Les mauvaises affaires du Président

Publié le 02 octobre 2010 par Letombe

 

Ce samedi, on manifeste, à nouveau, contre la réforme des retraites. L'Elysée reste serein, nous répète-on. Sarkozy serait passé à autre chose. Effectivement, la semaine fut riche en affaires et en «  story-telling ». Eric Besson a bien tenté de mobiliser les polémiques sur son projet de loi sur l'immigration. De petites phrases en grosses provocations, il fallait masquer son inefficacité, et ces affaires qui menacent la Sarkofrance. Les proches du président préparent surtout la nouvelle pirouette de leur patron, la fin du bouclier fiscal et de l'ISF. Mercredi, le projet de budget 2011 fut l'occasion d'un story-telling historique par François Baroin et Christine Lagarde: on a voulu nous faire croire que l'an prochain les niches fiscales allaient baisser que rentiers et fortunés allaient contribuer à l'effort national.
On a failli les croire.
L'affaire électorale
On approche de l'heure du bilan, des dernières semaines d'action politique. Il y a 6 mois, Sarkozy avait promis à ses proches que le remaniement gouvernemental prévu pour octobre annoncerait une nouvelle séquence, celle du combat exclusif pour sa réélection. Et Sarkozy a peur. Il craint Marine Le Pen, comme l'a confirmé cette semaine un conseiller élyséen. Vues ses surenchères insécuritaires depuis juillet, on l'avait deviné.
Mardi, la grande loi d'Eric Besson était présentée au Parlement. Après Loppsi II, adoptée la semaine dernière, sur la sécurité intérieure, voici sa petite soeur contre l'insécurité extérieure. Le ministre de l'identité nationale, fidèle exécutant, a pris soin de « droitiser » comme il faut son texte. Il s'est inspiré des meilleures sources, auprès d'un certain Maxime Tandonnet, célébrité administrative d'un jour, conseiller de Sarkozy qui pond en secret les pires raccourcis sécuritaires sur l'immigration. Pour relancer la polémique, et attirer les regards d'un certain électorat chéri, Eric Besson a joué la provocation. Mardi, dans le Parisien (version journal comme version video), il s'est exclamé : « Si mon ministère peut être une machine à fabriquer de bon Français, je serai très heureux. »
Mais tout ceci n'est que masque, affichage et manipulation. Le masque est grossier : Eric Besson s'abrite derrière trois directives européennes que la France devrait adapter dans sa législation. Qu'elle a beau rôle, l'Europe ! Quand Viviane Reding trace un parallèle vichyssois et menace la France de sanctions contre sa politique discriminatoire envers les roms, Sarko se révolte contre l'Europe. Quand une directive européenne est adoptée sur les « standards minimaux en matière de durée de rétention et d'interdiction de retour », Eric Besson accourt, se précipite, fait du zèle.
L'affichage est évident : l'élargissement de la déchéance de nationalité prévu dans le texte est non seulement honteux mais inutile : il ne concernera qu'un nombre anecdotique de cas, et on imagine mal des truands, fussent-ils naturalisés récemment, hésiter à commettre leur crime au motif qu'ils perdraient leur carte tricolore. Sarkozy se fiche bien d'être efficace. Il veut d'abord cliver sur sa distraction sécuritaire , et notamment coincer l'opposition.
La manipulation fait pleurer : la politique migratoire de Sarkofrance est inefficace. Brice Hortefeux puis Eric Besson ont eu toutes les peines du monde à satisfaire les objectifs d'expulsions de sans-papier. Il a fallu rafler des citoyens de l'Union européenne (Roumains, Bulgares, etc), traquer des sans-papiers dans les écoles de leurs enfants, ou ajouter des Comoriens attrapés à Mayotte pour parvenir, coût que coûte, aux 27 ou 30 000 expulsés, quitte à provoquer des situations individuelles, voire collectives, aussi absurdes que dramatiques. La loi Besson assouplit les contraintes, élargit les zones d'attente, allonge les délais de rétention, définit des car, désormais, les juges si tatillons sur les libertés individuelles, sont désignés comme les obstacles à la libre expulsion des clandestins, fussent-ils européens.
