Me revoici à Auxerre. De ma fenêtre, je vois, les toits de tuiles brunes et moussues (*) des vieilles petites maisons à pans de bois de mon quartier qui hésite entre Marine et la Cathédrale. Marine d’eau douce dont les crues sont les tempêtes et les pertuis, ou ce qui en reste, les écueils. Disparues les îles où s’ancraient les moulins. Et où, aux beaux dimanches d’été, Nicolas Restif, apprenti dans l’atelier où maître Fournier imprimait les mandements de Monseigneur l’évêque, venait conter fleurette aux filles des vignerons de Saint Pierre. Coches d’eau, flûtes et chalands s’en sont allés, eux aussi, au fil du courant et des siècles. Ne reste plus que des diminutifs et des faux-semblants. Pénichettes au luxe variable et le bateau panoramique, ailleurs appelé plus justement promène-couillons, qui fait trois tours entre Preuilly et Chaînette (ce sont des écluses) le temps d’un « dîner tradition » accompagné de commentaires qui visent, sans jamais l’atteindre, une incertaine vérité historique.
Manquant d’argent, les évêques n’ornèrent leur cathédrale que d’une seule tour, grand mât qui incite à filer encore un peu plus la métaphore nautique. Quand je suis arrivé en ville, on pouvait encore prendre son vieil escalier. Des archères éclairaient, très mal, les marches usées. Certaines avaient même disparu et il fallait se munir de sa lampe de poche pour arriver sans accident sur la terrasse. De là, la vue plonge sur les maisons où les chanoines et les bourgeois s’étaient ménagés des jardins d’autant plus désirables que les piétons ordinaires n’ont aucune chance de les apercevoir, cachés qu’ils sont par les hauts murs du quant-à-soi bourguignon.
La Tour des neiges est ma voisine. Son propriétaire l’a ornée d’une girouette dont la silhouette évoque une cavalière. Est-ce pour rappeler l’improbable halte qu’aurait fait ici Jeanne d’Arc en route pour Chinon ou, parce qu’une fille de la maison pratique l’équitation ? Toujours est-il qu’il me suffit d’un regard pour savoir d’où vient le vent et pour qu’au matin des Rameaux, j’apprenne quel sera le temps des mois à venir. Préoccupation moins futile qu’il n’y paraît pour qui sait, depuis l’enfance, qu’une année sèche n’a jamais demandé son pain à une année humide.
A la nuit tombée d’autres fenêtres s’allument qui invitent à rêver aux minces romans des vies qui s’écrivent à l’abri de leurs rideaux ou de leurs contrevents à jalousies. Cédant à la mode qui veut qu’on illumine les monuments historiques, la ville a cerné sa cathédrale de projecteurs. Leur lumière blanchâtre donne à l’antique église, un air fantomatique et un peu sinistre. Je l’aime bien mieux, plongée dans le sombre de la nuit. On ne devine d’elle qu’une masse noire dont la lune, tout à l’heure, découpera la silhouette et, qui sait, quelque office nocturne fera resplendir ses vitraux, pendant qu’une volée de cloches sonnera un alléluia d’action de grâce.
Un dernier coup d’œil aux étoiles. Pas un nuage ce soir. Le ciel est clair. Pointée vers l’extrémité du monde occidental, l’épée de Saint Jacques montre à qui sait voir, le chemin des voyages et des rêves. Il est temps de refermer ma fenêtre.
(*) Forcément moussues : le climat est sous influence océanique.
Chambolle