Un roman sur Twitter ? La vie rêvée (9)

Publié le 01 octobre 2010 par Perce-Neige

Juste le vent dans les branches. Et encore ! Car vous retenez votre souffle à un point inimaginable. Revenir sur vos pas serait vous trahir. / Le gravier, dans l'allée, n'en finirait pas de se plaindre et de geindre sous vos pas. Reste à pouvoir se taire devant le spectacle et ça... / Car Lionel n'y va pas par le dos de la cuillère, comme on dit. Chaque mot dans sa bouche est une bombe à fragmentation. Il parle pour frapper. / Ne s'interdit rien. Redouble de violence dès qu'Hélène concède la moindre parcelle de terrain. La cause est entendue. Il lui dira tout... / Et d'abord qu'il attend maintenant un début d'explication. Une réponse un peu sensée à sa question. Car rien n'arrive par hasard, vois-tu. / Et quant à imaginer que quelqu'un puisse glisser intentionnellement une saloperie pareille dans un sac à main, on est en plein délire, non ? / Je veux bien tout... Accepter que notre monde ne soit pas vraiment celui que nous connaissons. Et bien d'autres balivernes du même acabit... / Mais là franchement, Hélène, trop c'est trop ! Voilà l'inconnu qui s'approche. Suffisamment discret pour n'éveiller l'attention de personne. / Suffisamment malin pour avoir choisi précisément la bonne personne... Suffisamment sûr de lui pour ne pas hésiter une seule seconde... / Et voilà notre homme, - encore que le genre importe peu - notre homme qui laisse tomber cette perle à tes pieds. Et tu n'y vois que du feu. / J'exagère ? Admets qu'en d'autres circonstances la lecture à voix haute de la perle en question me vaudrait sans doute une large assistance. / Quelques exemples, pour la route, de cette prose ahurissante ? Un morceau de bravoure parmi d'autres ? Deux ou trois mots pour le plaisir ? / C'est ce que tu veux, sans doute ? Madame espère entendre de ma bouche, gourmande, ce dont elle s'amuse gentiment depuis des semaines... / Et bien non, pas vraiment, voyez-vous... A cet instant précis Hélène n'attend rien d'autre que le silence. N'aspire qu'à s'enfuir. Oui. / Hélène dont vous n'entrevoyez que la silhouette immobile et vaguement inquiète dans l'obscurité, reste sans voix, ou presque. Vous êtes là ? / Ou bien ailleurs ? Vous avez le choix. Parions, qu'à cet instant précis, dans la douceur soudaine, crépusculaire, de l'été provençal... / Et tandis que l'orage, espiègle, derrière les collines ou plus au nord, allez savoir, s'amuse à taquiner l'horizon sans jamais s'éloigner... / Parions qu'à cet instant précis vous préféreriez de beaucoup vous transporter sous des cieux autrement plus hospitaliers que ceux-là. / Et vous retrouver, à quelques centaines de kilomètres de là, avec Hélène, dans l'appartement de la rue Daumesnil, trois jours plus tard. / Tirons d'abord un trait sur le principal. La jeune femme, au sourire un peu triste, n'a guère fermé l'œil de la nuit. Et vous non plus... / L'aube presqu'ensoleillée presque silencieuse d'absences motorisées au cœur du mois d'aout s'invite sur les lèvres de celle qui vous parle. / Et vous interdit, soudain, de poser la moindre question. Et vous supplie de la croire. Et vous suggère de juste écouter, sans jamais juger. / Et vous espère plus attentif que jamais. Et répète plus lentement ce qu'elle vous a déjà dit. Et confirme. Et vous jure la main sur le cœur. / Et vous retourne aussi sec chacun de vos arguments. Et vous assure, juré craché, que tout est vrai. Et se déclare un peu lasse par tout ça. / Epuisée parfois je ne mens pas. Mais tout autant révoltée, bien sûr. Retrouvant brusquement ses esprits. C'est encore l'été derrière vous ? / Un œil qui soudain tergiverse, crapahute, se faufile sur le balcon, se dérobe et s'enflamme. Le ciel de Paris, voyez-vous, rêve d'Italie. / Et votre deux pièces cuisine de l'avenue Daumesnil donne alors direct sur le grand canal. Et puis, au delà, les brumes vous sont napolitaines. / Je te sers un autre café ? Hélène se rassoit. Ajuste tant bien que mal la chemise sur ses épaules. Il faut presque froid, non ? Je reprends. / Première hypothèse, celle d'une arme bactériologique ! Je ne plaisante pas... Ces types sont, peut-être, complètement fous, Julien. Azimutés. / Prêts à tout pour proprement nous anéantir. Nous réduire à jamais en poussière. Pfuittt... Précipités, pulvérisés vite fait dans l'espace. / Minéralisés, végétalisés, pixélisés, ou je ne sais quoi d'autre dans le dédale sidéral des réseaux informatiques, mais nous en sommes là. / A deux doigts, Julien, de perdre définitivement toute consistance. Le complot n'est plus une menace, c'est une terrible réalité, je t'assure. / Juste un pas de plus dans la même