Sur le fond, Eric Besson est devenue une caricature de Sarkofrance, inutile car inefficace. La malheureuse cote de popularité de Nicolas Sarkozy ne progresse pas depuis les saccades sécuritaires de l'été. « Un discours sécuritaire pour rien ? » s'interrogeait Marie-Eve Malouines de France Info.
L'affaire fiscale
Mercredi, François Baroin et Christine Lagarde ont livré une conférence de presse « historique » sur le projet de budget 2011.  Historiques étaient leurs mensonges. Il fallait comparer leur story-telling à la réalité des chiffres présentés. Grâce à la reprise et au plan de relance, l'Etat récolterait 12 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires l'an prochain. Vraiment ? Le budget présenté mercredi affiche des recettes ... en baisse de 900 millions d'euros. Et pourquoi donc ? A cause des niches fiscales qui ne baissent pas. Le coup de rabot si largement vanté depuis de semaines ne parvient même pas à écorner l'ampleur des exonérations fiscales.
La maîtrise des dépenses publiques serait historique. En fait, le gouvernement gèle son budget, et celui des collectivités locales, mais cela ne suffit pas à réduire le déficit. La vraie économie n'a rien à voir avec une quelconque réduction drastique des dépenses. En 2011, Sarkozy ne reconduit pas quelques 40 milliards d'euros d'investissement. Voici la belle économie ! Au final, Sarkozy et son fidèle Baroin rognent partout où ils peuvent, sauf sur la rente, le patrimoine et les hauts revenus : TVA sur 20 millions d'abonnements ADSL, fin des déclarations fiscales séparées pour les jeunes mariés, suppression de la rétroactivité de 3 mois précédent la demande d'aide au logement, réduction des crédits d'impôts écolo, réduction du nombre de fonctionnaires à l'éducation nationale et dans la police, etc... Sans compter le plan de réduction du coût de la Sécu, confirmé mardi, pour 2,5 milliards d'euros : les seuls déremboursements de médicaments se chiffrent à près d'un milliard d'euros. 
La seconde arnaque de la semaine concerne le bouclier fiscal. Sarkozy s'apprête à y renoncer, ... tout en supprimant l'ISF, le tout sous couvert de la fameuse convergence fiscale franco-allemande que Nicolas Sarkozy a appelé de ses voeux en juillet dernier. D'une main, on reprend un cadeau de 600 millions d'euros capté par une poignée de millionnaires, mais de l'autre, on rend 3 milliards d'euros d'ISF à ces derniers. La belle affaire ! Mais il y a plus gonflé dans cette manipulation : l'Elysée invoque désormais l'Allemagne comme modèle pour justifier ... la fin du bouclier fiscal. Or depuis des mois, Sarkozy aimait répéter le même exemple, archi-faux et systématiquement démenti, sur le prétendu bouclier fiscal allemand mis en oeuvre par les sociaux-démocrates il y a 15 ans.
Quel mépris !
La séquence était bien rodée. Dimanche dernier, Christine Lagarde se pointe à Europe1 pour expliquer qu'on réfléchit à une harmonisation fiscale franco-allemande. Sarkozy l'avait annoncé fin juillet. Sur le coup, les journalistes ne relèvent pas. La ministre glisse ensuite qu'en Allemagne, il n'y a ni bouclier, ni ISF. Elle insiste surtout sur l'ISF. Le lendemain, Baroin stresse un peu. Il a un budget à boucler. Il prévient qu'il ne sait pas comment récupérer 3 milliards d'euros d'ISF. Mais Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l'Assemblée, apporte son soutien à la suggestion de Lagarde.
