A Londres, Paris, New York, Montréal ou Lyon, l’année 2010 sera marquée par de nombreuses célébrations honorant le plus grand guitariste que le jazz ait connu. Un certain manouche nommé Django Reinhardt, né il y a exactement 100 ans. Son existance était un roman, son centenaire honoré un peu partout dans le monde, même si la France avec son traitement des Roms perturbe la mémoire et blesse la liberté.
Les routes et la guitare à trois doigts
Django Reinhardt est né dans une roulotte en Belgique. Sa petite enfance fut une vie d’errance dans la tradition manouche. Du Nord au Midi, de l'Italie à l'Algérie. Son père musicien, était batteur et dirigeait un orchestre familial itinérant. Après la première guerre mondiale et le départ du père, Laurence Reinhardt élève seule ses enfants près de l’actuel périphérique, dans un immense bidonville où s’entassaient toute la misère parisienne. Dès l’âge de 12 ans, Django trouve ses premiers engagements dans les bals musette et joue du banjo. Il va d’orchestre en orchestre et grave ses premiers enregistrements. En 1928, sa roulotte s’embrase. Il s'en sort mais, gravement brûlé, aura l’annulaire et l’auriculaire définitivement inertes. Au long d’une rééducation de 18 mois, Django s’empare d’une guitare et invente à trois doigts une technique que beaucoup d’experts jugeront inexplicable.
La légende veut que Django ait écouté du jazz pour la première fois en 1926 à Pigalle, à l’abbaye de Thélème où jouait l’orchestre de Billy Arnold. Mais la véritable révélation eut lieu en 1931, lorsqu'un Django guéri et son frère rencontrent à Toulon l’amateur d’art bohême Emile Savitry, qui s’entiche des deux frères et leur fait découvrir des disques de jazz. A l’écoute d’Indian Cradle Song de Louis Armstrong, Django se serait pris la tête entre les mains, s’écriant « Ache Moune », « mon frère » en manouche.
Quintette du Hot Club
Une guitare soliste (Django), un violon (le gadjé Stéphane Grappelli), deux guitares rythmiques (Joseph, le frère, et Roger Chaput), une contrebasse (Louis Vola) : telle est la composition du Quintette du Hot Club de France qui, en 1934, révolutionna le jazz, jusqu'alors voué presque exclusivement aux formations de cuivres. C'est la sensation européenne des années 30, gravant plus de 200 titres en six ans. Toutes les sommités jazzistiques américaines de passage en France jouent ou enregistrent avec le quintette, notamment Louis Armstrong, Bill Coleman, Coleman Hawkins, etc.
Lorsque survient la guerre, Django va en Angleterre avec Stéphane Grappelli. Ce dernier décide de rester à Londres, Django préférant rentrer. Symbole de cette période, « Nuages », joué pour la première fois en 1940, connait un énorme succès immédiat. Composition la plus célèbre de Django, ce thème à la fois triste et nostalgique convenait parfaitement à l’air du temps, à une période faite de peur, de couvre-feu et de rationnement. A la fois « madeleine de Proust » et hymne national bis (l’officiel, La Marseillaise, étant interdit par l’occupant).
Toute à la joie de leurs retrouvailles à la Libération, Django et Stéphane Grappelli concoctèrent une merveilleuse version swing de la Marseillaise (aussi appelée Echoes of France), que les autorités françaises s’empressèrent bêtement d’interdire !
Django Reinhardt s'est éteint le 16 mai 1953 dans le village de Samois sur Seine près de Paris. Un des plus beaux hommages à lui rendre, en plus d'aimer sa musique, serait de laisser en paix ces hommes qui vont et viennent, chantent comme personne, mais vivent comme tout le monde !