J.-C. C.
J’eus l’occasion de travailler avec M. Carrière au printemps dernier et le courant passa assez bien entre nous pour qu’il m’offre un exemplaire de son dernier livre – celui-ci, donc – ; comme, à ma connaissance, il ignorait que je tiens un blog, je crois pouvoir écarter toute forme de tentative « marketing » de sa part – au reste, je ne crois pas que ce soit son genre ; il y a encore des gens comme ça dans le monde du cinéma et du spectacle : bien qu’arrivés à des sommets, ils conservent cette humanité qui fait les grands hommes.
Humanité qui, ici, transparait dès les premières pages du récit. Autobiographique sous bien des aspects, comme il est dit dans le quatrième de couverture reproduit ci-dessus en italique, je n’invente rien, l’histoire nous présente un jeune scénariste du cinéma, c’est-à-dire autour de la quarantaine, dont la principale préoccupation ici consiste à récupérer le paiement d’un travail écrit pour un producteur il y a déjà un certain temps déjà alors que le livre commence à peine – le montant de cette prestation avoisinant les 10 000 euros, « moins les charges et retenues diverses », on comprend qu’il y consacre du temps, surtout compte tenu de sa situation qui ne se différencie en rien de celles des autres auteurs débutants…
Sa situation devient vite ubuesque, pour reprendre le terme consacré, et les situations s’enchaînent les unes aux autres dans un rocambolesque qui le laisse le plus souvent pantois – on le serait d’ailleurs pour moins que ça. Un réalisateur en fera-t-il un jour un film ? Ce serait mérité, et un changement bienvenu par rapport à la majorité des productions « comiques » dont le cinéma français nous abreuve depuis un certain temps ; mais compte tenu de l’image que cette histoire donne du monde du cinéma il y a fort à parier qu’aucun n’acceptera de prendre le risque de ternir ainsi sa profession – encore que « ternir » est un mot un peu fort : « égratigner » serait plus juste.
Car, de toute évidence, Jean-Claude Carrière aime son métier, celui de conteur comme il se définit lui-même, et comme c’est aussi au cinéma qu’il eut quelques belles occasions de l’exercer, il serait mal inspiré de taper trop fort sur ce milieu. Alors le récit prend des allures de comédie, entrecoupée de quelques constats sur cet univers bien particulier, mais toujours avec la distance requise pour faire éclore un sourire, voire un rire franc chez le lecteur au lieu de l’alarmer : certains trouveront que l’exagération est somme toute bien pesée, et d’autres, peut-être mieux informés, que la satire se montre fidèle mais néanmoins affectueuse – on connaît le dicton…
Il n’y ait pas question que de l’univers du cinéma pourtant, mais de cinéma tout court aussi : on y sent de nets regrets pour une autre époque, plus subversive, plus vaillante, qui savait oser, et – plus important encore – qui osa le faire. Ne craignez pas pour autant de trouver quelques atermoiements que ce soit dans cette plaidoirie, car le ton et les arguments restent justes, mesurés. Au reste, quiconque a les yeux un tant soit peu ouverts aura du mal à ne pas partager cet avis, au moins en partie.
Mais vous y trouverez quelques autres choses aussi : des avis, des constats, des pensées fugaces sur l’air du temps, tous aussi bien soupesés les uns que les autres, et sans aucune de ces tentatives d’analyse qui passent trop vite du pamphlet au soporifique. Sur la crise par exemple – comment l’éviter dans un tel récit d’ailleurs ? Ou sur Bernard Madoff – sujet connexe du précédent. Ainsi que sur bien d’autres, dont je vous laisse la surprise…
Mon chèque, Jean-Claude Carrière
Plon, janvier 2010
237 pages, env. 18 €, ISBN : 2-259-21136-4
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