Syndicat du Musée d’Orsay C.G.T-S.M.O.
62 rue de Lille – 75343 PARIS Cedex 07
Tél : 01 40 49 48 60 – 43 01 courriel : [email protected]
Paris, le 12 avril 2010.
Y’a pas photo !
Puisqu’il est d’ores et déjà annoncé ici et là dans des services que l’interdiction totale
de photographier dans le musée est une mesure pérenne et définitive – AVANT
même qu’elle soit soumise au débat et au vote du CTP de jeudi prochain ! – nous
nous sentons autorisés à livrer nos réflexions sur le sujet – avant même le CTP.
La question des prises de photos avec flash a toujours été ingérable pour les agents
de surveillance.
Leur demander, comme on l’a fait jusqu’à présent, de morigéner les
flasheurs était mission impossible et inefficace. Cela n’aurait jamais dû faire partie de
leurs tâches. Une interdiction totale a l’avantage de clarifier la consigne, et de
simplifier la tâche des agents. Elle contribue donc à améliorer les conditions de
travail des surveillants et des conférenciers, ce dont nous nous réjouissons.
Toutefois, la question – difficile – des prises de photos n’est pas résolue, elle est
simplement supprimée. Il nous semble que ce point aurait mérité un examen plus
approfondi, sur ses enjeux et ses conséquences.
Cette mesure est de circonstance : il s’agit de contenter les agents en leur donnant
l’impression qu’on se soucie d’eux et de leur confort (en février/mars, période
électorale, c’est de bonne guerre), pour qu’ils acceptent sans rechigner de continuer
à travailler dans des conditions générales actuellement assez insupportables, du fait
des travaux.
Elle est destinée à faire diversion sur un problème plus gênant : le fait que la
surpopulation des salles est due à l’exigüité du musée réduit sur 2 niveaux au lieu de
3, et notamment de la galerie Lille, qui engendre une trop forte affluence compte
tenu de l’espace disponible, trop étroit, ce qui rend les conditions de travail des
agents de surveillance très difficiles, photo ou pas photo.
Le problème des prises de photos détourne l’attention du problème de la longueur
réduite des câbles de mises à distance, bien plus nuisible à la sécurité des oeuvres
que la prise de photos, comme le constatent quotidiennement les agents de
surveillance.
L’objectif principal recherché et annoncé est la meilleure « fluidité » des visiteurs, la
fin des « bouchons » : Allez, circulez, avancez, y’a du monde derrière, restez pas en
travers ! Quand les agents de surveillance doivent se faire agents de la circulation…
pour optimiser les flux et donc le nombre d’entrées.
A quand un tapis roulant ?
Que dire alors des visiteurs qui prennent des notes ou font des croquis dans des
carnets ? Va-t-on bientôt interdire la prise de note et le croquis (qui immobilisent le
visiteur devant une oeuvre plus longtemps qu’une prise de photo ?)
Il faut aussi prévoir de virer les copistes. L’expérimentation a donc selon nous été
lancée pour d’excellentes mauvaises raisons.
Sondage
Un questionnaire a été remis auprès des agents de surveillance : ils ont été
consultés (sur les résultats attendus, pas sur le choix des questions). On leur
demande leur avis : c’est une bonne chose. Ça tombe bien : les avis exprimés
« soutiennent » la mesure.
Poursuivons donc ces consultations et sondages :
« Êtes-vous d’accord pour une augmentation de 50 € du chèque-cadeau de fin
d’année ? OUI - NON »
« Préférez-vous travailler dans des salles éclairées en lumière du jour ou en lumière
artificielle ? » (= conditions de travail)
Cette expérimentation se place uniquement dans une logique de fonctionnement
interne, ce qui est très utile, mais il faudrait considérer les choses aussi du point de
vue des visiteurs : le musée est bien toujours un service public, non ?
La direction aurait pu décider de mener une enquête auprès des visiteurs ; ça se fait,
de consulter les usagers. En 3 semaines, le musée enregistre au minimum 100 000
entrées ; voilà un beau panel représentatif. Plutôt que de demander aux agents de
surveillance : « Cette interdiction est-elle comprise par le public ? », on aurait pu
demander directement au public ce qu’il en pensait. Bah… oui, mais non.
(C’est un peu comme si l’on demandait aux policiers : « Les contrôles d’identité sont-ils bien
compris par les sans-papiers ? »)
Visiteurs iconolâtres, direction iconoclaste
Le SM’O-CGT est, comme tous les personnels, fier de la renommée mondiale du
musée. Est-il absurde de considérer la prise de photos comme un signe de la fierté
des visiteurs de se trouver dans un lieu prestigieux et mondialement célèbre comme
le musée d’Orsay, un haut lieu du patrimoine et un symbole de la culture en France
à son plus haut niveau ?
Ces photos prises par nos visiteurs venus de loin, souvent mises sur des blogs
personnels de voyages et partagées sur les réseaux sociaux, sont les ambassadeurs
de la notoriété du musée, et contribuent à sa célébrité, autant qu’un article dans la
presse.
Les familles ne photographient pas que les oeuvres ; elles photographient aussi
l’architecture, l’espace, l’ambiance de la gare qui est un monument historique : sa
fameuse horloge, sa verrière, la salle des Fêtes, le panorama parisien vu du 5e
étage, etc. Et elles se photographient elles-mêmes dans ces lieux, pour dire en les
revoyant et en les montrant : « J’y étais et c’était magnifique ».
Qui parmi nous, à l’occasion d’un voyage d’agrément dans un pays étranger, ne prend jamais aucune photo des chefs-d’oeuvre locaux ?
L’excursion marseillaise au musée Cantini d’un groupe d’agents d’Orsay n’a-t-elle
pas donné lieu à une abondante couverture photo-souvenir amateur ? Nous ne
doutons pas que l’attention des participants n’en a pas été distraite pour autant.
