« Picolo te reconnaît bien, tu sais, m’a dit Tante Julia. Picolo, c’est le chien. Baveux, chassieux, ignoble, il tremblote sur un coussin. C’est un amour, dit la tante qui se déplace autour de la table dans son épaisse odeur de vaseline. L’Oncle me demande si j’ai maigri. On ne manque jamais de me demander si j’ai maigri, c’est réglé. Je réponds : Oui, j’ai perdu quinze kilos. Tant que ça, fait l’Oncle. Ce n’est pas comme le fils du boucher, il ne s’est jamais si bien porté que là-bas ; mais Bourdier, tu te rappelles le gros Bourdier, celui qui est aux Assurances sociales, lui alors c’est incroyable ce qu’il a décollé, il fait pitié.
Ils me regardent tous comme pour chercher où je peux bien cacher ces quinze kilos qui me manquent. Il y a Merlandon. Il y a Ginette et son fiancé, le Vétérinaire. Et Pierre. Pierre explique au vétérinaire qu’il prend des petites pilules rose pour son foie. Deux chaque matin. Il ne sait pas ce qu’ils y mettent, dans ces pilules, mais elles lui font du bien, on ne peut pas dire.
Merlandon me verse du bourgogne. «Tu n’en buvais pas comme celui-là au camp.» Il rigole, je rigole, elle est bien bonne. «J’en réservais une bouteille pour ton retour, précise l’Oncle en clignant de l’œil. N’est-ce pas Julia ? Je disais tout le temps : il faut en garder une bouteille pour son retour.» On trinque. A la santé du prisonnier. On retrinque. C’est le moment où la Famille, gonflée de dine et de bourgogne, s’étale, se débraille un peu, se sent lourde, assise, massive, éternelle. […]»
Georges Hyvernaud, La peau et les os, 1949, Editions Pocket/Best.
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