille. Comme une envie de leur dire ben allez-y, plutôt que de marronner à distance, allez donc leur dire que vous leur y foutriez bien une grenade dans leurs tires, quelques rafales de mitrailleuses ! Qu’ils soient au courant de c’que vous avez dans le crâne ... C’est vrai quoi ! Ça cause, mais ç’a pas les couilles de dire les choses en face ! C’est pas que j’aie comme qui dirait de l’affection pour les « barbus », loin de là, pour être clair, ils m’emmerdent et copieux avec leur tralala religieux, comme toutes les religions m’emmerdent. Qu’ils aillent au diable avec leurs bondieuseries, leurs allahteries, ça m’insupporte cet étalage, cette ostentation, et d’où qu’elle vienne. Mais les entendre, ceusses de l’Aisne, avec leur petite haine étriquée, leur envie de décaniller, ça me débecquette. Ils valent pas mieux que ces « barbus ». C’est que de la misère, rien dans la tête, ou alors du moisi, du rance, du vomi. De la merde, quoi.
J’écrase ma clope, te regarde, et j’dis :
- Y’a pas d’erreur possible ! On est bien en France !
Une vieille glousse, de plaisir, se marre. Ça vaut pour acquiescement. Pauvre femme ! Elle a pas pigé. La réplique ... Si elle l’avait vu, le film de Blier, Les Valseuses, elle se serait pas bidonnée d’aise. Parce que, ce :
- Y’a pas d’erreur possible ! On est bien en France !
C’est Jean-Claude (Depardieu) qui le balance de dégoût à Pierrot (Dewaere) quand des gens pareils à ceusses de l’Aisne veulent les lyncher, juste parce qu’ils sont pas comme eux. Qu’ils ont le cheveu long. Les fringues cradingues. La gueule qui plaît pas. Une DS qu’est pas à eux. Et la bite facile. C’est à cette France-là, celle des Dupont-Lajoie, que je faisais allusion.
Et elle est toujours là. Ah ! ça oui ! Plus que jamais qu’elle est là. En troupeau. Compacte. Tu leur files le port d’armes demain, et t’y as droit, au carnage. Ils n’attendent que ça. Et « Ils » sont plus nombreux qu’on le pense.
Or donc, d’un côté des rougeauds, des bedonnants, des haineux, et de l’autre, la même chose, mais costumés.
Comme disait Timsit, le comique, j’ai l’impression que les cons de l’année prochaine sont déjà là. Pis : les cons de toutes les années prochaines. Et de tous les côtés, de tous les bords, de toutes les communautés. Ils ont pris un ticket. Et vont nous le fourrer bien profond. Reste à savoir quel est le con-d’en-haut qui va donner le top-départ … Et quand va-t-il le faire.
En attendant il pleut, et salement, sur mon pays, anciennement « des Lumières ».