Dès lors, est-il légitime d’interdire aux autres ce que l’on autorise à soi-même ?
La photo-manie des visiteurs est certes parfois excessive, mais il faut la voir comme
un signe de l’enthousiasme des visiteurs pour une expérience inoubliable, donc une
pratique positive. Sommes-nous autorisés à porter des jugements de valeur sur les
comportements de touristes que le musée souhaite ardemment attirer plus
nombreux encore ? En 1992, le MCC inaugurait la « photo-folie » : autre époque…
La modification du règlement de visite va instaurer une clause léonine : toute la
contrainte est supportée par une seule des parties (les visiteurs) tandis que l’autre (le
musée) en tire tous les avantages.
L’un de ces avantages est l’attente de vendre davantage d’albums et de cartes
postales. Cependant, on ne peut pas d’un côté demander au grand public de suivre
l’évolution constante des technologies, et de l’autre lui interdire de s’en servir, pour
protéger artificiellement des niches rentières (les plus grosses marges bénéficiaires
de la librairie sont sur les cartes postales). C’est d’ailleurs discriminant, car acheter
20 cartes postales revient cher, et toutes les oeuvres exposées ne sont pas
reproduites en carte postale.
Le plaisir de prendre soi-même des photos ne se compare pas avec l’achat d’une
reproduction. La photo est un geste personnel : on prend ce que l’on veut, sous
l’angle que l’on veut, sous une certaine lumière… C’est un peu de soi que l’on met
dans la prise de l’image, et un peu de son voyage intime que l’on met dans la boîte.
Cette mesure d’interdiction soulève deux questions d’ordre juridique :
1 – Le musée est un lieu public, pas une propriété privée. Les visiteurs paient de
leurs deniers les acquisitions d’oeuvres (20 % des recettes de billetterie), la propriété
est donc collective. Chaque visiteur est copropriétaire des acquisitions de l’État :
l’enrichissement des collections est redevable à sa contribution (sans parler des
impôts sur le revenu). De quel droit lui interdire radicalement toute prise de vues à
usage personnel dans un monument historique qui relève du domaine public ?
C’est une mesure liberticide, qui fait encore reculer d’un cran la tolérance envers les
petites libertés élémentaires. Elle interdit désormais à un amateur d’art de conserver
l’empreinte visuelle de ses visites culturelles, à un étudiant d’illustrer son mémoire de
master, à un lycéen de personnaliser son devoir d’histoire des arts, à une famille de
se photographier devant la maquette de l’Opéra ; à des enfants de s’entre-
photographier devant l’Ours blanc de Pompon, etc.
2 – C’est une atteinte à la liberté d’expression. Une photographie, même amateur,
est définie par le code de la propriété intellectuelle comme une oeuvre de l’esprit.
L’interdiction fait obstacle à la primauté du droit à l’information, qui concerne aussi
les blogueurs reconnus pour diffuser de l’information. La Cour de justice en fait
même une valeur constitutionnelle en déclarant que cette liberté des blogs contribue
« à l’échange d’idées et d’opinions indispensable à une société démocratique ».
Le meilleur des mondes
On nous dit que tous les visiteurs sont satisfaits, à part quelques inévitables râleurs,
sans donner de chiffres ni de pourcentage ? C’est du ressenti doigt en l’air.
On nous affirme qu’ils approuvent qu’on les prive d’un droit élémentaire et
comprennent que c’est pour leur bien. On soutient aussi ils ne s’aperçoivent pas que
le 5e étage est fermé et que la majorité des chefs-d’oeuvre ne sont pas là, etc. On a
vraiment des visiteurs merveilleux. Le musée devrait les embaucher !
Parmi « les raisons de ce succès » figurant au bilan, il y a « l’acceptation de la
mesure par le public ». Il est précisé qu’il « importera de ne revenir sur aucune des
raisons de ce succès. » Les visiteurs de demain n’ont qu’à bien se tenir !
Une autre des « raisons de ce succès » figurant au bilan est : « le consensus des
services sur l’utilité de la mesure – radicale – ; et il importera de ne revenir sur
aucune des raisons de ce succès. »
« Consensus (nom masculin) : accord unanime (absence d’opposition), pouvant
permettre de prendre une décision sans vote préalable. » (dictionnaire Wikipédia)
« Consensus (nom masculin) : Procédure qui consiste à dégager un accord sans
procéder à un vote formel, ce qui évite de faire apparaître les objections et les
abstentions. » (dictionnaire Larousse)
Sur 75 agents de surveillance ayant répondu, 71 se déclarent favorables (sur un
total de 233). Le bilan conclue que « les attendus du projet (cf. note de Guy
Cogeval) sont tous réalisés ». Voilà un plébiscite digne des pays totalitaires.
Nous voici donc entrés dans une ère nouvelle : celle où les agents ne sont plus
seulement tenus d’obéir à des ordres conformes à la déontologie du service public
c’est une obligation de fonctionnaire – mais carrément d’adhérer consensuellement
aux mesures radicales. Tous les agents, sans exception, doivent mettre leurs
cerveaux en conformité avec les ordonnances de la direction, pour le présent ET pour l’avenir.
Cette nouvelle ère a un nom : le meilleur des mondes.
Aujourd’hui, c’est l’interdiction totale de photographier.
Formidable (ce sont les visiteurs qui sont visés, c’est pas nous).
Et demain ?…
Enfin, pour la direction, n’y a-t-il pas là un enjeu d’orgueil ? Réussir à Orsay, là où le
Louvre aurait « échoué » - dit-elle - en 2007… par excès d’égards envers ses
visiteurs.
www.musee-orsay.fr