Et samedi, un opportun article du Figaro, puisé aux meilleures sources élyséennes, confirme les intentions présidentielles : si l'ISF est supprimé, le bouclier fiscal «peut être abandonné, ou maintenu seulement pour certains foyers modestes qui seraient exposés à des prélèvements excessifs», précise un conseiller. Plus que jamais, Sarkozy s'affiche comme le président des Riches. Transférer la charge d'un impôt sur le patrimoine des plus fortunés sur les revenus du travail du plus grand nombre est la plus belle des arnaques de cette fin de mandature. La boucle est bouclée.
It's the economy, stupid !
Ce slogan, utilisé par Bill Clinton pour bouter George Bush senior hors de la Maison Blanche en 1992 pourrait s'adresser à Nicolas Sarkozy. Le Monarque refuse visiblement de voir la réalité économique du pays.
Grâce au plan de relance de 2009, la reprise économique serait là, et bien là. Christine Lagarde l'a encore répété dimanche dernier : la croissance du pays sera de 2% l'an prochain. La totalité des économistes et analystes de marché se gaussent des prévisions fantaisistes du gouvernement en matière de croissance. 
Vendredi, lors de sa visite au Salon de l'Automobile, Sarkozy a dénoncé les délocalisations. Crier contre le grand marché européen ne coûte rien. Quand il se déplace à Bruxelles, le président français se tait, comme ses prédécesseurs. Vendredi toujours, il s'est félicité de l'efficacité de la prime à la casse (« un triomphe » paraît-il copié partout en Europe), un feu de paille qui n'a servi qu'à passer le cap de l'année 2009. Les ventes de voitures ont reculé en septembre de 8,1% par rapport à la même période l'an passé, ... pour le cinquième mois d'affilée. La reconversion de la filière vers le transport collectif et durable n'est pas pour demain.
L'affaire du remaniement
Certains ministres sentent leurs derniers jours ministériels arriver. Le départ de Bernard Kouchner a été salué à l'Assemblée nationale... par les députés socialistes. D'autres s'accrochent. Eric Besson a répété qu'il a « envie de rester au gouvernement.» L'ancien socialiste est devenu une icône de la droite la plus dure du gouvernement. Une vraie reconversion réussie ! Son collègue de la Gauche Moderne, Jean-Marie Bockel, trépigne depuis juillet. Il multiplie les interviews et les déplacements, tente de convaincre, dans le brouhaha sécuritaire du moment, que la prévention de la délinquance des jeunes est un sujet important en Sarkofrance. Fadela Amara, elle, croit qu'elle a un avenir post-gouvernemental dans la « société civile.» Elle est comme Kouchner. A chaque virage à droite de son patron, elle a toujours refusé ... de démissionner ! Une vraie leçon de courage politique...
Ces ministres de « l'ouverture » sont devenues des créatures de Nicolas Sarkozy, de simples marionnettes sans avenir politique autre que la fidélité sans faille ni recul à celui qui les a fait ministres.
François Fillon n'a pas ce problème. Ancien gaulliste proche de Philippe Séguin, il termine dans quelques semaines sa parenthèse sarkozyste. Jean-Louis Borloo devrait le remplacer. L'entretien qu'il a donné à France 2, diffusé lundi dernier, fut frappant ... pour Nicolas Sarkozy. Il recadre son patron qui, voici 3 ans, le traitait de « collaborateur » : « Nicolas Sarkozy n'a jamais été mon mentor. J'ai fait alliance avec lui. » Il paraît qu'à l'Elysée, Sarkozy s'est étranglé.
Les affaires d'intérêt
Quand on quitte le gouvernement, la parole se libère. Parfois trop, jusqu'au lapsus. Rachida Dati, ancienne égérie Bling-Bling version « minorité visible » de Sarkofrance, ne cesse de s'imposer au débat, fustigeant indirectement Hortefeux ou les dérapages de la finance mondiale. Dimanche dernier, sa langue a fourché, pour le plus grand bonheur des 2,6 millions d'internautes qui se sont précipités sur la séquence : «Quand je vois certains qui demandent des taux de rentabilité à 20, 25 %, avec une fellation quasi-nulle.»
