Jón est un enfant de sept ans enlevé par des marins anglais sur la côte islandaise alors qu’il jouait tout seul. Il sera domestique dans une famille bourgeoise avant que sa rébellion adolescente le fasse artisan tanneur, puis qu’il s’embarque clandestinement avec quelques compagnons pour rejoindre l’Islande. Il est viking, il a la mer et la liberté dans le sang, parcourir le monde qui s’ouvre au XVe siècle et côtoyer de nouvelles cultures lui plaisent. Il aimera Alice à 13 ans, la sensuelle bourgeoise, fille de son maître ; puis Jodrunn l’Islandaise, sauvagement, qui mourra de la peste en voulant le revoir malgré la quarantaine ; puis une négresse esclave ramenée aux Açores.
Il apprendra qu’il est le dernier enfant né dans les établissements norrois du Groenland, touchés par le refroidissement climatique et la rigidité dogmatique du clergé qui empêche toute adaptation. Sa mère, rapatriée en Islande, a émigré aux Açores pour épouser l’oncle du garçon, après son enlèvement. Jón va donc parcourir les mers pour retisser les liens entre toutes ses origines. Petite enfance en Islande ; enfance et prime adolescence à Bristol en Angleterre ; adolescence et jeunesse au Breidafjord en Islande, entre Reykjavik et le Snaeffels ; jeune adulte aux Açores puis embarqué pour le Groenland et le Vinland par l’une des premières explorations portugaises de Gaspar Corte-Real en 1500 ; il entendra parler de Christophe Colomb en Islande, verra John Cabot et Vasco de Gama ; vieillard, il sera pilote à Hambourg avant de rallier l’Islande une dernière fois.
Ce roman dans la lignée de Robert-Louis Stevenson détonne dans le paysage littéraire français. Il apporte un grand souffle d’air frais. Un vent du large bien loin des états d’âmes des petits intellos urbains confits entre Montparnasse et Pigalle. Bruno d’Halluin est sportif d’Annecy, marin breton et grand voyageur. Il a fait le tour de l’Islande en voilier et exploré sans doute l’intérieur. Quiconque a voyagé en Islande reconnaît cette terre de contraste dans la description qu’il en fait : « Jón s’approcha d’une rivière d’eau chaude, se déshabilla et s’y baigna avec délectation. Il admira les flancs des montagnes, parcourus de traînées de rhyolites exhibant des teintes allant du bleu-vert au rose ou au rouge écarlate, tachetés de névés immaculés. En quelques jours, il avait fréquenté une nature invraisemblable » (p.142).
Délicatement sensuel, passionné de marine, enfiévré d’exploration, ce roman vogue entre 1469 et 1540, dans une Europe qui s’ouvre enfin au monde, travaillée de Renaissance et excitée de grandes découvertes. Le style est direct et enlevé, malgré un purisme mal venu comme Erikur ou lieu d’Erik et Leifur au lieu de Leif, et quelques bévues comme cette « langue franca » mal traduite : la ‘lingua franca’ est la langue libre (franc = libre), l’argot des marins formé de mots tirés de diverses langues parlées sur les voiliers. Mais ces quelques maladresses n’enlèvent rien à ce qui est un beau roman d’aventures, trop rare en cette période de vieux.
Bruno d’Halluin, Jón l’Islandais, 2010, Gaïa éditions, 82 rue de la Paix, 40380 Montfort en Chalosse, 445 pages, 20.90€ sur Amazon Prix du livre insulaire Ouessant 2010, Sélection finale prix Gens de mer, festival Étonnants voyageurs, Saint-Malo 2010.