direction, et nous sommes cuits, purée. Peut-être n'aurons nous même jamais existé. Ni ici, ni ailleurs. / Car ils n'aspirent qu'à ça. Réécrire l'histoire depuis le début. Rayer de la carte cette farce grotesque dont nous sommes tous les acteurs. / A moins que... Mais je n'y crois pas ! A moins que... nous ne soyons réellement, toi et moi, que des êtres virtuels. Oh non, ne ris pas... / Car alors ces coïncidences n'en sont pas. Et plutôt que de chercher un sens à ce qui n'en a pas, tu ferais mieux d'abandonner la partie ! / Et de vivre le vacarme du monde sans te torturer l'esprit à chaque instant. Je ne plaisante qu'à moitié. L'hypothèse est assez effrayante... / Mais elle n'est pas totalement absurde. Il se pourrait, mon pauvre ami, que notre existence dépende uniquement de l'imagination d'un taré ! / Uniquement ? Vraiment ? C'est drôle comme il suffit d'un rien parfois pour que l'univers bascule. Car, désormais, votre religion est faite ! / Celle qui vous étourdit de ses discours depuis des lustres, qui vous raconte, vous corrige, vous retourne le compliment, vous embobine... / Vous précise d'un soupir, vous embrouille le raisonnement, vous épuise le tympan, vous fanfaronne, vous apostrophe gentiment, vous colporte.. / Puis se lève à tout bout de champ, arpente en gloussant les 45 m2 de parquet ciré, celle-là vous semble, à cet instant, complètement folle. / Et vous reprenez - moyennant quelques gastralgies intempestives -, le fil de l'histoire. En commençant par ce que vous regrettez amèrement. / A savoir précisément, d'avoir été là, oui, là, au moment le plus opportun. Et d'avoir finit par brailler comme un malade, puis par courir... / Juste, la devinant dans la lumière des phares, hurlant son nom toujours plus fort, vous précipitant quasiment dans le fossé, la retrouvant... / L'attrapant par le bras, in-extremis. Déployant alors au bord de la départementale une énergie fantastique pour parvenir à briser son élan. / L'encourageant de plaisanteries commodes. L'incitant à retourner sur ses pas. Exigeant brusquement qu'elle vous obéisse, bordel. Rouspétant. / Détournant subtilement son attention tout en la dirigeant droit vers le parking... Sais-tu que les lucioles sont des anges tombés du ciel ? / On a connu plus drôle, n'est ce pas ? La ficèle est un peu grosse... Mais le stratagème le plus efficace est parfois le plus prévisible ! / Il reste à vaguement parlementer. Tout en refusant absolument de se mêler de ces histoires. Se gardant bien de faire le moindre commentaire. / Proposant juste vos services. De manière assez désintéressée, vous pensez... Je rentre à Paris dès ce soir. Je vous dépose quelque part ? / Claquant la porte plus fort que d'habitude. Implorant l'indulgence du public devant l'épouvantable désordre qui règne dans l'habitacle. / Il y aurait plus sérieux d'ailleurs si l'un ou l'autre de vous, se donnait la peine alors d'examiner la carrosserie, le moteur et le reste. / Mais naturellement vos préoccupations ne sont pas d'ordre technique. Vous enclenchez la 1ère en pestant. Manœuvrez doucement votre engin... / Tripatouillez plus ou moins l'allume-cigare, les essuie-glaces et l'interrupteur des antibrouillards, et décidez brusquement d'accélérer ! / Vous voilà partis cette fois, non ? Pour cinq ou six cent kilomètres de pénibles bavardages entrecoupés de brusques confidences ? C'est ça ? / On aimerait se rassurer. Certaines nuits emportent nos rêves jusqu'au fin fond de la galaxie. Je ne vous ai pas tout dit admet-elle soudain. / Mais sans presque s'adresser à vous. Sur votre droite, les lumières de Carpentras se rapprochent. Vous avez toujours vos parents ? Moi non. / J'ignore toujours ce qu'on est censé répondre en pareille circonstance. Le minimum consiste sans doute à feindre de s'y s'intéresser... / Et de chercher, dans les phrases qui vous échappent, de quoi construire un discours un peu réconfortant. Quelques mots peuvent suffire. / Parfois seul le silence est opportun... Une cantate de Bach sur France Musique. Le sourd tremblement du moteur. Le cliquetis du clignotant. / L'emprise caoutchouteuse des pneus sur le macadam encore humide. Et tout est dit, n'est ce pas ? D'autant qu'Hélène ménage ses effets... / Ils revenaient d'un périple touristique dans les Caraïbes. Je garde, comme une ultime relique, la carte qu'ils m'avaient adressée de Cuba. / Deux ou trois lignes écrites à la façon d'Hemingway. Du moins... Vous y entendez l'océan et ses vagues puissantes se briser sur le Malecon. / L'encre, à peine sèche sur l'enveloppe à l'en-tête de l'hôtel, vous brûle la langue, et le gosier. Vous y êtes presque. Un autre verre ? / D'autant