Samedi 2 octobre, les syndicats ont réussi leur pari. Malgré la pluie, les manifestants étaient plus nombreux que le 23 septembre dernier. Il n'y a toujours pas d'appel à la grève générale, donc les protestataires font avec ces mots d'ordre ponctuels. Le Figaro, contraint à l'aveu, parlait de « mobilisation contrastée suivant les régions » dès l'après midi. Mais Sarkozy était ailleurs, près de la France éternelle, agricole et chrétienne. Un sursaut de spiritisme bien opportun, sur fond de menace terroriste.
Les retraites, encore les retraites
Dès jeudi, Nicolas Sarkozy a pris le parti d'ignorer les manifestants qui devaient se rassembler deux jours plus tard. Il a ainsi minoré, à l'avance, l'importance des manifestations : « Je peux dire aux 15 millions de retraités et aux 700.000 retraités de plus chaque année: vos retraites seront payées. » Ou encore : « Ça provoque du mécontentement, ça provoque des manifestations. Quand la réforme sera passée, les Français se diront: on n'a pas de soucis à se faire pour les retraites. »
Samedi, la police a pourtant compté 899 000 manifestants. Notez la précision. Le 23 septembre déjà, les préfectures avaient stoppé leur comptage sous la barre de la centaine de milliers supérieure, à 997 000 personnes. La police s'abstient de comptabiliser les piétons sur les trottoirs. Côté syndicats, on évoquait 2,9 millions de personnes. Mardi 5 octobre, la réforme arrive au Sénat. L'UMP n'y a pas la majorité ; « des avancées seront possibles au Sénat » a promis Luc Chatel, avant de lâcher, à son tour, un joli lapsus : « Ce qui me préoccupe, c'est mon domaine ministériel. Le président de la République m'a nommé Premier ministre... Ministre de l'Éducation nationale. » Lapsus mis à part, le gouvernement se fiche donc des manifestants. Chatel a noté qu'il n'y avait pas eu d'amplification de la mobilisation. Il est sans doute allé compter un à un les protestataires. Eric Woerth a lui aussi recyclé les mêmes éléments de langage préparés, comme d'habitude, à l'Elysée : « il n'y a pas d'augmentation de la mobilisation (...) Il y a une mobilisation qui est du même ordre, elle est forte, mais elle est du même ordre ».
Côté syndicats, certains pensent à des mouvements plus radicaux, telle une grève reconductible. A Marseille, le port est bloqué jusqu'à lundi. A la CGT, le prudent Bernard Thibaut est obligé de concéder que la grève reconductible, « non seulement, ça n'est pas exclu, mais ce n'est absolument pas à exclure. »
Fillon, à la recherche de la vérité
Dimanche soir, François Fillon intervenait sur M6 dans l'émission Capital. Sans surprise, il a critiqué les manifestants de samedi qui, dit-il, « se trompent.» Le journaliste Laurent Delahousse avait des questions précises. Le premier ministre lâcha qu'il était prêt à ce que le Sénat amende le projet pour laisser les femmes, « sous certaines conditions », partir à 65 ans au lieu de 67 ans. S'agit-il d'un premier recul ? « Si j'ai commencé à travailler à 18 ans, je vais cotiser 44 ans » s'est exclamé Delahousse. « C'est injuste ! » Fillon bafouille sa réponse : « vous aurez une pension plus élevée »... On croit rêver. Le journaliste continue : « vous prévoyez déjà une nouvelle réforme en 2018. » La réforme actuelle ne suffirait-elle pas ?
Sur d'autres sujets d'actualité, Fillon a également battu en retraite, comme s'il signifiait son départ de Matignon par quelques déclarations empoisonnées, une « tournée des adieux » commentait le Jdd. Ainsi, avoua-t-il, la réduction de niches fiscales est bien une hausse d'impôts. « C'est une augmentation d'impôts, bien sûr, mais ce n'est pas une augmentation généralisée et cela correspond à une liberté de choix. »
Sarkozy, à la recherche de son identité
A l'Elysée, les conseillers en communication se démènent pour montrer que leur Monarque est auprès de la « France éternelle », qu'il adore les agriculteurs et la chrétienté. Surtout depuis mars dernier quand sa cote électorale est tombée sous la barre des 50% au sein de la France rurale. Jeudi dernier, Sarkozy visitait encore une exploitation agricole, à quelques kilomètres de Paris, dans l'Yonne. Sur le site Elysée.fr, un fonctionnaire présidentiel avait choisi un joli titre pour cet évènement : « Croire en la ruralité ». Le voyage fut rapide. Un hélicoptère militaire puis un jet, pour un déplacement à 150 kilomètres de Paris. Une grosse table ronde pas ronde. Des caméras, partout. Des photos avec des enfants d'une classe maternelle, ou avec des passants - sélectionnés - lui donnant quelques fleurs. Sacré Sarkozy ! Combien de fois s'est-il moqué de son prédécesseur Jacques Chirac et de ses visites avec embrassades d'enfants et dégustations des produits du terroir ? Inquiet pour sa réélection, l'homme fait de même, mais chut ! Ne le répétez pas. Jeudi dernier, il a même visité une église, la basilique de Vézelay, et salué des gendarmes. Trop fort !
