Après avoir effectué une première étape dans la littérature russe avec des auteurs ukrainiens et biélorusses, nous entrons aujourd’hui en Russie mais nous ne nous intéresserons qu’à la Russie européenne pour visiter la partie asiatique lors d’une prochaine étape en Asie. Au cours de ce séjour littéraire, nous évoquerons quelques uns des plus grands maîtres des lettres russes mais, hélas, pas à travers leurs œuvres maîtresses que je n’ai pas encore eu le courage d’affronter. Nous visiterons donc l’œuvre de Tolstoï avec un petit roman qui ne m’a pas franchement emballé, celle de Pouchkine, par contre, sera abordée à travers une de ses œuvres majeure et celle de Soljenitsyne sera évoquée par le truchement d’un ouvrage important mais pas répertorié comme l’un de ses chefs d’œuvre. Pour partir à la rencontre de ces grands ancêtres, nous prendront la compagnie d’un autre grand des lettres russes, Dostoïevski, que j’ai, lui aussi, approché à travers un petit ouvrage bien intéressant mais bien loin de ses romans fleuves qui ont fait sa réputation et sa gloire.
Le joueur de Fédor Dostoïevski (1821 – 1881)
« Ce qu’il y a de sûr, c’est… qu’en un seul tour de roue tout peut changer. » Alexis Ivanovitch, amoureux éperdu de Pauline qui joue avec lui comme le chat avec la souris, en est persuadé et il confie à la fortune de la roulette le soin de déterminer le sort de sa vie. Cette roulette qui est au centre de ce roman, rythme la vie des riches curistes qui fréquentent cette station balnéaire allemande pour chercher la fortune sous diverses formes : héritage, bon parti, argent gagné au jeu, usure, arnaque et même vol, mais elle symbolise aussi la chance, le sort, le risque et la vie qu’il faut provoquer.
Dostoïevski plonge cette société délétère qui est à la fin son cycle de vie, dans un monde qu’il connaît bien pour l’avoir fréquenté avec une assiduité quelque peu coupable et préjudiciable à ses intérêts. Il confesse l’enfer du jeu « et pourtant avec quelle émotion, quel serrement de cœur je prête l’oreille aux annonces du croupier… ». Le jeu n’est pas seulement la roulette, mais la vie qui tourne et qui donne le sens à notre existence. La vie qu’il faut provoquer car toujours la pente on peut remonter, «j’avais obtenu cela en risquant plus que ma vie, j’avais osé prendre un risque et… je me trouvais de nouveau au nombre des hommes ! »
Dans ce roman court, linéaire et fluide, Dostoïevski fait preuve d’une grande maturité littéraire en dressant des personnages dont il croque le physique avec une grande justesse et une grande finesse et dont il analyse le profil psychologique et moral avec beaucoup d’acuité. Il manipule aussi avec une grande maîtrise la mécanique qui met en rapport tous ces personnages (dont un Des Grieux qui n’aurait pas séduit Manon Lescaut, à coup sûr !) qui soumettent leur existence à la roulette de la fortune.
Les cosaques de Léon Tolstoï ( 1828 - 1910 )
Tolstoï pour cette fois, au moins, a fait court, il n'avait peut-être pas grand chose à dire : quelques souvenirs de bidasse pour étoffer l'histoire classique des deux gars qui lorgnent sur la même fille et quelques aventures de chasse qui manquent tout de même de relief et de suspens. Tout çà serait assez banal si Tolstoï ne mettait pas déjà en évidence les problèmes qui agitent ce coin du monde. Il a été un observateur attentif et un fin analyste des problèmes qui affectaient déjà les relations entre les communautés caucasiennes et ukrainiennes. Par ailleurs, il n'hésite pas à critiquer la politique moscovite et on sent qu'il éprouve une certaine fascination pour les peuples des montagnes fiers et courageux.
Et si Tolstoï avait compris que la marmite caucasienne exploserait, un jour, pour de bon !
La fille du capitaine d'Alexandre Pouchkine ( 1799- 1837 )
Peu avant de mourir dans un duel par lequel il voulait défendre son honneur de mari bafoué, Pouchkine publie ce roman qui raconte l’histoire d’un jeune officier russe que son père envoie aux confins de la Kirghizie pour en faire un digne soldat de l’impératrice. Le jeune homme arrive dans un fort perdu grâce à l’aide d’un nomade qu’il remercie en lui donnant son manteau. Il est bien accueilli au fort où il tombe rapidement amoureux de la fille du capitaine comme l’un de ses amis qu’il tue au cours d’un duel pour les yeux de la belle. Mais, le fort est bientôt pris par un chef rebelle qui exécute les officiers sauf notre valeureux héros à la grande surprise de la troupe qui le soupçonne alors de trahison. Quand le rebelle est vaincu, le pauvre officier est jugé et condamné mais la belle interviendra vite.
Un grand roman russe épique et romantique comme bien des romans slaves.
Une journée d’Ivan Denissovitch de Alexandre Soljenitsyne ( 1918 - 2008 )
Choukhov est condamné au goulag et il sait que même s’il peut purger l’intégralité de sa peine, il ne sortira pas vivant de cet enfer glacial. Il nous fait partager sa vie dans ce camp avec tout ce que cela comporte : les travaux forcés, les brimades, les sanctions aveugles mais aussi toutes les combines qu’il faut inventer pour rester en vie ou essayer de vivre moins mal que les autres. Ce livre m’a fortement marqué car bien que les détenus vivent dans des conditions extrêmes, le héros ne se révolte pas, il admet les traitements qu’il subit et il concentre son énergie sur des petits détails qui prennent une importance énorme pour sa survie et lui procurent des petits morceaux de bonheur qu’il grignote avec la croûte de pain qu’il a pu dissimuler dans sa paillasse. Une leçon de survie qui sent bien évidemment le vécu.