Les prestigieux professeurs de médecine qui s’offusquent en public de la moindre remise en question du principe « à chacun selon ses besoins et non selon ses moyens » sont les mêmes qui ne sont pas gênés d’accorder, à l’hôpital public, des rendez-vous à une semaine à ceux qui acceptent de payer la consultation 200 euros alors qu’ils font patienter un an ceux qui, souvent bien plus malades, ont la prétention absurde de vouloir être soignés gratuitement.
Détournement de service public ?
Qu’est en réalité l’exercice privé à l’hôpital, sinon un détournement du service public par les médecins qui s’y adonnent à des fins d’enrichissement personnel ? C’est-à-dire un délit qui relève de la correctionnelle ! Le fait qu’il soit autorisé n’y change rien, et ce d’autant que les règles de déontologie censées accompagner cette autorisation ne sont jamais respectées. Il suffit d’appeler la secrétaire d’un grand patron à l’hôpital, de lui demander un rendez-vous, de l’entendre vous répondre le sempiternel « vous n’y pensez pas, le professeur est surbooké, il n’y a rien avant des mois », avant de vous proposer un créneau dans la semaine une fois que vous avez précisé que vous faites partie de sa clientèle privée, pour mesurer le cynisme et l’absence de vergogne de vos interlocuteurs.
L’inégalité fondamentale d’accès aux soins que créent ces pratiques est de toutes la plus choquante et la plus inadmissible. Les médecins du secteur 2 sélectionnent leur patientèle mais ils ont un exercice privé et c’est donc leur droit. L’Hôpital américain de Neuilly n’a jamais caché que les critères financiers étaient une condition d’accès à l’établissement mais il est entièrement privé et de surcroît non conventionné. L’hôpital public, qui est financé par l’assurance maladie et dont la vocation est de préserver l’égalité d’accès aux soins, ne peut absolument pas s’inscrire dans cette logique. En privatisant de fait ses prestations les plus sophistiquées, il perd son âme et sa légitimité. La priorité absolue est donc de bannir toute pratique privée, à caractère lucratif, de son sein et de rétablir des frontières claires et sans ambiguïté entre un service public égalitaire, financé par la collectivité et censé prendre en charge chacun en fonction de ses besoins, et un secteur concurrentiel régulé selon une logique économique pure.
Refondre le statut de médecin hospitalier
Les défenseurs du statu quo rétorqueront qu’une approche aussi radicale entraînerait la fuite des meilleurs médecins hospitaliers vers le secteur privé ou à l’étranger et constituerait une forme d’arrêt de mort pour la médecine d’excellence en France. Ils ont tort. L’objectif n’est pas de casser le système de santé pour se faire plaisir mais de le moraliser et de le réconcilier avec les valeurs de la République. La suppression de l’exercice privé est possible si elle s’inscrit dans une réforme profonde de l’hôpital public. L’organisation actuelle date pour l’essentiel de 1958 et elle est totalement obsolète. Il faudra remettre à plat le statut de médecin hospitalier et le rendre plus attractif, y compris sur le plan financier, pour continuer à attirer les meilleurs praticiens. Pour cela, il faudra dégager des moyens importants, c’est-à-dire, en univers de ressources rares, faire des économies sur d’autres postes et donc tailler dans l’énorme bureaucratie hospitalière. C’est difficile et ça demande du courage, mais ce n’est pas impossible !