Autre ancien membre de l'équipe sarkozyenne, Martin Hirsch a préféré l'écrit, en publiant un livre sur les conflits d'intérêt. Il ne pouvait mieux tomber. L'ancien haut commissaire aux Solidarités actives a dénoncé certaines pratiques, y compris parlementaires. Copé, Longuet et d'autres se retrouvent directement ou indirectement épinglés. A droite, certains enragent. Sarkozy s'énerve. Il demande à ses ministres d'éviter de commenter l'ouvrage. Mais son porte-parole Luc Chatel n'a pu s'empêcher, mercredi : « Quand on se veut chevalier blanc, on commence par respecter la loi et par ne pas divulguer des informations confidentielles. » La violence des réactions témoigne d'un malaise : le conflit d'intérêts est un trait décisif de la droite décomplexée, une marque de fabrique en Sarkofrance. Le Président des Riches lui-même a donné très tôt l'exemple, à des années-lumières de la République irréprochable qu'il avait promise. Il était avocat d'affaires quand il était maire de Neuilly et président du conseil général des Hauts-de-Seine. Il tenta de placer son fils à l'EPAD à l'automne 2008. Il réussit à placer ses proches à la tête de certaines banques (Dexia, Banques Populaires). Il permit à la BNP dirigée par le proche Michel Pébereau de racheter Fortis. Il accepta des séjours luxueux offerts ici ou là. 
Ce mélange des genres, permanent, systématique, omniprésent, est une caractéristique essentielle du pouvoir en place. Le système de petites compromissions et grosses facilités révélé autour d'Eric Woerth est un bel exemple. Lundi, un juge, Jean-Louis Nadal, a défié le procureur de Nanterre, ce Philippe Courroye qui a saucissonné le dossier Woerth/Bettencourt en d'innombrables enquêtes préliminaires : le procureur général près la Cour de cassation a expliqué publiquement qu'il décidé de ne pas saisir pour l'instant la Cour de Justice de la République concernant le ministre du Travail Eric Woerth dans l'affaire Bettencourt, car l'enquête du procureur Courroye est trop incomplète. Pire, il  recommande la saisine d'un juge d'instruction. On appelle cela un désaveu.
Mardi, Rue89 a trouvé le nom d'Eric de Sérigny, ce conseiller bénévole du ministre depuis 2007, et proche de Sarkozy, dans les statuts de sociétés offshore basées au Panama. Sérigny dément, mais un autre administrateur confirme.
Le cadeau, injustifiable, fait à Bernard Tapie est un autre exemple: l'ancien leader du PRG, qui avait appelé à voter Sarkozy en 2007, a gagné 220 millions d'euros de dédommagements dans son litige décennal avec le Crédit Lyonnais. Sarkozy lui-même a décidé de recourir à un arbitrage privé, plutôt que de laisser les procédures en cours se poursuivre. Et quand un quarteron de magistrats trancha en faveur de Tapie, la ministre Lagarde expliqua rapidement que l'homme d'affaires ne toucherait « que » 30 millions d'euros. Deux ans plus tard, la facture se précise : 220 millions d'euros. Interpelée à l'Assemblée, Lagarde s'agace et refuse de confirmer.
Face à de telles manipulations, la réaction populaire est timide. Les syndicats, très prudents, espéraient motiver les foules en conviant tout le monde à manifester ce samedi contre la réforme des retraites. La grève générale n'est pas à l'ordre du jour. Le Président des Riches s'en sort bien. Mais à l'Elysée, on sous-estime encore et toujours l'amertume générale. Même la presse la moins critique et la plus complaisante n'est plus dupe.
Ami sarkozyste, où es-tu ?

Sarkofrance