« Dans le cadre de ce déplacement, le Président de la République visite la classe maternelle unique du village de Montillot, participe à une table ronde sur le thème de l'attractivité des territoires ruraux puis rencontre les gendarmes de la brigade de Vézelay. Il visite ensuite la cité médiévale et la basilique de Vézelay, inscrites depuis 1979 au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.» (source)
Il a surtout célébré « l'héritage chrétien » de la France. Sarkozy a besoin de se réconcilier avec l'électorat catholique. Vendredi soir, il a soigneusement fait savoir qu'il organisait une projection privée du film de Xavier Beauvois « des hommes et des Dieux » à l'Elysée. Quelle passion cinéphile ! Le film est prêt depuis mai dernier, après sa projection au Festival de Cannes, et il a déjà atteint près d'un million et demi de spectateurs. Comme l'écrivait prudemment le Figaro, « il s'agissait avant tout jeudi de renouer le fil avec l'électorat catholique. » Les cathos sont-ils des dupes ? Vendredi 8 octobre, le président français se rendra au Vatican, pour rencontrer le pape. Les expulsions de roms ont laissé des traces.
Brice Hortefeux ne s'arrête jamais. Il s'est empressé de soutenir publiquement un gendarme mis en examen pour la mort d'un gitan en juillet dernier, qui avait déclenché une flambée de violences à Saint-Aignant et la chasse anti-roms de l'été. Dimanche, Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux déstabilisée par l'affaire Sénat, lui a prudemment apporté son soutien.
Dimanche 3 octobre, la télévision publique, France 3 en l'occurrence, diffusait un documentaire d'une grosse heure à la gloire de Carla Bruni-Sarkozy. Le résumé publié par la chaîne ne laissait aucun doute: « Qui se cache vraiment derrière la première dame de France ? (...) De la décontraction du monde de l'art aux codes protocolaires de la politique, comment s'est elle adaptée ? Comment compose-t-elle avec les attaques des uns, les attentes des autres, ses admirateurs...et sa propre vie d'artiste ? »
Un passe-droit pour Eric Besson
La ruralité, chez Nicolas Sarkozy, est ainsi devenue un élément central de l'identité française. Or, l'identité nationale est un sujet d'importance dans la stratégie de réélection du Monarque.
Un confrère, Romain Blachier, s'interroge sur le mariage récent d'Eric Besson. La vie privée du ministre de l'identité nationale ne nous concerne pas... sauf quand ce dernier multiplie, par discours ou loi interposés, les intrusions dans la vie privée de nos concitoyens. La récente loi Besson, en examen à l'Assemblée nationale depuis le 27 septembre, contient plusieurs dispositions pour durcir les procédures de contrôle des mariages, et notamment contre les mariages dits « gris ». Récemment, Eric Besson s'est marié, en seconde noce, avec une jeune Tunisienne. Romain Blachier rappelle la loi : « Depuis quelques années, un français et un étranger qui veulent se marier doivent passer en commission des mariages. Ce n'est pas un choix des mairies, c'est la loi.» Et de préciser les critères d'évaluation de cette commission, composée de fonctionnaires : « les cas où les écarts d'âge, de revenu, de situation existent ou si tout simplement le conjoint étranger a permis de séjour un tant soit peu précaire comme par exemple un visa d'étudiant.» La question vient d'elle même : « Eric et Yasmine ont-il du se plier au même exercice que celui qui est demandé par les lois de la majorité à laquelle appartient le Ministre à tous les conjoints de leur situation ou la Mairie de Paris 7e où ils se sont mariés a-t-il fait une exception ? »
Alors, monsieur le ministre... un commentaire ?
Le terrorisme, le vrai
Le gouvernement américain veut décourager ses ressortissants à se rendre en Europe. Dimanche dernier, le département d'Etat a publié une note d'alerte, remise aux passagers en partance pour le vieux continent. La ministre britannique des Affaires Etrangères a renchéri : « Le niveau de menace reste élevé, ce qui veut dire qu'un attentat est hautement probable ». En France, les ministres confirment, tels Brice Hortefeux a pu renchérir : « Nous travaillons en étroite collaboration avec l'ensemble des services et des pays concernés. Nous sommes naturellement vigilants et tenons compte de ce que peut dire notre allié américain. » La France, engluée en Afghanistan pour une sale guerre sans objectif ni issue, se retrouve en première ligne.
Depuis 15 jours, le gouvernement Sarkozy a adopté une très curieuse attitude. Avant les manifestations du 23 septembre, il a largement insisté sur un retour des menaces terroristes, au point d'être accusé d'instrumentaliser le sujet pour divertir l'opinion. Des responsables des renseignements et de la police se sont même exprimés. Les fausses alertes se sont multipliées. Après la prise de 5 otages français au Niger, le gouvernement a encouragé publiquement les preneurs d'otages à dialoguer et négocier. Un changement de doctrine qui tranche avec la position de nos voisins allemands, britanniques ou espagnols qui refusent de négocier publiquement.
Le terrorisme, pour Sarkozy, est sans conteste un sujet d'inquiétude et de diversion.