J'ai eu peur d'un quartier autrefois - Patrick Drolet

Par Venise19 @VeniseLandry
J’étais intriguée. Un comédien qui me fascine dont on dit que la facture du roman est spéciale. Et très spéciale, selon les dires d’une Christiane Charrette. Quelque chose dans l’intonation de CC est venu me chercher ; spécial comment ? Pour être tout à fait franche, ne pas avoir lu ces mots de Tristan Malavoy-Racine : « Ouvrir ce très réussi petit livre, c'est accepter de passer une heure ou deux en compagnie d'un être qui nous ressemble, au fond, la carapace en moins » ; aurais-je accepter d’entrer dans le monde de comédien qui incarne assez souvent d’étranges personnages ? Comme j’atteins rapidement (trop ?) mon quota d’étrangeté, le « qui nous ressemble » de Tristan M.-R. m’a rassuré assez pour m’y aventurer.
Et quelle aventure ! Je suis entrée dans l’étrangeté par une voix qui arrive à mettre des mots sur l’anxiété, la peur, l’angoisse d’un personnage. L’angoisse est une émotion si intime qu’elle est difficile à décrire. Et il y arrive haut la main. Chaque angoisse laisse une empreinte unique sur la peau fébrile d’un esprit. C’est le roman le plus anti-cliché sur la peur que j’ai lu jusqu’à date !
Matériellement parlant, qu’est-ce qui est rassurant dans la vie ? Sa niche, sa maison, son quartier. Le narrateur voit les menaces rôder, voit la mort errer, voit les esprits malins vagabonder autour de la maison voisine de la sienne. Qu’est-ce qui a brisé son équilibre : son voisin est décédé à l’intérieur de cette maison. Depuis ce moment, il nourrit la peur et la peur se nourrit de lui, il vit dans la terreur sans la fuir. Il reste, observe, scrute, puis compile ses observations dont il nous fait part avec une minutie du détail qui nous revoie à un imaginaire inquiétant. On perd donc pied, nous aussi, spectateurs de son monde.
Ce traqueur des ombres de la mort se sonde. Cette introspection le pousse impulsivement à sortir de son quartier, quitter une certaine sécurité, à la quête d’une réappropriation de son enfance. Il cherche à renouer avec un frère qui lui a enseigné et avec qui il a eu un échange épistolaire déterminant.
J’ai tenté pour vous de rendre un peu le fond de cette histoire qui est finalement rien sans sa forme. La forme prime, la *texture* se densifie et certains phrasées m’ont ramenés à la même émotion que j’éprouve devant un texte poétique. Une poésie d’action rebelle et dynamique.
J’ai été dépassée par le fond et impressionnée par cette forme :
La moustiquaire servait de rideau de fer contre les vents hurlants et leurs ombres. Je devais attendre, m’étais-je dit. Après plus d’une quarantaine d’heures, le sang, la neige, le sperme du désespoir et le corps du voisin dormaient devant chez moi.
[...]
Après avoir été témoin du sacrifice, j’avais passé quelques heures sous la douche. J’avais voulu tremper la vision arrêtée de la dernière respiration de mon voisin. Rien ne disparaissait sur ma peau. J’avais emmagasiné le long-métrage, dans l’éternité de mon corps.
J'ai eu peur d'un quartier autrefois, Patrick Drolet, Hurtubise, Collection *Texture*, 94 p.