Magazine Culture
Folie, folie, lui répétait son cœur. Folie consciente, gratuite, qui mènerait au désastre. [...]L’isolement, dit-il, avait son prix. Chacun désirait disposer d’un endroit où se trouver seul à l’occasion. Cet endroit trouvé, c’était la moindre des politesses que celui qui était au courant gardât pour lui ce qu’il savait. Il ajouta même, avec presque l’air de s’effacer et de cesser d’exister, qu’il y avait deux entrées à la maison, dont l’une par la cour de derrière, qui donnait sur une allée.Quelqu’un chantait sous la fenêtre. Winston, protégé par le rideau de mousseline, regarda au-dehors. Le soleil de juin était encore haut dans le ciel et, en bas, dans la cour baignée de soleil, une femme aux avant-bras d’un brun rouge, qui portait, attaché à la taille, un tablier en toile à sac, marchait en clopinant entre un baquet à laver et une corde à sécher. Monstrueuse et solide comme une colonne romane, elle épinglait sur la corde des carrés blancs dans lesquels Winston reconnut des couches de bébé. Dès que sa bouche n’était pas obstruée par des épingles à linge, elle chantait d’une voix puissante de contralto.Ce n’était qu’un rêve sans espoir.Il passa comme un soir d’avril, un soir.Mais un regard, un mot, les rêves ont recommencé.Ils ont pris mon cœur, ils l’ont emporté.George Orwell.1984.