On dit en philosophie existentialiste qu'il faut bien être quelque part ! Le monde d'aujourd'hui nous appelle à chaque instant, à en vivre d'autres. Sitôt retirés du bruit du monde, ses envoyés spéciaux que sont le téléphone, le mail et les autres viennent appeler notre attention et voler tout ou partie de notre retraite.
Les moments gagnent en porosité et très peu de choses et de gens emportent aujourd'hui la totalité de notre être et la primeur de notre concentration. Les amis nous partagent avec les collègues distants, les collègues cèdent de nous quelque peu ou beaucoup aux réseaux sociaux, et même ces derniers sont obligés de nous partager entre eux ou avec d'autres sollicitations réelles ou elles aussi virtuelles.
Nous sommes donc de moins en moins quelque part, très peu entièrement avec quelqu'un, et presque jamais réellement seuls. Exception faite pour deux types de personnes : ceux qui réussissent l'exploit de se donner en entier et refusent de se dissocier, quitte à se couper de pans entiers du monde. Le deuxième type est formé de ceux qui savent, face aux âmes qui leur sont inestimables, rester la, et nulle part ailleurs, par amour, par amitiée réelle ou par un subtile respect devenant aujourd'hui monnaie rare.
Pour ceux qui ont la chance de posséder pareil être dans leur vie ou dans leur rêve, qu'ils sachent que leur vie est empreinte de rareté et leurs mots vraiment écoutés. Nos vrais amis sont ceux qui savent être quelque part, pour nous et avec nous. A l'instar de Montaigne qui disait : "quand je danse, je danse", ceux-là savent se fermer au monde pour s'ouvrir à un être, qui, l'espace d'un instant, vaut pour eux l'humanité entière. D'autres frôlent un jour cet havre de paix céleste, mais le quittent pour le "pôle mort". Je pense en effet que certains êtres ont le même rythme que la terre, volcanique et brulante, puis luxuriante avant d'accueillir une nouvelle aire glacière..
Paul Valéry disait qu' "un Homme seul est toujours en mauvaise compagnie". Force est de constater que beaucoup de personnes sont aujourd'hui trop entourées, jamais quelque part et pourtant toujours seules...