Inutile de se voiler la face, notre système d’assurance maladie est bel et bien menacé. Son déficit a été de l’ordre de 12 milliards d’euros en 2009 et devrait allègrement franchir la barre des 15 milliards dès cette année. Si on ne fait rien, il dépassera les 30 milliards en 2015. Si l’on ajoute à ces montants déjà astronomiques les subventions de l’Etat à la Sécu, qui compensent, à crédit, le budget de l’Etat étant lui-même chroniquement déficitaire, les exonérations de charges sociales accordées aux entreprises et qui sont du même ordre de grandeur, on arrive à un trou global qui dépassera les 30 milliards d’euros en 2010 et les 60 milliards dans cinq ans ou moins. Même en faisant preuve d’un solide optimisme, il est difficile de ne pas qualifier une telle situation de quasi (?) faillite.
Un système plombé par les affections de longue durée (ALD)
Comment en est-on arrivé là ? Pour le comprendre, il importe de bien avoir à l’esprit ce que recouvre notre système d’assurance maladie. Pour simplifier, c’est la somme de quatre sous-ensembles aux réalités et à la logique économique fondamentalement différentes. Le premier, qui concerne la très grande majorité de la population, prend en charge une partie de plus en plus faible (à peine 50 % en moyenne, et beaucoup moins pour des postes coûteux comme les lunettes ou les prothèses dentaires) de ce que l’on peut qualifier de dépenses d’entretien courantes, essentiellement de la médecine de ville (consultations, médicaments, dents, lunettes, examens divers, etc.). Les dépenses concernées n’augmentent quasiment plus et représentent une part de plus en plus faible (moins de 20 %) du budget de la Sécu ; elles ne peuvent donc en aucun cas expliquer le trou abyssal auquel nous sommes confrontés.
- Un deuxième sous-ensemble recouvre ce que l’on peut qualifier de risque catastrophe. Il rembourse, encore très généreusement (à plus de 90 %), des dépenses exceptionnelles, essentiellement hospitalières, engagées dans le cadre d’une maladie grave ou d’un accident. Ce sous-ensemble est également plutôt bien maîtrisé, du fait notamment de la baisse de la sinistralité automobile et de la faculté dont dispose la Sécu de se retourner contre les responsables des accidents, et ne pose pas de problème particulier de financement.
- La CMU, qui prend en charge les plus défavorisés, est le troisième pilier du système de financement. Les dépenses qu’elle prend en charge augmentent rapidement, en raison essentiellement de l’état de santé très dégradé des populations concernées. Elles n’en font pas moins, compte tenu de leur caractère éminemment solidaire, l’objet d’un très large consensus.
Last but not least, le dernier bloc de dépenses, de loin le plus conséquent (plus de 60 % des prestations de la Sécu) est constitué par la prise en charge à 100 % (91 % en réalité, compte tenu de l’existence de dépenses non remboursées par les régimes obligatoires) des affections de longue durée (ALD). C’est ce bloc, et lui seul, qui est à l’origine des difficultés financières actuelles, et ce pour deux raisons principales. La première est que ses prestations ne sont pas maîtrisées et que leur inflation représente 90 % de l’augmentation totale des dépenses de santé. La deuxième est que les ALD ne sont pas financées. Elles concernent très majoritairement des personnes âgées, qui ne cotisent pour ainsi dire pas. Pour faire simple, les plus de 60 ans perçoivent aujourd’hui la moitié des remboursements de la Sécu, essentiellement au titre des ALD, alors qu’ils ne contribuent qu’à moins de 10 % de ses ressources. Il en résulte un besoin de financement de plus de 50 milliards d’euros par an, que les actifs ne veulent plus et ne peuvent plus, compte tenu de leur propre situation économique, assumer.
Pas de remède miracle pour sauver la Sécu
Que faire pour éviter un sinistre financier majeur ? Différentes solutions sont a priori envisageables. La première est de ne surtout rien faire, pour éviter d’obérer une croissance encore balbutiante et de faire descendre dans la rue des millions d’assurés sociaux mécontents. Cela revient à faire un pari éminemment risqué, celui du retour rapide à une croissance forte, auquel personne ne croit sérieusement.
La seconde solution est d’augmenter massivement les impôts. Une hausse de la CSG, qui toucherait essentiellement les classes moyennes actives, serait tout à la fois très impopulaire (le baromètre jalma/CSA Les Français et la réforme de l’Assurance Maladie d’octobre 2009 a clairement montré que cette solution faisait l’objet d’un rejet massif) et contre-productive économiquement ; elle doit donc être écartée a priori.
Reste la voie d’une remise en cause des avantages fiscaux inconsidérément accordés ces dernières années aux Français les plus fortunés, généralement âgés et forts consommateurs de soins. C’est une voie étroite compte tenu de la propension des capitaux trop taxés à voguer vers des cieux plus cléments, qui ne pourra être mise en œuvre à grande échelle que si elle fait l’objet d’un consensus à l’échelle internationale. Les difficultés que rencontre l’administration Obama pour revenir sur les cadeaux fiscaux délirants des années Bush montrent en tout cas que le chemin sera long et difficile. Ajoutons que le gouvernement Fillon envisage déjà une taxation de cette nature pour combler le trou des retraites et qu’il sera en tout état de cause difficile de faire payer les riches deux fois. Pas d’illusions donc, l’augmentation des recettes ne suffira pas pour sauver la Sécu.
Il faudra donc jouer sur les dépenses ou sur le niveau de prise en charge par la Sécu. La maîtrise des dépenses est déjà mise en œuvre par l’assurance maladie, avec un relatif succès en médecine de ville. Outre le fait que les économies réalisées sont presque intégralement absorbées par la dérive persistante des dépenses hospitalières, il est difficile d’imaginer qu’elles puissent permettre de dégager des marges de manœuvre suffisantes pour sauver le système. Comme les hausses d’impôts, elles ne pourront être au mieux qu’un appoint à des mesures autrement plus profondes.
Reste in fine la remise en cause du niveau de prise en charge par la Sécu. Il ne pourra pas se limiter, comme par le passé, à des déremboursements rampants en médecine de ville. D’abord parce que cela ne suffirait pas. Ensuite parce que le niveau de prise en charge de ces dépenses est déjà très bas (à peine 50 %, comme vu plus haut). Remettre en cause la prise en charge du risque catastrophe hospitalier, qui est l’essence même d’un régime d’assurance obligatoire, ne paraît pas envisageable. Pas plus qu’une remise en cause de la CMU, c’est-à-dire de la solidarité envers les plus défavorisés.
Reste le régime des ALD. Il n’est bien entendu pas question de remettre en cause la prise en charge par la collectivité des maladies les plus graves, qui relèvent du risque catastrophe. Il faudra en revanche se résigner à dépasser la démagogie ambiante et à demander aux malades de contribuer plus qu’aujourd’hui au financement de leurs dépenses de santé. Le baromètre jalma/CSA de novembre 2009 a montré que les Français étaient prêts à une telle réforme, à condition qu’elle respecte le principe d’égalité et qu’elle intègre la notion de condition de ressources. Reste à la mettre en œuvre suffisamment vite pour éviter un désastre.