L’OPEP a cinquante ans

Publié le 03 octobre 2010 par Copeau @Contrepoints
Drapeau de l’OPEP

Cinquante ans, ce n’est pas l’âge de la retraite. Pourtant, tous les amis de la liberté souhaitent la disparition de ce cartel d’Etat appelé Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole, dont le seul objectif est de manipuler le marché pétrolier, pour obtenir de faux prix, artificiellement élevés, qui pénalisent les pays consommateurs de pétrole, pèsent sur la croissance et engendrent une incertitude permanente sur l’économie mondiale. Tant que l’OPEP gardera son pouvoir, la question de l’énergie sera mal réglée. Mais l’OPEP va-t-elle garder longtemps sa position dominante ? Le marché libre ne va-t-il pas renaître de ses cendres ?

L’OPEP provoque les chocs pétroliers

L’OPEP a été créée en 1960, à un moment où il existait encore une concurrence entre producteurs de pétrole et où l’or noir avait des substituts non négligeables (comme le charbon). Mais peu à peu la demande est devenue plus inélastique, car le bas prix du pétrole à l’époque (3 dollars le baril) a poussé entreprises et ménages à devenir de plus en plus dépendants de cette source d’énergie (industrie, transport, chauffage,…). Dès l’origine l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole n’a été rien d’autre qu’un cartel regroupant les principaux pays exportateurs de pétrole, ayant pour seul objectif de créer un oligopole pour maintenir les prix de l’énergie sans cesse à la hausse.

L’OPEP attendait donc son heure et a saisi l’occasion des événements de 1973 au Proche-Orient pour quadrupler le prix du pétrole, passant à 12 dollars en moyenne (premier choc pétrolier), puis, à l’occasion de la révolution iranienne, en 1979, a encore multiplié le prix par 3 ou 4, autour des 40 dollars (second choc pétrolier). A l’époque cela n’était pas très compliqué pour un ensemble représentant 85% des exportations mondiales de pétrole, parlant d’une seule voix, et face à une demande peu élastique, donc prisonnière de ses fournisseurs.

Pourtant, très vite, le marché a réagi, et de diverses façons. Le prix élevé a stimulé la recherche pétrolière et l’exploitation du pétrole en dehors de l’OPEP, par exemple dans la mer du Nord, mais aussi dans ce qui était encore alors des républiques de l’ex-URSS, ou dans bien d’autres pays. A trois dollars le baril, exploiter du pétrole sous-marin n’était pas rentable, à 35 ou 40 dollars, cela devenait très intéressant. Mais cette ruée vers l’or noir n’était-elle pas de nature à épuiser les réserves ? Les « experts » – notamment ceux du Club de Rome – avaient prédit dès les années 1960/1970 l’épuisement total des réserves pour l’an 2.000. L’échéance est aujourd’hui reportée vers 2050, grâce aux découvertes incessantes.

Ce qui a changé, c’est que les exportations en provenance de l’OPEP sont aujourd’hui minoritaires, ce qui réduit sensiblement son pouvoir de nuisance et de manipulation des prix. La concurrence, comme toujours, a fait le reste, et les prix ont baissé jusqu’en 1986 (contre-choc pétrolier) et sont restés assez bas jusqu’à ces dernières années, avant de rebondir récemment sous l’effet de la forte demande des pays émergents.

Réactions de la demande et de l’offre

Mais la hausse artificielle des années 70 a eu d’autres conséquences, parce qu’elle a modifié le comportement et de la demande et de l’offre.

Du côté de la demande, on a tendance à gaspiller un produit dont le prix est très bas ; on fait plus attention, chez les ménages comme dans les entreprises, quand le prix explose. D’où les économies d’énergie, qui ne sont pas comme on le croit le produit d’interventions gouvernementales ou de campagnes médiatiques, mais le fruit d‘un calcul économique élémentaire : le signal des prix donne l’alerte.

Du côté de l’offre, le prix élevé (qui équivaudrait fin des années 70 à environ 100 dollars d’aujourd’hui) a entrainé le développement des recherches de sources alternatives d’énergie, du nucléaire aux chutes d’eau, de la force du vent à l’énergie solaire, et du gaz « naturel » au gaz « non conventionnel » (c’est-à-dire extrait de poches plus profondes).

Dans ces conditions, le prix du pétrole a baissé dans les années 1980/90.