qu'à force de vous enfiler des mojitos affalé sur un transat, les rythmes chaloupés qui vous bercent, rêvent une nuit de tempêtes. / La clim vous épuise plus encore que ces incessantes et tristes rencontres qu'engendre la moiteur tropicale autour de la piscine et du bar. / Il nous arrive de nous savoir joyeusement immortels n'est-ce pas ? Quelque part au dessus de l'Atlantique leur avion a brusquement disparu. / Pulvérisé. Tout simplement volatilisé... Jamais, nous n'avons su pourquoi. Diverses hypothèses, bien sûr, ont circulé. Certaines loufoques. / Vous imaginez un 747 percutant un Ovni en provenance de la constellation du Centaure à quelques encablures seulement des côtes américaines ? / Ou bien, un officier de gendarmerie vous expliquant, le plus sérieusement du monde, que le vol en question n'a sans doute jamais existé. / Vous assurant, par conséquent, que vos délicieux parents sont encore en vie, nécessairement réfugiés, quelque part, à se la couler douce. / Ayant, pour d'obscures raisons qu'il conviendrait, peut-être, d'élucider, choisi de couper les ponts, et de ne plus répondre au courrier... / Bref, nous avons fini par nous organiser... Nous ? Je veux dire les familles et les proches. Un paquet de monde, vous pouvez me croire ! / Des visages proprement épuisés que nous croisions régulièrement dans les locaux du Quai d'Orsay. Ou bien, parfois, au siège de la compagnie. / Car, curieusement, les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères avaient été chargés de nous venir en aide. Ils s'arrangeaient / Et s'efforçaient. Parvenaient à nous rassurer. Du moins à nous réconforter. Un peu. Parfois leurs langues se déliaient. A peine, bien sûr. / Car parmi les passagers figurait, voyez vous, un membre des services secrets américains. Et pas n'importe qui... Un type archi connu. / Le genre à diriger une officine quelconque pour le compte de la CIA. Et à 2 doigts de retrouver la trace d'un des gros bonnets d'Al Quaïda. / Sans même parler d'un autre passager plus inquiétant encore. L'ambassadeur cubain à Pyongyang en personne ! Un drôle de loustic, croyez moi. / Mêlé à tout un tas de trafics assez abjects. Et jouant allégrement les intermédiaires. Offrant ses services à qui pouvait se le permettre. / Mais bien sûr rien de tout cela n'était vraiment avéré. Nous sommes en pleine fiction voyez vous. Nos amis ne cessaient de nous le rappeler. / Vous pouvez toujours supputer. Extrapoler. Poser des hypothèses toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Comment vérifier ? / Il y aura toujours quelqu'un pour vous contredire. Vous apporter une preuve que vous n'attendiez pas. Et vous accuser de mauvaise foi... / Si bien qu'il m'arrivait de douter. Dans le bureau du conseiller spécial, entourée des types de la sécurité je finissais par jeter l'éponge. / D'ailleurs je n'étais pas la seule. Au bout de quelques semaines, nous n'étions plus qu'une poignée à nous retrouver tous les soirs là bas. / Un rituel immuable et de plus en plus douloureux. Une bande d'incapables, croyez moi... L'enquête piétinait. Il nous fallait patienter... / Et éviter de trop gamberger. Ben voyons. Sauf qu'un jour, je me surprise à penser qu'ils avaient peut-être raison. Et que je devenais folle. / Et qu'il devenait urgent, pour moi, de tourner la page. Et de prendre pour vérité ce qu'on ne cessait de me répéter depuis des lustres... / Ce soir là Paul j'ai signé tout ce qu'il fallait signer. En double ou en triple exemplaire je ne sais plus. Des papiers dans tous les sens. / Des paraphes. Des gribouillis presque illisibles invariablement précédés des formules consacrées. Oui, j'avais bien lu. Oui, j'approuvais. / Je reconnaissais. J'acceptais. Je m'engageais. Je répétais au moins cinq fois la même chose. Tout va bien, mademoiselle, n'est ce pas ? / D'autres formulaires si vous permettez. Cette fois pour la police. Les assurances. Les placements financiers. Les services de l'immigration. / L'état civil. L'armée de terre. Les organismes de sécurité sociale. Le bureau des retraites complémentaires. Les caisses d'allocations... / Le ministère des impôts et du recouvrement des recettes. Les associations d'anciens combattants. Le notaire que vous avez désigné. Et puis... / Et puis l'avocat des parties civiles. Un autre torchon que l'on vous glisse tout en se gardant bien de commenter. De préciser. D'expliquer. / Dehors le ciel se déchire. Une bourrasque en chasse une autre. Vous décidez de vous lever, de lorgner vers la fenêtre et de prendre congé ! / Presque personne ne vous salue. Mis à part... Le conseiller diplomatique se fend, tout de même, d'une brusque et maladroite embrassade.