C'est dans une atmosphère et sur un support très austère que se déroulent ces dix nouvelles graphiques de Kan TAKAHAMA. Pour le public francophone, cette auteure japonaise née en 1977 s'est faite remarquer avec le superbe Mariko Parade, cosigné par Frédéric Boilet et publié dans la très belle collection "Ecritures" chez Casterman.
Passé l'effet de la couverture grise et des pages grises et blanches sur fond noir, et si l'on fait l'impasse sur quelques longueurs, ce manga est impeccablement dessiné et "mis en scène". Différents styles s'y confondent avec un naturel désarmant, et les effets visuels, jamais gratuits, servent à souligner les partis pris narratifs. On se croirait en face d'un de ces courts-métrages qui vous posent une ambiance en moins de deux secondes et se terminent deux minutes plus tard, vous laissant hagard.
Certains thèmes sont particulièrement bien exploités chez Kan Takahama : la famille, le couple dans lequel l'homme est toujours beaucoup plus âgé que la femme, l'intelligence des vieux, la tentation des jeunes adultes de sacrifier leur personnalité sur l'autel de la réussite sociale, les désillusions des enfants à propos des adultes qui les entourent, en particulier les pères, oncles et grands-pères : même à l'heure de leur mort, « les hommes sont sans cœur. Tout ce qu'ils ont en tête, c'est les femmes qu'ils n'ont pas pu avoir et le travail qui reste. »
L'une des nouvelles, "Tell me how to survive", accueille une photo de Fred Boilet comme un clin d'œil. C'est celle-là que j'ai préféré. Le rendu des dialogues y est particulièrement réussi, entre une bande de copains d'école qui passent à l'âge adulte et ne peuvent s'empêcher de se juger les uns les autres. Lorsque les attentats du 11 septembre 2001 leur sautent aux yeux depuis le poste de télé qui ne faisait jusqu'ici qu'un fond sonore diffus à l'autre bout de la pièce, ils ne perçoivent pas que l'une d'entre eux, la plus fragile peut-être, s'apprête à lâcher prise.
207 pages, éd. Casterman - 9,95 €