La désagrégation de l’OPEP

L’OPEP n’a jamais accepté cette remise en cause de son pouvoir de nuisance. Elle a mis en place une politique des quotas, visant à restreindre l’offre, pour provoquer une pénurie artificielle et maintenir les prix à la hausse. L’efficacité de cette politique a été un temps réelle. Mais comme tout cartel, l’OPEP n’a pas pu éviter le risque d’un éclatement. Les Etats membres du cartel avaient des intérêts souvent divergents, de sorte que certains n’ont pas respecté les quotas décidés. La discipline se relâchant progressivement, on en arrive ces derniers temps à une complète anarchie : le mois dernier l’OPEP n’a respecté ses décisions qu’à hauteur de 53% : l’Iran n’a retiré du marché que 20% des volumes prévus, le Venezuela 38% et l’Algérie 55%. L’OPEP perd ainsi le total contrôle des prix, comme elle a perdu la majorité de la production mondiale. Même si elle détient encore 70% des réserves mondiales de pétrole recensées elle ne représente plus que 40% de la production mondiale actuelle. .

Cependant, la nuisance de l’OPEP n’a pas totalement disparu, car il reste trop de pays et trop de convergence pour que le marché du pétrole retrouve sa fluidité. Ainsi les prix ont-ils joué au yoyo ces derniers temps, culminant à 147 dollars en juillet 2008 (du jamais vu) pour chuter au plus fort de la crise à moins de 35 dollars fin 2008. Il varie ces derniers mois entre les deux, autour de 80 dollars. Suivant sa politique de réduction de l’offre, donc des quotas d’exportation, et sa capacité à être obéie des Etats membres, l’OPEP contribue aux mouvements apparemment erratiques du marché.

Mais ce faisant l’OPEP creuse sa propre tombe, car à quoi sert de faire monter le prix, si c’est le résultat d’une réduction de l’offre ? On vend plus cher, mais des quantités moindres, de sorte que ce sont les exportateurs non membres de l’OPEP qui profitent de ces prix manipulés à la hausse, ainsi que les producteurs de sources d’énergie alternatives. Plus l’OPEP cherche à manipuler le marché, plus son pouvoir de nuisance se réduit, en raison de la réaction des marchés. D’ailleurs, la hausse récente du prix pétrolier depuis la reprise mondiale est bien davantage due au boom de pays émergents gros consommateurs de pétrole, de la Chine à l’Inde en passant par le Brésil, qu’aux exploits de l’OPEP.

Il est temps que disparaisse l’OPEP

Le tribut payé à l’OPEP en un demi siècle a donc été particulièrement lourd. Le cartel n’a cessé d’imposer de faux prix, qui ont eux-mêmes faussé toutes les anticipations économiques, et créé un environnement mondial instable, peu propice à la croissance. Cette insécurité économique est particulièrement nocive dans la période actuelle de crise, et les dérèglements du prix de l’énergie ont retardé et retardent encore la sortie de crise.

Il est vrai qu’au sein du cartel de l’OPEP certains Etats n’ont cure de l’économie mondiale, et n’ont vu dans leur politique qu’un moyen de faire pression sur les pays développés occidentaux. Les trois quarts des réserves mondiales de pétrole appartiennent à des monopoles d’Etat ; ce n’est pas rassurant. Le choc pétrolier de 1973 a été lié à la guerre des six jours et le pétrole a été une arme dirigée contre Israël et les Occidentaux qui le soutenaient. Aujourd’hui le Vénézuela de Chavez veut détruire le capitalisme.

On ne saurait donc avoir la moindre indulgence pour l’OPEP, et on peut s’étonner de voir un quotidien aussi bien informé que Les Echos affirmer que « l’organisation a prouvé son efficacité ». Comment ? En permettant d’avoir « un baril plus cher malgré la crise ». Efficacité pour qui ? Pas pour la reprise, qui aurait été plus rapide si le prix du pétrole s’était encore réduit. Pas pour les clients, qui, au moment où leurs revenus sont fragilisés, subissent le maintien artificiel de prix élevés. L’économie fonctionne-t-elle pour le client, ou pour maintenir certains privilèges que se sont attribués des producteurs étatiques ?

Il est donc grand temps que disparaisse l’OPEP et que le libre marché du pétrole reprenne ses droits, et donne aux acteurs de la vie économique les informations dont ils ont besoin, à partir de vrais prix. Mais quel serait le « juste prix » du pétrole ? Ici comme ailleurs, la réponse ne peut venir que du libre marché. Il est probable que, compte tenu de l’explosion des pays émergents et de la menace, à long terme, d’une disparition du pétrole, le prix finira par monter fortement : cela indiquera les vraies raretés à venir et permettra de passer en douceur du pétrole à l’après-pétrole, en rendant rentables les recherches nécessaires pour trouver de nouvelles sources d’énergie. Encore faut-il mettre fin aux manipulations de l’OPEP : il est temps que l’OPEP prenne sa retraite !

Article repris depuis La Nouvelle Lettre, avec l’aimable autorisation de Jacques Garello